1. Changement climatique au Sahel.

Pendant les 50 dernières années, les conditions pluviométriques du Sahel se sont fortement dégradées. Il s’agit du changement climatique, et plus précisément, de la sécheresse qui occasionne des pertes importantes de la production des cultures pluviales.

La sécheresse dans la zone sahélienne est un phénomène complexe. Le principal type de sécheresse est caractérisé par le raccourcissement de la durée de l’hivernage qui provoque également la diminution de la quantité de pluies. Les plantes des variétés qui étaient sélectionnées avant l’arrivée de la sécheresse n’arrivent plus à boucler leur cycle. Le cycle (cycle total) d’une variété est le nombre de jours entre le semis et la maturité (et donc, la récolte).

On rencontre également d’autres types de sécheresse : la sécheresse après la levée, la sécheresse en fin de cycle de culture, la sécheresse en cours de cycle, etc.

1. Variétés paysannes et variétés améliorées.

Les variétés paysannes (ou variétés locales ou variétés traditionnelles) sont les variétés sélectionnées et cultivées depuis « toujours » par les paysans d’une communauté. Les paysans utilisent souvent le terme « semences paysannes » comme synonyme du terme « variétés paysannes », ce qui signifie pour eux « semences de nos variétés paysannes ».

Les variétés dites améliorées ou industrielles sont les variétés créées dans les stations de recherche. Il existe une relation étroite entre les variétés paysannes et les variétés améliorées. Les chercheurs développent leurs nouvelles variétés à partir de leurs collections, composées essentiellement de variétés paysannes, ainsi les variétés paysannes constituent la base de la sélection des variétés améliorées.

Il est largement reconnu que les variétés paysannes sont bien adaptées aux conditions, souvent difficiles, de leurs zones de culture. Elles sont également capables d’évoluer et de s’adapter aux changements du milieu, notamment s’adapter au changement climatique.

Les variétés paysannes s’adaptent au changement climatique grâce à leur hétérogénéité et grâce à la sélection menée par les paysans.

Les variétés paysannes sont hétérogènes, d’après leur apparence et d’après leur structure héréditaire. Les variétés hétérogènes portent le nom de populations.

Durent l’année de sécheresse, un champ d’une variété paysanne connait une forte mortalité, cependant dans une variété hétérogène, ils se trouvent des plantes qui arrivent à survivre et à donner des graines : ce sont les plantes résistantes. La récolte des semences sur ces plantes va donner une population plus résistante à la sécheresse que la précédente. La répétition du même processus tous les ans va donner une variété bien adaptée à la sécheresse.

Les variétés améliorées, lignées et hybrides, sont des variétés homogènes, composées de plantes identiques. Elles sont créées pour des milieux contrôlés (engrais chimiques, pesticides, etc.) et ne sont pas capables de s’adapter au changement climatique.

2. Sélection pour l’adaptation à la sécheresse.

La principale réponse de la recherche au problème de la sécheresse est la sélection des variétés à cycle court (sélection pour la précocité). Pour faire la sélection des variétés à cycle court, on organise des programmes de sélection visant à transférer les gènes de précocité dans les variétés existantes, appréciées pour leurs performances, mais dont le cycle est devenu trop long, vu le raccourcissement de la durée de l’hivernage provoqué par la sécheresse. Un gène est une unité héréditaire qui contrôle un caractère. Ces programmes de sélection sont de courte durée : 10 ans, au maximum, et qui concernent un seul caractère lié à l’adaptation à la sécheresse : la précocité.

La recherche a identifié plusieurs paramètres morphologiques et physiologiques favorisant l’adaptation à la sécheresse : système racinaire plus développé et plus long, pression osmotique des cellules plus élevée, etc. Cependant la sélection pour ces paramètres est très difficile : la base héréditaire est complexe et mal connue, les techniques de sélection demandent l'utilisation des appareils ou dispositifs coûteux.

