Publié le 23 May 2025 - 12:20
Dialogue national du 28 mai 2025

L’histoire ne doit pas se répéter !

 

Lors de son message à la nation, le 3 avril dernier, à veille de la célébration du 65ème anniversaire de l’accession du Sénégal à l’indépendance, le président Bassirou Diomaye Faye a annoncé la tenue prochaine d’une journée de dialogue national sur le système politique au Sénégal dont le but est de parvenir à une refondation complète du système politique sénégalais. La rencontre devra se tenir le 28 de ce mois de mai, et devra réunir les différentes couches de la société sénégalaise sous la houlette du docteur Cheikh Guèye, choisi comme facilitateur.

Cette initiative du président de la République est à saluer vivement car, dans ce contexte d’un Sénégal post-électoral « convalescent », après trois bonnes années de troubles socio-politiques coûteux en vies humaines, sans compter les dégâts matériels importants, un dialogue national est plus que nécessaire. Il faut dialoguer pour cicatriser la plaie encore béante des violences pré-électorales, réconcilier le peuple sénégalais et surtout « repenser nos institutions, revisiter nos pratiques et rebâtir la confiance entre l’Etat et les citoyens », selon les termes du président Faye.  

Mais quand on observe les axes dégagés sur lesquels le dialogue doit s’articuler et le temps imparti à la rencontre, il est clair qu’il ne s’agira pas d’un dialogue national digne de ce nom, mais d’une « réunion » entre « politiciens » pour la préservation de leurs intérêts partisans. De toute évidence, un tel dialogue « politico-politicien » qui avait cours sous l’ère Macky Sall, ne saurait être une rencontre au cours de laquelle seront discutés sérieusement des problèmes cruciaux du pays afin de parvenir à sa transformation « systémique » telle que l’avait voulue le président de la République. 

En réalité, il faut comprendre que le vrai problème du Sénégal n’est pas économique, encore moins ethnique ou socioreligieux, susceptibles de générer des troubles majeurs comme ce que l’on a vu dans certains pays de la sous-région ces dernières années. Le problème du Sénégal est essentiellement politique. C’est son orientation « hyper-politicienne » et l’utilisation de la politique à des fins de promotion sociale et d’enrichissement personnel qui constituent la source transversale de tous les maux qui altèrent sa santé économique, bloquent son développement et menace sa stabilité.

Les symptômes visibles de cette « maladie » de la « politique-business » se perçoivent à travers l’incompétence et la prédation des dirigeants, l’inefficacité des politiques publiques, le cancer de la corruption qui se métastase, la tricherie, le culte de la facilité, le mensonge institutionnalisé, l’éducation négligée, le « charlatanisme » professionnel, basé sur le mythe du « diplôme », sans compétence avérée, la promotion de la médiocrité au détriment du mérite, une démocratie inadaptée et le maintien des institutions d’inspiration « colonialiste », déphasées et obsolètes.

Autant de maux qui expliquent pourquoi, malgré les efforts consentis par le peuple et les nombreuses stratégies de développement expérimentées par les régimes successifs, dans presque tous les domaines, depuis l’indépendance, les résultats n’ont jamais été à la hauteur des attentes de la population. A chaque régime, sa vision de l’« émergence », sous-tendue par des stratégies « budgétivores » qui se suivent et se ressemblent, sans qu’aucune ne soit capable de sortir le pays du cercle vicieux des pays sous-développés, sévèrement endettés, pauvres et dépendants de l’extérieur.

Aujourd’hui, il y a urgence de faire notre propre introspection en procédant par un diagnostic sans complaisance et par une étude profonde de nos problèmes en vue de bien les comprendre, de parfaitement les expliquer afin de pouvoir leur proposer des solutions efficaces et durables. Mais, à notre humble avis, ce n’est pas un dialogue « politicien », quoiqu’on puisse lui coller le qualificatif de « national », organisé en une seule journée, qui offrira l’occasion à de tels exercices réflexifs de prospection sur la vie politique sénégalaise, le problème de la gouvernance et celui du fonctionnement des institutions.

C’est pourquoi nous pensons qu’en lieu et place d’un dialogue « politique » que certains leaders de l’opposition sénégalaise comptent boycotter parce que « diversif », il faut des « Assises de la gouvernance » au Sénégal afin de refondre complètement le système actuel et d’introduire des réformes politiques et institutionnelles très profondes de nature à « dépolitiser » complètement la société sénégalaise et d’adapter nos institutions héritées de la colonisation, à nos réalités sociales, sociologiques et religieuses, capables de prendre en charge nos préoccupations en matière de justice sociale, d’éducation au sens large du terme et de bonne gouvernance.

A cet effet, les partis politiques ne doivent absolument pas prendre part à ces concertations, car étant la source profonde de tous les problèmes du pays, tout doit être décidé par le peuple, sans eux et à leur désavantage. La rencontre doit regrouper le « substratum » de la société sénégalaise que constituent les chefs religieux et coutumiers, d’anciens hauts fonctionnaires, les FDS, les représentants des syndicats, ceux des autres corps de métiers de différents secteurs d’activité, la société civile, les élèves et étudiants, la diaspora, certaines ONG et des observateurs étrangers.

Ils se réuniront en conclave pendant des jours, voire des semaines durant lesquels sera fait un diagnostic très profond et sans complaisance des problèmes politiques transversaux du Sénégal afin de dégager des voies de solutions en parfait accord avec les doléances posées par le peuple ainsi représenté, en matière d’organisation de l’Etat et de structure gouvernementale (la Constitution), de gestion étatique, de justice, de sécurité et de protection sociale, de politiques économiques (les codes), d’éducation-formation (loi d’orientation), de politique étrangère et de diplomatie, etc.

