Cet handicapé visuel qui veut révolutionner Médina Sabakh
Il est certes atteint d’une cécité depuis plus d’une décennie, mais, cet état est loin de marquer la fin de sa vie active au sein de la communauté. Pur produit du mouvement ‘’navétane’’ pendant qu’il était voyant et ancien président de l’Association des parents d’élèves du lycée de Médina Sabakh, Cheikh Sadibou Ba, alias Dibeuz, compte s’engager pour les élections locales de janvier prochain, pour permettre à sa commune de se développer.
“Les 5 sens des handicapés sont touchés, mais c’est un 6e qui les délivre. Bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction, ce 6e sens qui apparaît est simplement l’envie de vivre”, dit le slameur, auteur-compositeur et interprète français, Grand Corps Malade. C’est exactement, cette envie de vivre non pas pour soi, mais pour sa communauté qui a poussé, Cheikh Sadibou Ba, plus connu sous le pseudo de ‘’Dibeuz’’ à candidater pour diriger la mairie de Médina Sabakh, une localité qui l’a vu naitre. Et ce travail, il ne veut pas, ne peut pas et ne compte même pas le faire seul.
Au-delà de son handicap, toujours entouré de ses proches qui lui servent de guide et lui permettent de se déplacer avec ou sans l’aide d’une canne, Dibeuz affirme qu’aujourd’hui, il est inadmissible de travailler seul, même si on possède ses cinq sens. ‘’Quand on est maire aveugle, on ne travaille pas seul. On a besoin de gens qui voient pour certaines tâches administratives, d’autres missions qui nécessitent la vue. Donc, on est obligé de partager, d’inclure les autres. Or, sans inclusion, il ne peut avoir de développement ni de transparence. Etant aveugle, on peut conduire une équipe forte, dynamique, cohérente qui arrivera à développer ce pays’’, confie-t-il.
Frappé de cécité, à la suite d’une erreur médicale, Cheikh Sadibou Ba estime que son handicap à un autre avantage. Parce que, quand il demandera à être reçu par le Directeur des Nations unies en tant que maire aveugle, ce dernier le fera. ‘’Si je demande à être reçu par les institutions internationales en tant que maire aveugle, elles n’oseront pas ne pas le faire. Parce qu’il est question de discrimination positive. Donc, je veux faire profiter à Médina Sabakh de cette discrimination positive. Cela va aussi permettre de dire au monde entier qu’on a dépassé le handicap. On est sous l’ère de l’inclusion, du travail d’équipe. Mon handicap a été ma chance. Parce que j’ai appris à allumer l’ordinateur après avoir perdu la vue’’, poursuit-il.
Erreur judiciaire
Quand l’ancien président de l’Association des parents d’élèves du lycée de Médina Sabakh a perdu la vue en France où il se faisait opérer, et qu’on lui a proposé de faire une formation, il se croyait être dans un rêve. Arrivé au lieu où il devait faire la formation, on lui a proposé d’abord de faire un entretien avec un psychologue, parce qu’il s’agit d’un handicap lourd avec lequel, on constate souvent des dérapages psychologiques. ‘’J’ai dit au psychologue que je n’en avais pas besoin. Car, j’ai accepté le handicap depuis le départ. Il n’y croyait pas. Mais, au bout d’une semaine d’entretiens et de travail, il l’a compris. C’est ainsi que j’ai été directement orienté au Centre de formation professionnelle pour malvoyants Paul et Liliane Guinot, en France où j’ai eu mon diplôme. Je sais travailler et je veux profiter de cette compétence, cette expérience pour ma localité’’, narre Cheikh Sadibou Ba, très dynamique pendant sa jeunesse dans le mouvement ‘’navetane’’ à Médina Sabakh.
