Publié le 28 Jul 2025 - 14:26
FRANC CFA

ENTRE FANTASME GEOPOLITIQUE ET REALITE ECONOMIQUE

 

La question du franc CFA continue de susciter de vifs débats en Afrique de l’Ouest, entre revendications de souveraineté, appels à la réforme et accusations d’ingérence étrangère. Mais au-delà des discours émotionnels et des postures idéologiques, il convient de s’en tenir aux faits. Ce texte entend apporter un éclairage rigoureux sur les réalités institutionnelles, économiques et géopolitiques liées à cette monnaie commune utilisée par huit pays de l’UEMOA.

La BCEAO : une gouvernance africaine, souveraine et réformée

Depuis 1973, la politique monétaire de l’UEMOA n’est plus décidée à Paris. C’est cette année-là que la BCEAO a été pleinement africanisée, que son siège a été transféré de Paris à Dakar, et que le premier gouverneur africain, Abdoulaye Fadiga, a été nommé. Ce tournant historique a marqué la fin de la tutelle directe et le début d’une gouvernance régionale assumée par les États membres. Il est d’ailleurs symbolique que l’avenue abritant aujourd’hui le siège de la BCEAO à Dakar porte son nom.

La réforme de décembre 2019 a parachevé cette évolution :

- La France ne participe plus à la gouvernance monétaire de l’UEMOA : elle ne siège ni au Comité de politique monétaire, ni au Conseil d’administration de la BCEAO ;

- Les réserves de change ne sont plus centralisées à Paris, mais sont intégralement gérées par la BCEAO au sein de l’espace UEMOA.

Il est également essentiel de dissiper une confusion fréquente : la souveraineté monétaire n’est pas synonyme de fabrication locale des billets. Elle signifie d’abord le pouvoir exclusif d’émettre la monnaie, de conduire la politique monétaire et de réguler le système financier. Le lieu d’impression des billets est une question logistique, non politique.

À cet égard, plusieurs pays africains souverains qui ne font pas partie de l’UEMOA (la Gambie, la Guinée et la Mauritanie) disposent de leur propre monnaie nationale, mais font imprimer leurs billets en Angleterre ou en Allemagne, via des prestataires privés spécialisés. Cela ne remet nullement en cause leur souveraineté. Il en est de même pour les pays de l’UEMOA qui confient à des imprimeurs étrangers la fabrication des billets du franc CFA. La souveraineté réside dans la décision, non dans l’atelier.

L’épisode de 2011 en Côte d’Ivoire, souvent invoqué comme une preuve d’ingérence monétaire, fut avant tout une crise politique grave. La BCEAO a agi en coordination avec les chefs d’État de l’UEMOA et les institutions africaines face à une contestation électorale violente. Ce précédent ne saurait être utilisé pour affirmer une dépendance structurelle des États membres à des décisions arbitraires.

 La BCEAO soutient activement les économies de l’UEMOA

Contrairement aux affirmations souvent relayées, la BCEAO finance effectivement l’économie régionale. En mai 2025, elle a refinancé les banques commerciales à hauteur de près de 8 000 milliards FCFA. En créant des conditions monétaires stables et prévisibles, elle permet aux banques de jouer leur rôle de financement des entreprises et des ménages. Ce modèle est conforme à celui de toute banque centrale moderne : elle ne distribue pas directement de la monnaie aux États, mais veille à préserver la stabilité et la confiance.

Les exemples du Nigeria et du Ghana, deux pays dotés de leur propre monnaie et d’une banque centrale souveraine, sont éclairants. Malgré cette souveraineté formelle, ces deux pays ont été confrontés à des épisodes d’instabilité monétaire, de forte inflation et de dépréciation de leur monnaie, justement parce que leur politique monétaire a manqué de discipline.

Cela prouve que la souveraineté monétaire, mal gérée, peut se retourner contre l’économie nationale. Il ne suffit pas d’avoir sa propre monnaie pour échapper aux règles macroéconomiques de rigueur, de transparence et de crédibilité.

AES et UEMOA : une contradiction stratégique

Il n’est pas cohérent qu’un pays membre de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui affiche son intention de quitter l’UEMOA et le franc CFA, prétende en même temps en assurer la présidence. On ne peut vouloir gouverner une organisation qu’on prévoit de quitter. Et d’ailleurs, personne ne les y retient. Ces États peuvent sortir du CFA, comme ils ont demandé le départ des bases militaires françaises. Ils ont eu le temps de le faire depuis plusieurs années.

Le fait qu’ils ne l’aient pas fait témoigne de deux choses :

- soit ils ne sont pas prêts, techniquement et institutionnellement ;

- soit le coût de la rupture leur semble plus élevé que les avantages annoncés.

Dans tous les cas, les discours anti-CFA relèvent souvent d’une rhétorique populiste, qui évite d’affronter les contraintes concrètes.

Ce qui est regrettable, c’est que ces tensions surgissent au moment même où l’Afrique fait le choix stratégique de l’intégration. Le projet de la monnaie unique ECO porté par la CEDEAO, inscrit dans l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, vise à construire une souveraineté monétaire partagée, bâtie sur la coordination et la convergence des politiques économiques.

Casser l’UEMOA aujourd’hui serait une erreur historique. Il faut au contraire la consolider, la rendre plus inclusive, et la préparer à devenir le socle de l’ECO. C’est par la coopération, la réforme et l’approfondissement institutionnel que nous avancerons.

La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit avec méthode, responsabilité et lucidité. Et elle n’est pas un repli sur soi, ni un rejet des cadres communautaires, mais une capacité collective à maîtriser nos instruments économiques. Le chemin de l’Afrique doit être celui de l’intégration monétaire régionale, non celui de la fragmentation.

C’est dans la stabilité, la discipline macroéconomique, et la solidarité régionale que se trouve l’avenir monétaire de notre continent.

 

Pr Amath NDIAYE

FASEG, UCAD

Expert-membre du Comité de pilotage de

la Commission de l’Union Africaine pour la Création de

la Monnaie Unique Africaine- Abuja 20210- 2012

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