La majorité présidentielle veut sauvegarder l’esprit du 23 juin
Le mouvement M23 ainsi que les responsables de la majorité présidentielle, ont célébré hier, à la place de la Nation (ex-place de l’Obélisque) le 10e anniversaire des évènements du 23 juin 2011 qui ont marqué un tournant dans la vie politique sénégalaise. Sur ce, ils indiquent que l’esprit du 23 juin continue de se perpétuer, à travers les initiatives du régime actuel.
MAKHFOUZ NGOM
La foule des grands jours a été au rendez-vous de l’appel du mouvement M23 pour célébrer le 10e anniversaire des évènements du 23 juin 2011. En ce début d’après-midi, des groupes de militants de la majorité présidentielle, tee-shirts et pancartes à l’effigie de leur leader, prennent d’assaut la place de la Nation, sur les allées du boulevard Charles de Gaulle, dans le but de commémorer l’esprit de résistance du peuple sénégalais, le 23 juin 2011.
Mais, très rapidement, empoignades et bousculades se multiplient en bas de la tribune officielle. Le service d’ordre peine à contenir le flot de militants venus accompagner leurs leaders qui tentent de se frayer un chemin dans ce tumulte indescriptible. Sur la tribune, les responsables politiques de la majorité présidentielle, parmi lesquels on peut distinguer Abdou Mbow, Seydou Guèye, Amadou Ba, Abdoulaye Diouf Sarr, Abdoulaye Wilane (PS), Malick Diop (AFP) et Me El Hadj Diouf (PTP) ont rejoint les membres du mouvement M23 sous les cris de leurs militants. L’ambiance est à son comble. Les sifflets accompagnent les roulements des tam-tams.
Sous les vociférations de la foule, les responsables peinent à se faire entendre. Les intervenants saluent tous la volonté du peuple de perpétuer cet héritage qui a façonné le paysage politique sénégalais. ‘’Le 23 juin consacre la victoire du peuple souverain. Ainsi, il continue à dicter sa volonté, depuis le 23 juin 2011. Il faut reconnaitre que le président en exercice (NDLR : Macky Sall) a répondu sur plusieurs points aux recommandations du mouvement M23. Aujourd’hui, les bourses de sécurité familiale, les bourses d’études pour les non-orientés sont les fruits de ce combat du peuple’’, s’exclame Doudou Sarr, Coordonnateur du M23.
Poursuivant son propos, il prévient que personne ne peut s’approprier le 23 juin qui est la propriété exclusive du peuple sénégalais. De ce fait, toute division dans la célébration de cette fête du peuple sénégalais ne peut que nuire à la portée de son message et de son esprit qui transcende tous les bords politiques. ‘’Aucune organisation n’est propriétaire du 23 juin. Si d’autres veulent célébrer le 23 juin selon leur entendement, ça ne pose pas de problème. Car le 23 juin, personne ne peut se l’approprier. C’est déjà une grande victoire que des organisations se réclament du 23 juin. Le fait que les ressources du sous-sol appartiennent au peuple, ainsi que l’augmentation des petites retraites et du pouvoir d’achat des salariés sont des victoires du 23 juin’’, poursuit-il.
Les baffles continuent de déverser leurs décibels sur l’assistance. Le chaud soleil n’entame en rien la détermination des militants de la mouvance présidentielle qui rivalisent d’ardeur.
‘’Nous devons tous être animés par cet esprit d’unité’’
Aida Niang, responsable des jeunes du mouvement M23, prend la parole pour s’insurger contre l’attitude de certains militants qui, selon elle, trahissent le sens et la portée de cette journée. ‘’Nous ne sommes pas pour les partis politiques. Nous sommes là pour commémorer la mémoire de nos compagnons de lutte du M23, comme Amath Dansokho, Ousmane Tanor Dieng. Ce qui nous réunit ici, ce n’est pas une cérémonie partisane, mais c’est de saluer le peuple qui a su dire non à un président de la République’’, déclare-t-elle, avant de lancer un appel à la jeunesse pour qu’elle prenne en charge les futurs combats citoyens.
