Le lâcher-prise de tous les dangers
Comme à son habitude, le président de la République a gardé le suspense sur le candidat qui va reprendre le flambeau, après sa décision de ne pas se présenter pour un troisième mandat en 2024. Ayant su tenir sa coalition depuis plus de 10 ans, il s’apprête à faire l’expérience du lâcher-prise.
"Mes chers compatriotes, ma décision longuement et mûrement réfléchie est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024. Le Sénégal dépasse ma personne et il est rempli de leaders capables de pousser le pays vers l’émergence". En faisant cette déclaration, le 3 juillet 2023, à huit mois de l’élection présidentielle, le président de la République, Macky Sall, a soulagé des millions de Sénégalais du lègue démocratique attendu de sa présidence.
Par la même occasion, il a placé sa coalition politique, Benno Bokk Yaakaar, dans l'embarras. Deux jours plus tôt, recevant une association d'élus locaux de sa mouvance politique, Macky Sall s’est vu supplié par ses hôtes de se présenter à la Présidentielle, sous peine d’un éclatement certain de la coalition qui l’accompagne au pouvoir depuis près de 12 ans.
Ce samedi marque le démarrage officiel de cette période tant redoutée par les tenants du pouvoir : l’après-choix du candidat du régime et les capacités de l’heureux élu à fédérer autour lui.
Si le leader de l’Alliance pour la République (APR) a réussi à tenir sa coalition tout au long de son règne, il s’apprête à un lâcher-prise de tous les dangers.
L’inquiétude des maires et présidents de conseil départemental de la mouvance présidentielle est fondée sur des signes avant-coureurs qui se sont renforcés ces derniers jours. Alors que le président de la République s’apprête à annoncer le nom du candidat de BBY, certains leaders politiques, jusque-là fidèles à Macky Sall, ont déjà jeté l’éponge, comme Youssou Ndour qui a démissionné de son poste de ministre conseiller du président de la République.
Le leader du mouvement Fekke Ma Ci Boole s’est également émancipé de la coalition Benno Bokk Yaakaar. Le président du Conseil d’administration du Groupe Futurs Médias et star planétaire de la musique est un fidèle du président Macky Sall dont il accompagne la politique depuis son élection en 2012, ayant même été nommé ministre du Tourisme et ministre de la Culture dans de précédents gouvernements.
D’autres n’ont pas attendu l’imminence de l’annonce du candidat pour plier bagage. C’est le cas d’Idrissa Seck, arrivé deuxième de la Présidentielle 2019, avant de rejoindre la coalition Benno Bokk Yaakaar en novembre 2020. Remplaçant l’ancienne Première ministre Aminata Touré à la tête du Conseil économique, social et environnemental (Cese), l’ancien numéro deux du PDS a quitté la coalition présidentielle, après les avancées majeures de l’opposition lors des élections locales et législatives de janvier et juillet 2022. Son choix fut également motivé par le silence d’alors du président Macky Sall sur son intention de se présenter ou pas à un troisième mandat et certainement par le fait qu’il n’est pas question que le leader de Rewmi se range derrière un quelconque candidat de Benno Bokk Yaakaar qui ne serait pas lui-même.
Si ces têtes d’affiche alliées du président de la République se sont écartées, pour le moment, d’un soutien aveugle au choix de Macky Sall pour porter les ambitions de la coalition présidentielle, ce n’est guère surprenant, puisqu’au sein même de l’APR, la position du chef ne ferait pas l’unanimité. Malgré l’instruction d’attendre la décision du président du parti sur le futur candidat, les prétendants déroulent déjà leur agenda.
Le Premier ministre Amadou Ba, son prédécesseur Mahammed Boun Abdallah Dionne, le ministre de l’Agriculture Aly Ngouille Ndiaye, le directeur général des Domaines Mame Boye Diao et le président du Cese Abdoulaye Daouda Diallo se sont déjà manifestés. Certains sont même prêts à être candidat quoi qu’il en coûte, avec ou sans la bénédiction du président de la République.
Jusqu’ici, Macky Sall a toujours su maintenir en ordre sa coalition, l’une des plus longues de l’histoire politique du Sénégal. Mais également son parti l’APR. Avec sa mise à l’écart programmée en avril prochain, il va perdre son atout le plus persuasif : le décret présidentiel. Bien qu’un remaniement ministériel ait été annoncé à la suite de la désignation du candidat officiel et le limogeage du gouvernement des ministres récalcitrants au choix du chef, les démons de la division n’ont jamais autant rôdé autour de la coalition présidentielle.
Lors de son face-à-face avec les maires de Benno Bokk Yaakaar, le président Macky Sall avait souligné que la feuille de route pour faire du Sénégal un pays émergent en 2035 était déjà "balisée" et que son ‘’combat et (sa) plus grande fierté est vraiment de vous conduire vers la victoire et de poursuivre notre politique économique au bénéfice de nos populations".
À l’heure du choix de celui qui devra porter cette responsabilité, le défi sera de rallier le plus de monde autour de lui.
Lamine Diouf
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CHOIX DU CANDIDAT DE BBY
Démocratie en pointillé
Macky Sall voyage. Il est revenu de Tanzanie après un séjour au Kenya où il a pris part au Sommet africain sur le climat, en préparation de la Cop28 prévue à Dubaï. Début septembre, il était en visite privée en Arabie saoudite. Ensuite, il avait pris part à une rencontre aux Pays-Bas sur l’adaptation de l’Afrique au changement climatique. À la mi-juillet, il était en Ouganda et au Rwanda. Même rythme de déplacements en juin dernier qui a vu le président de la République séjourner au Portugal, après de très médiatisées visites en Ukraine et en Russie.
Si la présidence de l’Union africaine pouvait expliquer ces périples, il en est autrement de la fréquence actuelle des déplacements de la ‘’Langue de Barbarie’’, l’avion présidentiel.
Sans doute qu’à six mois de passer la main, Macky Sall a besoin de changer régulièrement d’air, tellement l’atmosphère est oppressante dans les rangs de la coalition au pouvoir.
Il aurait ainsi besoin d’altitude, de hauteur, pour mieux apprécier la question terre à terre que lui ont servie ses alliés : désigner le candidat à sa succession. Plusieurs sources annoncent que la décision aura lieu ce samedi et qu’un remaniement ministériel suivra, mais avec l’importante précision que le Premier ministre Amadou Ba restera à son poste, même s’il est le candidat désigné de Benno. Pourquoi ?
Un nouveau Premier ministre aurait fait désordre, la durée de vie de son gouvernement (six mois) étant trop courte pour lui donner du sens et aussi parce qu’un nouveau Premier ministre serait astreint à une déclaration de politique générale sans objet…
Au mitan de cet hivernage 2023, les Sénégalais scrutent donc les nuages pour une autre raison que leur charge pluvieuse. Actuellement, il est question de cumulus au-dessus de la coalition Benno Bokk Yaakaar, qui doit désigner un candidat pour l’élection présidentielle. Le scrutin prévu le 25 février 2024 est toujours conditionné par la décision du président Macky Sall à qui presque tous les responsables de sa majorité ont donné carte blanche pour dénouer l’écheveau.
La succession ne se fera pas par reconduction tacite du camp sortant, mais en proposant une sorte d’alternance. Pour se mettre dans la peau d’un présidentiable sérieux, il faut nécessairement affirmer sa personnalité, se différencier, s’autonomiser, d’autant qu’il aura dans l’esprit des électeurs la charge d’incarner et d’assumer les douze ans de Macky Sall au pouvoir.
AMADOU FALL