Au nom de la Femme et de la République !
Ancienne ministre du Développement social (en charge de la Femme, de l’Enfant et de la Famille), ancienne directrice générale adjointe de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Ndioro Ndiaye revient sur des épisodes inoubliables qui ont marqué son riche parcours en tant que femme leader, femme d’Etat et de développement, témoin d’une bonne partie de l’histoire contemporaine du Sénégal. Plus connue sous ses casquettes de ministre, de défenseure des femmes et des migrants, Mme Ndiaye est avant tout une brillante universitaire. Chirurgienne-dentiste, elle a obtenu son Agrégation en 1983, avec le statut de major exæquo.
‘’Quelle vie passionnante et trépidante a été la mienne, depuis que j’ai eu le bonheur de reconnaitre mon père, ma mère, ainsi que mes frères et sœurs, et de discerner tout ce qui m’entourait dans cet univers particulier qu’était le cadre de ma vie à Rufisque, au Sénégal, jusqu’en 1962…’’, s’exclame Ndioro Ndiaye, fière et nostalgique, dès l’entame de son ouvrage ‘’Mon combat pour le Sénégal, de l’université au cœur des politiques publiques’’, édité pour la première fois par L’Harmattan. Que d’histoires passionnantes, d’anecdotes croustillantes, de leçons politiques, de leçons d’Etat et de vie tout simplement !
Nous sommes encore sous la colonisation. Rufisque, comme toute la région de Dakar, est à ‘’100 % rouge’’, c’est-à-dire sous le contrôle de la SFIO, se remémore Ndioro Ndiaye. Dans cet environnement tout acquis à Lamine Guèye, un notable s’est levé et a osé dire non. A la place, il chante surtout les mérites du candidat Léopold Sédar Senghor. Il s’agit de Boubacar Ndiaye, le père de Ndioro. ‘’Notre père avait osé prendre position pour Senghor, en le faisant venir à Rufisque et en organisant un grand Fanal à son honneur. Maurice Guèye et Ousmane Socé étaient SFIO, à l’arrivée de Senghor en politique. Ce n’est que plus tard qu’ils ont rejoint Senghor et le BDS. Grâce à ces actions, Rufisque est devenue, plus tard, une chasse gardée du président Senghor’’.
La politique dans le sang !
En ces périodes, les batailles de positionnement étaient certes très âpres. Mais c’était sur le plan des idées et selon les règles de bienséance qui caractérisaient les anciens. Dans un contexte de plus en plus marqué par l’animosité entre différentes chapelles politiques, Ndioro Ndiaye sert en exemple la rivalité entre deux piliers du PS, en l’occurrence son propre père Boubacar et Alioune Badara Mbengue. ‘’Les difficultés, mésententes et rivalités qu’entretenaient ces deux principaux leaders politiques étaient notoires. Pourtant, ils ont toujours été de grands amis. Tonton Badara, comme nous l’appelions affectueusement, a même donné le nom de notre père à l’un de ses brillants fils, le fameux maire de Hann Marinas actuellement. C’est extraordinaire ce que la politique peut réussir’’, s’enthousiasme la Rufisquoise, ancienne pensionnaire du lycée John Fitzgerald Kennedy.
Sur les traces de son grand-père, compagnon de Ngalandou Diouf dans sa guerre contre Blaise Diagne, de son père qui a introduit Senghor à Rufisque, Ndioro, sans être une grande militante, aura marqué l’histoire politique récente du Sénégal. Alors qu’elle était surtout partie pour un brillant parcours universitaire, son destin prit une autre trajectoire en un claquement de doigts. Le président Diouf, en 1988, la consulta et lui confia le ministère du Développement social, en charge de la Femme, de l’Enfant et de la Famille. A l’époque, dans la République, les personnes de qualité à l’université et dans n’importe quel service de l’Etat étaient connues et suivies de près. Confidence faite par Diouf à la fille de Boubacar Ndiaye qui s’interrogeait sur son choix. Aussi, garde-t-elle encore en tête ce conseil de Collin, qui doit encore valoir pour les dirigeants d’aujourd’hui. Pour un passage réussi audit département, ‘’il faut constituer une bonne équipe technique composée de professionnels de haut niveau. Il (Collin) insista sur le choix d’un bon directeur de cabinet et des deux premiers conseillers techniques’’. ‘’Ce ministère est une boussole pour l’ensemble des programmes du gouvernement’’, lui fit savoir l’ancien tout-puissant collaborateur de Diouf. En plus de s’entourer de bonnes compétences, la petite fille d’Abdoulaye Seune Ndiaye s’appuiera surtout sur l’étude prospective ‘’Femme sénégalaise à l’horizon 2015’’.