Il conviendrait de procéder au changement des paradigmes dans ces domaines en s’efforçant d’adapter ces institutions, déphasées et extraverties, à nos réalités pour qu’elles puissent prendre correctement en charge les préoccupations du peuple sénégalais. Les travaux des différentes commissions constituées, doivent déboucher sur des consensus autour de la manière dont le peuple voudra que le pays soit dorénavant gouverné, sur le profil des hommes politiques et les statuts des dirigeants, sur les partis politiques, le fonctionnement de la justice, l’organisation du système éducatif qui doit intégrer la formation polyvalente, comme dans les pays d’Asie du Sud-est, etc.

Ces réformes doivent déboucher, inéluctablement, à la suppression de tous les avantages inhérents aux postes politiques (ministre, Dg, directeur, etc.) et aux fonctions de parlementaires. Un député doit être représentatif du peuple qui l’a mandaté. Il ne doit pas être député d’un parti politique dont le programme ne prend pas forcément en charge les préoccupations des populations. L’hémicycle doit refléter le peuple dans sa diversité. On parlerait, dorénavant, de députés des enseignants, députés des commerçants, députés des artisans, députés des handicapés, etc. Et, en lieu et place des avantages faramineux octroyés aux députés, il n’y aura qu’une simple indemnité de session. La députation ne doit pas être une vie de bourgeois, mais une simple responsabilité.

En vue de rationaliser la vie politique nationale et de donner aux partis politiques leurs véritables lettres de noblesse, il serait envisagé un retour au « multipartisme limité » à deux, trois ou quatre grandes formations politiques en procédant par la fusion de la foultitude des partis politiques que compte le pays - environ 374 partis politiques, compte non tenu de la constellation d’autres mouvements à caractère politique -, regroupés en fonction des affinités idéologiques ou alors selon leurs similitudes programmatiques.

Le but recherché dans un tel mouvement fédératif partisan serait de parvenir à la mise en place de grands partis politiques à caractère intellectuel, scientifique et technique, aseptisés de tout folklore et dont les activités seront orientées, non pas uniquement vers la quête du pouvoir, mais vers la formation citoyenne, le militantisme responsable, la réflexion aux grands défis à relever pour prévenir au pays des malheurs et lui raccourcir le chemin ô combien long et difficile qui mène au développement.

L’activité politique, dès l’instant qu’elle n’offrira aucun avantage matériel particulier, écartera une certaine catégorie d’hommes politiques « carriéristes », incompétents, opportunistes, prédateurs et nuisibles (« les politiciens »). Elle mettra fin au « clientélisme politique », à la transhumance vers le pouvoir et deviendra la chasse gardée d’une certaine élite patriotique et républicaine, composée d’hommes et de femmes sérieux, formés, disciplinés, inspirés et prêts à mettre gratuitement leurs biens, leurs savoir et savoir-faire au service de l’effort de construction nationale.

La démocratie ne sera pas en reste, elle s’adaptera au pays. Certes, la démocratie est universelle dans ses principes, mais varie dans ses formes et dans ses modes d’expression. Donc, il ne faut pas que l’on soit aveuglé par l’application stricte des formes et pratiques démocratiques telles qu’elles existent en Occident. Une démocratie sénégalaise est possible. Une démocratie qui ne repose pas sur une Constitution au contenu ambigu, flou et manipulable à dessein par les élites pour se perpétuer au pouvoir.

Il nous faut une démocratie africaine et sénégalaise, intravertie, reposant sur des modèles inspirés par les structures politiques, institutionnelles et sociales de nos ancêtres, depuis l’Egypte pharaonique jusqu’au Fouta de l’Almamy Souleymane Baal, en passant par la Charte du Mandé de « Kouroukanfouga ». Devrions-nous, par exemple, continuer à dépenser des milliards de francs CFA chaque fois, dans des campagnes électorales folkloriques et des élections interminables, rien que pour désigner nos dirigeants ? Absolument non ! Il faut changer de paradigme en matière électorale.

Nos juristes et politologues doivent trouver une alternative aux élections et inventer d’autres modes de désignation de nos représentants sans ces campagnes électorales intitules, coûteuses et trempées de violences. La démocratie, telle qu’elle existe au Sénégal et en Afrique, de manière générale, est non progressiste, rétrograde et, à la limite, déstabilisatrice. La citoyenneté aussi, étant intimement liée à la démocratie, doit être réformée et adaptée. Une démocratie africaine et sénégalaise oui, mais aussi une citoyenneté nouvelle. Il s’agira d’une citoyenneté qui intègre nos valeurs sociétales, sociologiques et religieuses.

En définitive, nous restons persuadés que c’est par ces mesures « réformistes » hautement pragmatiques sur les plans politique, institutionnel et social qu’il sera possible de démolir «l’Etat-politicien » et d’éradiquer les « maladies » du pays provoquées par le « virus » de la « politique-business », de libérer définitivement le pays de l’emprise de cette « bourgeoisie politicienne » prédatrice qui a exploité le peuple sénégalais jusqu’à la moelle, d’adoucir le climat sociopolitique permanemment tendu et d’éviter la « malédiction du pouvoir » qui sévit dans la sous-région. En fait, une autre façon de faire de la politique est possible pour un Sénégal nouveau, un Sénégal gouverné de façon vertueuse, responsable et efficiente. Un Sénégal qui émerge dans la paix et la stabilité, en tant que nation-mère au sein d’une Afrique qu’il inspire dans tous les domaines.

Moustapha CAMARA
Professeur d’histoire et de géographie
Lycée El hadji O. L. Badji de Ziguinchor
mcamara57@yahoo.fr

 

Section: 
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