Entre engagement des artistes et l’enjeu des droits d'auteur
Alors que la campagne électorale pour les Législatives bat son plein au Sénégal, la scène musicale s'anime, elle aussi, non pas uniquement pour l'amour de l'art, mais pour la politique. Des artistes engagés et des célébrités de la musique sénégalaise se mobilisent, certains composent des hymnes en soutien à des candidats, d'autres rejoignent des coalitions politiques et la Sodav appelle au respect des droits des artistes.
Le 17 novembre prochain, les élections législatives auront lieu au Sénégal. Dans cet esprit électoral, plusieurs artistes connus, peu connus ou pas du tout connus prennent position et alignent leurs voix et leurs talents avec certains candidats. Des chanteurs tels qu’Abdou Guité Seck, El Maestro le Kangham, Queen Biz et tant d’autres ont décidé d’accompagner le Pastef. La chanson composée par Pape Diouf en l’honneur d’Amadou Ba, à la dernière Présidentielle, rythme les tournées politiques de l’ancien PM.
L’artiste et producteur El Maestro le Kangham explique qu’en tant qu’artiste, il a un rôle à jouer. ‘’Je suis un artiste et un artiste doit être la voix des sans voix et se concentrer sur ce qui se passe dans son pays. Il faut toujours aller vers l’information. Je dois suivre ce que mon peuple veut. J'avais décidé d’épouser le projet de Sonko parce que je m’y retrouve’’, explique-t-il.
Par ailleurs, ce soutien va jusqu’à la création de chansons dédiées au candidat ou au parti. C’est en ce sens qu’El maestro le Kangham exprime ouvertement son choix de soutien. ‘’Pour porter le combat, c’est logique que je chante pour le projet et pour le parti. J’ai non seulement produit des artistes qui ont chanté Ousmane Sonko, mais j’ai aussi écrit un morceau pour lui. Et pour les Législatives, c’est ‘El Maestro-Majorité-Potion Magique’ que j’ai sorti’’, confie-t-il. Un titre à succès, largement repris sur Tik Tok par les patriotes.
Cependant, cette effervescence politique cache un enjeu de taille, celui des droits d'auteur. En théorie, chaque coalition ou parti politique qui utilise une œuvre musicale, que ce soit en jouant une chanson lors d'un rassemblement ou en l'incluant dans une vidéo promotionnelle devrait obtenir l'autorisation de la Société sénégalaise du droit d'auteur et des droits voisins (Sodav).
En effet, ce n'est pas seulement une question de respect pour les artistes, mais une exigence légale. La cheffe du département juridique et des affaires internationales à la Sodav, Jacqueline Ndiaye, revient sur cet aspect. ‘’Vu que les droits d'auteur sont protégés, il faut une autorisation, parce que quand vous utilisez les œuvres d’artistes, c'est l'effort et le fruit de leur créativité et par rapport à cela, il faut une autorisation’’, explique-t-elle.
D’après la responsable juridique, cette autorisation n’est obtenue qu’auprès de la Sodav et elle souligne que sans celle-ci, tous ceux qui exploitent le répertoire sont exposés à des sanctions qui sont prévues par la loi 2008/09.
‘’Aucun parti, coalition ou candidat n’est respectueux de la loi…’’
De ce fait, la Sodav a pour mission de protéger ces droits et de garantir aux artistes qu’ils reçoivent une compensation équitable pour l'utilisation de leurs œuvres. Mais la réalité du terrain semble moins limpide. Dans le contexte électoral actuel, peu de transparence entoure ces transactions.
Selon Jacqueline Ndiaye, les coalitions ne se sont pas rapprochées de la Sodav afin de demander l'autorisation pour exploiter des œuvres musicales. ‘’Sauf erreur de ma part, je peux dire aujourd'hui qu’aucun parti, aucun candidat n’est respectueux de la loi’’, souligne-t-elle.
En effet, l'utilisation commerciale d'une œuvre artistique doit respecter les droits d'auteur. Ce qui inclut le versement de redevances. ‘’Quand les artistes s'inscrivent à la Sodav, ils nous confient leurs œuvres. Et c'est par rapport à ces exploitations-là qu’ils perçoivent des rémunérations qu'on appelle le salaire différé. Donc, pour les coalitions, il est question de se rapprocher de nous, remplir la demande d'autorisation après quoi, nous leur transmettons la facture’’, a expliqué Mme Ndiaye.
Elle souligne qu’un seul parti s’est rapproché d’eux, mais une fois la facture envoyée, ils n’ont pas encore payé.
Ainsi, l'autorisation de la Sodav est une obligation légale qui implique le versement de droits proportionnels à l'utilisation, même si l'œuvre est utilisée dans un cadre politique. La Sodav, en tant qu'organisme de régulation, a le pouvoir de sanctionner les entités qui se soustraient à cette obligation.
L’artiste dissocié de l’œuvre
Si l'engagement politique des artistes est une dynamique qui peut grandement influencer la campagne, elle ne doit pas se faire au détriment de leurs droits. L’artiste El Maestro le Kangham souligne que l’artiste, tant qu’il a des contenus non déclarés à la Sodav, ce n’est pas à la Sodav d’avoir un œil de regard sur les prestations ou encore l’utilisation de ses morceaux. ‘’Si l’on fait des chansons déclarées à la Sodav, ce serait normal qu’ils gèrent la question de droit, mais elle ne doit pas parler du travail de l’artiste’’, dit-il. En rappelant également que lorsqu’un artiste preste pour un parti, il est bien rémunéré. ‘’Il y a des secrets quand il s’agit de la question financière. Il y a des choses qui sont typiquement professionnelles, mais les partis sont bien structurés et ils rémunèrent bien leurs artistes’’. Mais la question d’argent vient après, car pour lui, c'est le choix de chanter pour la patrie. ‘’Il y a des politiciens qui nous appellent pour qu'on fasse des chansons et qui nous proposent beaucoup d'argent. Mais on est engagé à promouvoir le projet et c'est le choix de la patrie. Même si l’on ne nous donne rien, on est prêt à chanter’’, renchérit-il.
La cheffe de la section juridique de la Sodav rebondit sur la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. ‘’Il y a deux cas. Dans la mesure où l'artiste négocie directement avec un parti, c’est par rapport à une prestation bien précise qu’il va faire le jour J. Mais dans le deuxième cas, au-delà de l’artiste, peut-être que l’œuvre qui est exploitée ne concerne pas seulement l’artiste qui sera sur scène’’. Jacqueline Ndiaye cite ‘’par exemple un artiste qui a écrit les textes d'une chanson, mais qui n'en est pas le compositeur, ni l’arrangeur. Donc, la rémunération que le parti ou le candidat va payer auprès de la Sodav, elle rémunère l'œuvre et non pas l’artiste sur scène’’, a-t-elle insisté. Là est la différence.
Pour rappel, il est impératif que les partis politiques et les coalitions respectent les exigences de la Sodav en matière de droits d'auteur, en obtenant les autorisations nécessaires et en versant les redevances dues. Ce rappel est crucial, car la campagne s'intensifie et tire à sa fin. Enfin, il est utile de souligner que les artistes méritent un traitement équitable et le respect de leurs droits doit être un pilier central des pratiques de campagne.
Thécia P. NYOMBA EKOMIE