‘’La jeunesse doit avoir conscience de sa force et de son devoir pour porter le combat de toutes les révolutions. Notre seul souci doit être le bien-être de la Nation sénégalaise et la préservation des acquis démocratiques’’, conclut-elle.
Prenant la parole au nom des responsables politiques, Mor Ngom, Ministre-Conseiller, salue l’esprit d’unité du 23 juin qui, d’après lui, constitue un chapitre crucial dans la vie politique sénégalaise. ‘’Ce jour historique est un point de repère dans la reconstruction démocratique de notre pays. C’est un élément précieux du patrimoine national. Il appartient désormais à tous, parce que son message fondamental est adressé à l’ensemble de la communauté nationale. Nous devons tous être animés par cet esprit d’unité, pour relever les nouvelles problématiques comme le développement durable, la sécurité et surtout la territorialisation des politiques publiques’’, dit-il avec force.
Très en verve, le responsable politique du département de Bambey indique que le 23 juin constitue un tournant majeur pour la démocratie sénégalaise. « Le 23 juin 2011 nous a enseigné l’importance d’aller vers l’unité du peuple sénégalais. Chers compatriotes, restez fidèles à l’élément crucial qui a valu à notre pays des avancées démocratiques considérables. Nous devons nous souvenir, avant le 23 juin, nous avons vécu des misères, des émeutes d’électricité et des coupures intempestives d’eau. Tout ceci est maintenant oublié, car la démocratie est maintenant ancrée au Sénégal’’.
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Le M2D impose sa force
Des Sénégalais et pour la majorité des jeunes ont répondu au Mouvement pour la défense et la démocratie (M2D) qui a célébré, hier, l’anniversaire des 10 ans du M23. Les manifestants ont, dans l’ensemble, dénoncé la mal gouvernance, l’absence de démocratie et les difficiles conditions de vie des Sénégalais.
HABIBATOU TRAORE
Alphousseynou Coly semble être dans un autre monde. Coincé entre des jeunes fougueux qui scandent en chœur des chansons hostiles au régime en place, le barbu reste stoïque. L’homme d’âge avancé écoute religieusement et acquiesce, quelquefois[x1] , par des signes de la tête. Cet originaire de la Casamance a, comme beaucoup de Sénégalais, répondu à l’appel du Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D), dans le cadre de la célébration des 10 ans du M23. Sur les motifs de son le déplacement hier au terrain des HLM Grand-Yoff, il évoque les difficiles conditions de vie du peuple.
‘’Rien ne marche. On souhaite le changement pour ce pays et nous devons nous battre pour léguer un meilleur Sénégal à nos enfants, afin qu’ils puissent nous prendre en charge à l’avenir’’, explique l’habitant de Yeumbeul. Le teint noir, vêtu d’une tenue traditionnelle grise, M. Coly indique qu’il a choisi de fréquenter les jeunes, afin de s’imprégner des réalités du pays qui ont, à ses yeux, pour noms cherté de la vie, chômage, l’absence de démocratie…
Il a d’ailleurs, renseigne-t-il, mis en place dans sa zone un mouvement en faveur du leader du Pastef, afin de mieux prendre en charge les revendications des Sénégal.
Hier, les slogans n’ont pas manqué pour caricaturer la situation ‘’délétère’’ du pays. Sur des pancartes se lisent : ‘’Non au 3e mandat’’ ; ‘’Sénégal Tampi’’ ; ‘’Macky Sall, un choix regretté’’ ; ‘’A bas le chômage, A bas la misère, A bas la corruption, A bas la division’’.
