Samba Gadjigo immortalise Sembène
Sembène, un nom qui s’est labellisé, une vie romanesque immortalisée par Samba Gadjigo, professeur de français et de littérature africaine à l’université Mont Collège aux Usa. Ce, à travers un documentaire de 83 minutes, qu’il a réalisé avec le cinéaste américain Jason Silverman.
La belle randonnée visuelle démarre par une remarque : ‘’Quel gâchis !’’ s’exclame l’auteur. Le biographe de l’écrivain et scénariste décédé en 2007 ne pouvait pas mieux dire lorsqu’il met en relief, dès l’entame du documentaire, le legs en abandon d’Ousmane Sembène, qui a cherché, à travers ses œuvres, à contribuer à une nouvelle impulsion de l’Afrique.
Pour éviter que l’héritage ne ‘’pourrisse’’, Samba Gadjigo a pris le soin de redonner une nouvelle vie à son compagnon de 17 ans en rassemblant tous les documents d’archives et autres extraits de ses films. Une dette envers celui qui lui a insufflé l’envie d’être africain ?
‘’A 14 ans, je rêvais de devenir français, mais à 17 ans, j’ai découvert les récits de Sembène, à travers son livre Les bouts de bois de Dieu. Les personnages reflétaient ce que ma grand-mère m’enseignait à travers ses contes. C’est grâce aux ouvrages du père du cinéma africain que j’ai voulu être africain.’’
L’homme était découragé par cette Afrique moribonde qu’il découvre dans des manuels, Sembène lui montre une image étincelante d’un continent noir appelé à compter sur ses fils, en s’appuyant sur ces valeurs autochtones, pour se hisser à un palier supérieur. Un cinéma militant qui pousse Sembène, auteur de célèbres romans, à réaliser le premier film africain pour les Africains sur ses fonds propres. ‘’Borom Saret’’, en 1962. Le premier court métrage, amorce une rupture. D’autres productions vont suivre pour encourager une reconstruction identitaire. Hélas ! pour l’ancien docker de Marseille, qui a impressionné son monde par son audace et son militantisme, l’élite africaine n’a pas su suivre cette voie. La plupart de ses productions seront une réponse protestataire à ceux-là qui ont trahi le pouvoir du peuple, brisé des rêves.
‘’La noire de’’, ‘’Emitai’’, ‘’Xala’’, ‘’Ceddo’’, ‘’Camp de Thiaroye’’, ‘’Guelwar’’, ‘’Fat kiné’’, ‘’Moladé’’, autant de films qui ont marqué des esprits. Certains ont choqué et ont été censurés, mais cela n’a jamais découragé le panafricaniste Sembène, convaincu que ‘’les noirs ont besoin de leur cinéma et qu’ils ont leurs héros’’.
Sembène, c’est aussi ce révolutionnaire qui n’a dû se plier à la fragilité de l’humain qu’en rendant l’âme. ‘’Aide-moi Nafi, je suis fatigué…’’, a-t-il dit, en dernier, à sa femme de ménage. Dire que toute sa vie, il s’est refusé à tendre la main à qui que ce soit, invitant l’Afrique à bannir le culte de la main tendue.
De l’intelligence aigüe de Sembène ont germé des œuvres littéraires et cinématographiques qui lui ont valu des consécrations et tant d’autres honneurs. Mais l’homme, critiqué vertement, n’hésitait pas à asséner des vérités crues : ‘’Je suis prêt à coucher avec le diable pour réaliser mes films.’’ C’était en réponse à ses cadets cinéastes, dont Boubacar Boris Diop, qui lui reprochaient d’avoir plagié leurs idées pour réaliser son célèbre ‘’Camp de Thiaroye’’. Boris, à l’époque jeune écrivain, qui avait déjà mûri son ’’Thiaroye 44’’, avait une dent contre un héros adulé dans le monde pour son style novateur. ‘’Jamais, je ne pourrai respecter cet homme’’, lâche-t-il. Il a fini par diluer cette colère au fil des ans, en raison de la grandeur de cet homme qui a cherché à toujours être le meilleur de sa génération. Boris de souligner, dans le film, qu’il s’est senti orphelin à l’annonce du décès de Sembène.
‘’Sembène’’, un film à réflexion, qui encourage un réveil des consciences africaines, qui entraîne aussi dans les errances d’un homme qui a mis son travail au-dessus de tout.
L’auteur, Samba Gadjigo, magnifie à travers ce documentaire la vie et l’œuvre d’un ancien mécanicien, maçon, tirailleur sénégalais, renvoyé de l’école à l’âge de 13 ans pour avoir giflé un maître qui l’avait accusé à tort, mais qui est parvenu à gravir de hautes marches….
‘’Ousmane Sembène : une conscience africaine’’ est disponible au Centre de recherche ouest africain (Warc). Même si l’accueil à Dakar a été timide, le film fait son chemin dans le monde.
Matel BOCOUM