La sélection paysanne pour l’adaptation à la sécheresse est multiforme. Pour les paysans, traditionnellement, les deux activités, la sélection variétale et la production de semences, ne sont pas séparées. Chaque année les paysans font la sélection sur la parcelle de production de semences, il s’agit donc de sélection de longue durée faite par des générations de paysans.

La principale méthode de sélection pratiquée par les paysans est la sélection massale, une méthode ancestrale. Elle consiste à choisir dans un champ des meilleures plantes (ou épi, ou gousses), le plus souvent, au moment de la récolte. Les études scientifiques ont démontré que sélection massale pratiquée pendant une longue période, des centaines d’années, peut être très efficace. L’efficacité de la sélection massale pratiquée pendant une longue durée constitue un grand avantage de la sélection paysanne !

La sélection massale n’est pas la seule méthode de sélection pratiquée par les paysans. Les paysans pratiquent l’introduction des plantes, la sélection des plantes mutantes et la sélection dans la descendance provenant des croisements spontanés. Les paysans pratiquent rarement des croisements manuels, mais utilisent plutôt des croisements spontanés qui se produisent naturellement dans leurs champs. Les paysans savent reconnaitre les descendants provenant des croisements spontanés entre les variétés différentes et ils sélectionnent les meilleurs descendants issus de ces croisements.

Un autre avantage de la sélection paysanne est le fait qu’elle exploite une gamme de caractères qui déterminent la résistance à la sécheresse. La sélection paysanne peut créer des variétés à cycle court, mais elle est aussi capable à sélectionner, de façon empirique, les variétés avec des paramètres morphologiques et physiologiques favorables à la résistance à la sécheresse : le système racinaire plus développé, etc.

La sélection paysanne est empirique, les paysans sélectionnent des plantes résistantes à la sécheresse d’après leur apparence, sans connaitre leur déterminisme génétique. Les paysans sont des sélectionneurs expérimentés ; en étant tout le temps avec la nature, ils connaissent mieux que quiconque la vie des plantes. Ils observent attentivement les plantes dans leurs champs pour repérer celles qui manifestent les caractères intéressants ; ainsi ils sélectionnent les mutations et les nouvelles combinaisons de gènes qui favorisent la résistance à la sécheresse. Une mutation est une modification d’un gène.

Les mutations, ainsi que les nouvelles combinaisons de gènes (résultant d’un processus génétique appelé la recombinaison) sont des évènements rares, il faut observer des millions et des millions de plantes pour trouver une plante mutante, différente de toutes les autres plantes de la variété cultivée. La longue durée de la sélection paysanne est un facteur favorable pour détecter et ensuite exploiter ces événements génétiques rares, mais qui sont d’une grande importance.

Depuis des millénaires, les paysans sélectionnent leurs variétés et produisent leurs semences. Les semences paysannes ont assuré la survie des communautés pendant les années de bonne et mauvaise pluviométrie. Les variétés améliorées sont apparues beaucoup plus tard, avec l’apparition des stations de recherche qui ont des programmes de sélection variétale ; ces programmes existent dans le monde depuis environ 150 ans.

Le directeur de recherche de l’INRA, Institut national de la recherche agronomique, France, Jean- Pierre Berlan a exprimé l’idée partagée par beaucoup « La richesse variétale dont nous disposons a été créée par les paysans de l'ensemble de la planète, et particulièrement ceux du tiers-monde ».

Les variétés paysannes constituent la base de l'agriculture.

Les défenseurs des variétés paysannes soulignent le rôle historique des paysans en tant que sélectionneurs et producteurs de semences et affirment que par leur travail de sélection et de reproduction de leurs variétés, les paysans ont rendu un immense service à tous les habitants de la planète.

D’après ETCgroup, les sélectionneurs des stations de recherche ont produit depuis les années 1960 environ 80 000 variété appartenant à 150 espèces, et les paysans, pendant la même période – environ 2,1 millions de variétés appartenant à 7 000 espèces.