Souleymane Diop agite un drapeau tricolore. Le résident de Thiès communie avec les organisateurs sur le présidium. Debout derrière les garde-fous érigés pour la circonstance, l’ancien membre du parti Rewmi estime que la nation est exaspérée et n’a plus espoir au régime de Macky Sall. ‘’Il refait les mêmes choses que Me Wade qui avaient provoqué un soulèvement populaire en 2011. Le président n’a pas tenu ses promesses, le chômage est toujours là, la vie est chère. Il ne fait qu’inaugurer des infrastructures inachevées’’, clame le Thiessois qui compte rallier sa ville juste après la manifestation.
L’ambiance n’a pas faibli durant les quatre tours d’horloge de la rencontre. Et des leaders comme Ousmane Sonko et Barthélémy Dias ont été acclamés par la foule.
S’unir pour vaincre
Les manifestants surexcités ont cependant eu en face d’eux des leaders du M2D déterminés à imposer le changement. Ils ont, à cet effet, appelé les différentes parties prenantes à s’unir, pour venir à bout du régime de Macky Sall. ‘’Je suis venu apporter mon soutien au combat que mènent mes frères. Il faut qu’on soit clair : Khalifa Sall, Karim Wade ou même Ousmane Sonko seront candidats aux élections à venir. Si l’opposition ne fait pas cependant bloc, Macky Sall fera un troisième mandat’’, avertit le député libéral Mame Diarra Fam.
Le leader du Pastef, vêtu d’un costume africain marron sur un jean noir, casquette de la même couleur sur la tête, de renchérir que l’unité de l’opposition ne peut pas se limiter à des partis politiques, mais doit impliquer tous ceux qui ne sont pas d'accord avec la marche du pays. ‘’Nous demandons au peuple de travailler pour cette unité et la plupart des membres du MD2 ne sont pas dans des partis politiques, mais des organisations de la société civile. Je rends hommage à la jeunesse qui représente plus de 60 % de la population sénégalaise et vous avez une conscience politique’’, déclare Ousmane Sonko devant une assistance acquise à sa cause.
Puis, le parlementaire, dans une rhétorique guerrière, invite le peuple à se préparer au combat. ‘’On est obligé d'être réaliste. Face à un président qui recrute des nervis, il faut s'attendre au pire. Le peuple est fatigué de lutter contre des pratiques qui reviennent sans cesse’’, déclare-t-il sous une forte acclamation.
Le maire de Mermoz-Sacré-Cœur, pour sa part, invite les manifestants à rendre coup pour coup, face aux attaques des nervis. ‘’Il y a dix ans, on s'était mobilisé pour la démocratie sénégalaise. Dix ans plus tard, nous sommes ici pour le même combat. Je veux être maire de Dakar pour mieux surveiller ce qui se fait au palais, mais le combat se fera au mois de septembre’’, indique Barthélémy Dias, le sourire en coin.
Le Pr. Babacar Diop du parti des FDS regrette, lui que, dix ans après les manifestations de 2011 pour dire non au tripatouillage des élections, le débat sur le 3e mandat demeure toujours actuel. ‘’On ne va pas attendre la réponse du Conseil constitutionnel pour trancher. C'est à la rue de dire non’’.
Aux yeux du député Diethié Fall, la célébration des 10 ans du M23 constitue une preuve suffisante de l'échec du président Macky Sall, un baromètre pour évaluer sa magistrature, après neuf ans de gestion. L’ancien partisan d’Idrissa Seck est d’avis que la Présidentielle de 2024 se fera en quatre tours et va démarrer avec Les locales de 2022, les Législatives de la même année et les deux tours de la Présidentielle de 2024.
Guy Marius Sagna, lui, est catégorique sur la question du 3e mandat. ‘’Disons qu'il n'y aura jamais de troisième candidature au Sénégal, quel que soit le leader. Ce débat pollue partout en Afrique et les pires présidents sont en Afrique occidentale. Au lieu de régler les problèmes de l'éducation, de la pêche ou de la santé, ils nous imposent un débat sur le 3e mandat’’, déplore le leader du mouvement Frapp.