Une aversion pour la polygamie
Au-delà de la vie politique, Ndioro Ndiaye est aussi revenue sur ses positions sur certains faits de société qui l’ont toujours rebutée en tant que femme leader. Parmi ces derniers, il y a la polygamie, la croissance démographique, entre autres. D’un père qui a été deux fois polygame, la sœur de Pathé Ndiaye (ancien DG du port) se rappelle encore les discussions, les disputes, les scènes de mécontentement de leur mère qui, pourtant, confie-t-elle admirative, était si douce et croyante. Elle dit : ‘’Mon aversion pour la polygamie dépend, en grande partie, de ce que j’ai ressenti et vu pendant cette période de ma vie. Je me suis toujours demandé comment mon père, cet homme si raffiné, si charmant et beau, d’une si grande délicatesse, qui nous couvait avec autant de chaleur et d’affection, pouvait-il vivre et faire vivre de telles situations à sa famille ?’’
Mais à côté des changements de comportement, des caprices, des déceptions et des souffrances engendrées, la polygamie, selon elle, est également révélatrice de toute la force de la femme sénégalaise. ‘’S’il y a un style de vie, une culture, une leçon de vie qui révèle assurément la force de la femme en général et de la femme sénégalaise en particulier, c’est bien sa capacité de vivre la polygamie’’.
Et d’ajouter : ‘’Durant ma jeunesse passée auprès de mes parents, ma vie a été beaucoup marquée par cette pratique matrimoniale bien ancrée chez nous. Ce que j’ai observé, entendu et vécu avec ma mère, me conforte dans ma foi en la force de la femme sénégalaise qui vit un ménage polygame.’’ Disciple de Cheikhna Cheikh Sadbou Aidara et fervente croyante, elle est d’avis qu’il est impossible de pratiquer la polygamie dans la rigueur des conditions prévues par la religion.
Sur le poids démographique, elle prône surtout la limitation des naissances. Selon elle, il y a un lien intrinsèque entre la question de la pauvreté et celle du statut de la femme. ‘’J’ai été très tôt consciente de l’antinomie entre croissance démographique et aspiration à la croissance économique, si bien qu’en observant ces compétitions entre familles polygames, j’ai toujours été sévère vis-à-vis de celles-ci, y compris dans ma propre famille. J’ai toujours conseillé aux femmes de ma famille élargie à utiliser les dispositifs pour planifier les naissances de leurs familles’’. Ironie de l’histoire, la ‘’Maman Theresa’’, qui tablait sur quatre enfants, s’est retrouvée, sans le souhaiter, avec six enfants. Elle explique comment : ‘’J’ai voulu faire quatre enfants : deux garçons et deux filles. Après une fille comme ainée, un deuxième (garçon), une troisième (fille)... En voulant un dernier garçon, j’ai fait deux filles et ai décidé de m’en arrêter là.’’
Cela dit, Ndioro Ndiaye ne démord pas de sa conviction selon laquelle la démographie importante est une des raisons de la précarité familiale en Afrique. ‘’Je suis confortée, souligne-t-elle, par le consensus des autorités aux plans international et national sur la recherche et même l’exigence d’un dividende démographique que j’ai toujours suggéré dans nos politiques de population. Il nous faut absolument renverser la tendance et faire de cette croissance démographique une source de création de richesses économiques et sociales’’.
Pour le dividende démographique
Dans la même veine, l’ancienne ministre de la Femme s’est toujours battue contre certaines pratiques en vogue dans la société sénégalaise, particulièrement chez la gent féminine. Il s’agit de pratiques avilissantes comme la dépigmentation de la peau, les mutilations génitales féminines, les cérémonies familiales, le statut des femmes rurales, entre autres maux. Des combats qui lui tiennent toujours à cœur, en tant que médecin conscient de leur danger sur la santé de la femme.