Les paysans prennent des mesures pour augmenter la diversité de leurs semences, notamment ils font des échanges de semences. Cette pratique millénaire s’est concrétisée à notre époque par les Foires des semences paysannes qui connaissent un succès grandissant en Afrique de l’Ouest. La dynamique des Foires des semences paysannes a été initiée par l’ASPSP, Association Sénégalaise des Producteurs de Semences Paysannes, selon la conception brillante du président de l’ASPSP Lamine Biaye. Depuis 2007, l’ASPSP organise des Foires ouest africaines des semences paysannes de Djimini tous les 2 ans. Ces Foires ont joué un rôle capital dans la préservation des variétés menacées et ont permis de retrouver beaucoup de variétés qu’on croyait perdues. Ces Foires permettent les échanges de semences favorisent l’adaptation des semences paysannes à la sécheresse.

Les paysans cultivent leurs variétés en agro écologie ce qui favorise leur adaptation à la sécheresse : la pratique de la fertilisation organique permet une meilleure utilisation des ressources hydriques, les aménagements contre le ruissellement et l’érosion (diguettes, zai), l’association des cultures, les brises vent, etc.

3. Recherche paysannes sur l’adaptation à la sécheresse.

Exemple 1 : Abdoulaye Coly Diouf, paysan pilote, membre de l’UCT, Union des Collectivités de Tattaguine, Sénégal, pratique depuis plusieurs années une sélection dans une population composée d’un mélange de 17 variétés locales du sorgho, en vue de création d’une variété nouvelle adaptée. Il s’agit de sa propre initiative, conception et choix des variétés.

Photo. Abdoulaye Coly Diouf présente les semences issues d’un mélange de 17 variétés du sorgho. Journée d’échanges sur les semences, Fandène, Sénégal, 20 juin 2020.

Exemple 2 : Mbaye Diouf de l’UGPM / ASPSP expérimente des pépinières du mil.

Mbaye Diouf, un paysan pilote de l’UGPM, Union des groupements paysans de Meckhé et membre de l’ASPSP, originaire du village de Lissar, région de Thiès, Sénégal, expérimente la méthode de pépinières du mil pour lutter contre la sécheresse due à l’installation tardive des pluies.

En partant de la connaissance de pratique fréquente de repiquage des plantes de mil pendant le démariage, il a commencé depuis 2016 à expérimenter une nouvelle technique sur ses parcelles des variétés locales du mil, avec la date de semis en pépinière vers de mi-mai, et le repiquage – vers le 10 aout. Avec cette technique, il est le seul à avoir de bonnes récoltes pendant des années de sécheresse, au moment où les autres paysans ne récoltent pas grand-chose dans leurs champs de mil semés ou ressemés au mois d’aout (souvent vers le 10 aout ou plus tard).

La mauvaise production du mil semé au mois d’aout s’explique par le fait que pour ces semis tardifs, les plantes du mil vont commencer la floraison très tôt, au mois de septembre, avant de terminer la croissance végétative, dans ce cas, le remplissage des graines ne peut pas se faire normalement et donc la production sera presque nulle.

Cette situation est dû au phénomène du photopériodisme (ou la sensibilité des plantes à la longueur du jour). Le photopériodisme est un caractère adaptatif des variétés locales du mil et d’autres espèces africaines, élaboré par la nature pour assurer que la maturation des graines s’effectue en fin de la saison des pluies, la période qui assure les meilleures conditions pour avoir les récoltes de bonne qualité. Pour les plantes sensibles à la longueur du jour, la floraison intervient toujours à une période précise de l’année, quel que soit la date de semis, notamment quand il y a une longueur de la journée bien déterminée. Pour la plupart des cultures sahéliennes, la longueur du jour qui déclenche la floraison est de 12 heures 30 minutes (mois de septembre). Les variétés modernes sont rendues, par la sélection, insensibles à la longueur du jour.

 

IRINA VEKCHA,

Professeur de l’ENSA,

Ecole Nationale Supérieure d’Agriculture,

Sénégal, spécialiste de génétique et de sélection végétale.