Si Dibeuz ne se donne pas de limite pour atteindre son objectif, il reconnait cependant que son handicap visuel peut être un frein dans sa quête de devenir maire. Mais, il reste convaincu que s’il est élu maire avec ce handicap, il va avec son équipe ‘’étonner le monde’’. ‘’Etre un maire, c’est lire un rapport et moi je lis les rapports. C’est lire un procès-verbal et non seulement je peux le faire, mais je peux aussi le rédiger. Je peux corriger la mise en forme. J’ai appris les normes américaines et françaises de rédaction de documents administratifs. Beaucoup de gens écrivent des lettres administratives sans connaître les normes réelles. Etre un maire, c’est aussi manager une équipe et je sais aussi le faire pour avoir des résultats. Le handicap sera certes un frein pour avoir le poste, car les gens n’arrivent pas à comprendre, mais, ceux qui m’ont vu à l’œuvre ont compris. J’écris des courriers pour des gens qui n’ont aucun handicap’’, dit-il.
‘’Je compte étonner le Sénégal dans le bon sens’’
Cheikh Sadibou Ba trouve aussi que les yeux servent à écrire et lui, il écrit grâce à l’outil informatique. ‘’Dans le cas des handicaps comme le mien, considéré comme un handicap lourd, nous étonnons le monde. J’ai reçu des missions à Paris, qui sont des cadres français chargés de réfléchir sur ce type de handicap et quand ils m’ont vu manipuler l’outil informatique, ils étaient étonnés. Et c’est ainsi que je compte étonner le Sénégal dans le bon sens’’, poursuit-il.
Face à ses détracteurs qui pensent qu’il va déléguer la mairie une fois élu et retourner en France où il réside, depuis son accident, M. Ba admet que ces derniers ont, en partie, raison. Ainsi, il ne promet pas de rester pendant tout son mandat à Médina Sabakh. Il prévoit de ‘’bouger’’ pour aller chercher des partenaires, tout en faisant de sorte que cette mairie soit gérée de manière ‘’cohérente’’. Etant déjà été conseiller municipal, pendant quelques années, il soutient que s’il reste dans la commune pendant tout le mandat, il aurait ‘’échoué’’.
‘’Je dois voyager pour trouver des partenaires. J’ai envie de faire des résultats. Il faut que je sois entouré d’une équipe à qui, je transmets des connaissances, des compétences et de l’expérience. C’est cela ma mission, pour qu’après moi, les plus jeunes puissent continuer et développer cette localité’’, défend-t-il.
Le dispositif ‘’Déloo sa impôt’’ pour financer les jeunes et les femmes
Avec un programme détaillé dans une cinquantaine de pages, Dibeuz a déjà établi avec son équipe, la liste des priorités auxquelles s’attaquer, dès son accession à la tête de la municipalité. Dans ce dernier, ils ont inventé un dispositif ‘’Délo sa impôt’’. Il s’agit là, pour lui, de corriger ‘’une injustice sociale’’ qui existe au Sénégal. ‘’Tous les Sénégalais doivent payer un impôt du minimum fiscal (Imf) évalué à 950 francs CFA souvent arrondi à 1000 francs CFA. Seuls les habitants du monde rural paient cet impôt en général. Nous allons donc, recouvrer cet impôt. Nous avons fait des études qui nous ont montré qu’on peut aller jusqu’à 30 millions FCFA. Nous allons récupérer cet impôt et l’injecter dans le dispositif de mutualisation en créant un mutuel qui s’appellera le Crédit mutuel pour le développement du Sabakh’’, explique-t-il.
En réalité, il s’agira d’une structure formelle dans le cadre de la microfinance. M. Ba estime que les structures de microfinance qui sont là, au lieu de ‘’corriger l’extrême pauvreté’’ qui existe dans ces zones, ‘’l’approfondissent’’. Ainsi, ils vont créer un système qui va ‘’valoriser’’ l’effort fait par les femmes et les jeunes pour qu’ils puissent accéder au financement, sans intérêt à un taux zéro. Ce travail, il l’a déjà démarré, en travaillant avec les femmes de la zone dans certains projets comme les tontines, etc.