Connue surtout pour sa lutte acharnée pour de meilleures conditions de vie des migrants, Ndioro Ndiaye est une universitaire au parcours exceptionnel. Issue de la première promotion de spécialistes en odontostomatologie, elle a obtenu l’Agrégation en 1983, avec le statut de major exæquo avec René Senghor Ndiaye. Elle fut patronne de l’Institut d’odontologie pendant trois ans, avant d’entrer dans le gouvernement. Madame Ndiaye a ainsi été témoin ou actrice de premier plan de beaucoup de réformes salvatrices du système de santé publique sénégalais.
En effet, confie-t-elle dans l’ouvrage, c’est durant cette même période que fut créée l’Ecole des auxiliaires dentaires où ont été formés les premières cohortes d’agents de santé communautaire en odontologie (ASO), d’infirmiers spécialisés en odontologie (ISO) et les techniciens supérieurs en odontologie (TSO). Avant de se féliciter : ‘’Tous ont été précurseurs des agents formés actuellement à l’ENDSS. C’est avec une grande fierté que j’observe ce que ces initiatives sont devenues et comment elles continuent d’aider notre pays et beaucoup de pays africains à consolider et à améliorer leur personnel de santé, notamment par la création des corps auxiliaires des chefs d’équipes de santé publique que sont les médecins, les chirurgiens-dentistes et les pharmaciens’’.
Elue en 1999 directrice générale adjointe de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Ndioro Ndiaye a eu un de ses premiers contacts avec le dossier des migrants à la fin des années 1980, lors du conflit entre Sénégalais et Mauritaniens. ‘’J’avais annoncé à l’édition de 20 h que nous avions reçu les premières cohortes de migrants expulsés de la Mauritanie. Ils étaient logés au bataillon du train et nous allions les prendre en charge. Nous allions leur donner du riz, du lait, du sucre….’’. Dans un contexte marqué par une raréfaction des ressources financières, Ndioro Ndiaye ne savait pas, en le disant, où elle allait tirer cette manne. Elle s’en ouvre alors, les larmes aux yeux, à Mame Abdou Aziz Dabakh qui la consola et lui prodigua des prières. Le lendemain, elle reçut de multiples dons, notamment de Mansour Kama et d’Adrien Senghor, mais surtout de ce donateur mystérieux qui avait exigé que son nom soit tenu secret. ‘’Il avait offert 100 millions à l’Etat et avait exigé que son nom ne figure dans aucun compte-rendu. Personne, y compris moi, ne se doutait que je faisais mes premiers pas dans la gestion de la migration forcée et la gestion des frontières’’.
Le miracle de Podor avec Senegalair et Air Sénégal
Dans la vie de ce serviteur de l’Etat et de la Femme, il y a aussi des évènements marqués d’une encre indélébile. Un jour de décembre 1993, elle loue un avion de Senegalair pour se rendre à Podor, dans le cadre de l’électrification d’un village, grâce à des groupes électrogènes offerts par des fils migrants du village ainsi que des banques de céréales mises en place grâce au Radi (Réseau africain pour le développement intégré). Au retour, elle a frôlé le pire. ‘’Nous étions quatre (dans l’hélicoptère), j’étais à la place du copilote. Peu de temps après le décollage, je fus intriguée par une lumière rouge sur le tableau de bord, que je n’avais pas remarqué à l’aller. Le pilote me confirma qu’il lui ‘semblait’ que nous étions en panne et que j’avais le sens aigu de l’observation…’’.
Paniquée, Ndioro Ndiaye ne cessait de poser des questions, mais aussi de faire des suggestions bien utiles aux pilotes. Finalement, plus de peur que de mal. L’ancienne ministre décide alors de faire le reste du trajet par la route et de ne pas prendre l’hélicoptère qui était dépêché pour la transporter. Mis au courant, le Premier ministre d’alors affrète un avion d’Air Sénégal, mais Ndioro Ndiaye était déjà partie. ‘’C’est en arrivant à Rufisque, tard dans la soirée pour rassurer ma mère, avant de rentrer chez moi à Dakar, que nous avons appris que le Premier ministre avait affrété un avion d’Air Sénégal pour venir me chercher à partir de l’aéroport de Saint-Louis. Deux enseignants de l’UGB ont voulu en profiter, puisque l’avion allait rentrer vide. Cet avion n’est jamais arrivé à Dakar. Il est tombé en mer, avant son atterrissage, perdant ainsi et son équipage et les deux enseignants’’.
PAR MOR AMAR