L’emploi étant un problème ‘’très sérieux’’ dans cette localité comme partout au Sénégal, Cheikh Sadibou Ba veut exploiter les niches qui existent dans le Sabakh, notamment avec la transgambienne. ‘’En plus, à Keur Ayib, il y a plus 200 véhicules qui y passent la nuit tous les jours et qui ne paient aucun franc pour la mairie. Ils passent la nuit, salissent les lieux et la municipalité le nettoie. C’est un marché permanent, toutes les nuits, et aucun recouvrement n’est fait. Nous comptons employer au moins une quinzaine de jeunes sur cet axe pour renflouer les caisses de la mairie dans les règles, en délibérant de nouvelles taxes et ce sont les jeunes qui se chargeront de faire ce recouvrement. On va rationaliser tout cela’’, prévoit-il.
Développer le maraichage, organiser les ‘’loumas’’
Pour créer plus de valeur ajoutée et propulser le développement de la commune, tout en créant des emplois, M. Ba relève que l’agriculture maraichère est un secteur à exploiter. ‘’La Gambie s’approvisionne en légumes à Thiaroye. Les gens traversent le Saloum pour s’approvisionner à Dakar. Alors que nous avons des terres et de l’eau, mais, nous n’avons pas des routes. Nous avons le village de Keur Samba Kouta. Keur Samba Kouta est à 16 km de Ndiba Ndiayène sur la transgambienne, et les légumes pourrissent là-bas, faute d’infrastructures. A Pakane et Djiguimar (environ 3 km de Médina Sabakh), pareil. Dans la zone, les jeunes veulent travailler dans l’agriculture. Donc, le marché maraicher, on va l’organiser à Ndiba Ndiayène où se tient tous les jeudis un marché hebdomadaire’’, affirme-t-il.
Il est aussi prévu un autre grand marché entre Médina Sabakh et Keur Abib, pour ‘’concurrencer’’ le louma de Diaobé. Car, Dibeuz soutient que ce qui se fait à Diaobé peut se faire dans sa commune. Il suffit juste de s’organiser. ‘’Les loumas ne sont pas des marchés sauvages. Ils ont besoin d’être organisés. Parce que, presque partout au Sénégal, les mairies ne font que collecter les taxes rurales au niveau des marchés hebdomadaires. Il n’y a aucune organisation, aucun accompagnement des acteurs. Il faudrait renoncer à cette pratique et les organiser. Il faut que la mairie s’implique au niveau de ces marchés hebdomadaires, essaie de les développer, d’y installer des services pour accompagner le commerce’’, ajoute-t-il.
Pour ce candidat à la municipalité de Médina Sabakh, les populations au niveau rural ont besoin de petites unités de développement, de petites unités industrielles d’où la pertinence pour lui, de l’implantation de l’agropole centre qui sera installé dans la commune de Médina Sabakh pour Kaolack, Diourbel et Kaffrine. ‘’La mairie peut accompagner les femmes, surtout dans le cadre de la transformation des produits agricoles et halieutiques et leur exportation. Nous comptons le faire avec des partenaires qui ont déjà de l’expérience dans le domaine, à savoir les Italiens et les Espagnols. Il faudrait inventer une autre façon de faire l’agriculture’’, indique M. Ba.
Cependant, pour organiser, interconnecter les différentes zones de production de cette commune, M. Ba note l’urgence de mettre en place des infrastructures, surtout routières. Même s’il reconnait que la mairie ne peut pas financer ce type de projets. Ils ont, donc, prévu de faire des démarches nécessaires pour le bitumage de la route nationale 4 à Keur Samba Kouta. Un projet dont le financement est déjà acquis, mais qui jusque-là, tarde à démarrer.
‘’Il y a la route qui part de Médina Sabakh au village de Mbapp et celle entre Médina Sabakh et Nganda qui est un axe de développement international. C’est une route qui peut jouer un grand rôle pour le développement de l’agriculture et des autres secteurs. Nous n’allons pas aussi promettre des chimères aux populations. Mais, nous comptons nous impliquer, en partenariat avec l’Etat, les ONG nationales et internationales, pour que ces infrastructures de dernière génération qui ne peuvent plus manquer dans une localité au 21e siècle, arrivent à Médina Sabakh’’, souligne Cheikh Sadibou Ba.
MARIAMA DIEME