Les députés estiment que Moussa Baldé ‘’peut mieux faire’’
Saluant, pour la plupart, les efforts de la tutelle, les élus locaux ont demandé plus de moyens en faveur de l’essor de l’agriculture. Insistant sur les spécificités des différentes régions, ils ont plaidé pour une meilleure distribution du matériel agricole. Ils doutent toutefois de l’atteinte d’une autosuffisance en riz, vu les politiques mal structurées.
L’Agriculture empoche, pour l’année 2021, un budget d’environ 170 milliards de francs CFA. L’épine dorsale de l’économie sénégalaise se retrouve ainsi avec une augmentation de 20 milliards de francs CFA, par rapport à l’année dernière. Si, dans l’ensemble, les députés ont reconnu les avancées en termes de matériel agricole et de distribution des intrants agricoles, beaucoup s’inquiètent de l’absence d’une maîtrise de l’eau. Un paramètre indispensable dans l’essor de l’agriculture sénégalaise qui, malheureusement, est encore ‘’saisonnière’’, déplore le député Toussaint Manga. Le parlementaire renchérit : ‘’Nous n’atteindrons jamais nos objectifs, tant que nous n’avons pas la maîtrise de l’eau.’’
Plusieurs de ses collègues préconisent la mise en place de bassins de rétention accompagnés de techniques d’irrigation, afin de faciliter l’agriculture de contre-saison. Les élus locaux de Tambacounda et de Bakel plaident pour leur implication dans les grands projets de l’Etat et insistent sur la distribution de tracteurs adaptés à chaque région. De l’avis de l’honorable Oulimata Guiro, ‘’tout ne marche pas dans ce secteur’’. ‘’Je pense que, poursuit-elle, s’adressant au ministre, vous devriez avoir 30 % du budget du Sénégal, vu l’importance de l’agriculture. Vous êtes la solution, mais vous avez beaucoup de problèmes. Si ce secteur marche, le Sénégal marche également. Mais il manque de beaucoup de moyens. A Bakel, nous n’avons pas vu de machines. Il faut une augmentation des tracteurs et aller vers la mécanisation de l’agriculture, ce qui va réduire les dépenses. C’est non seulement un gain de temps et le travail va demander moins d’efforts’’.
Par ailleurs, l’hémicycle demande un appui budgétaire conséquent aux différentes structures agricoles telles que l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra), la Direction de la protection des végétaux (DPV), l’Agence nationale de conseil agricole et rural (Ancar), la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé (Saed), la Société de développement agricole et industriel du Sénégal (Sodagri) et les directions régionales de développement rural (DRDR).
‘’L’agriculture doit être rentable’’
Cette année, la filière arachide a bénéficié de 53 707 tonnes de semences certifiées et de près de 80 000 tonnes d’engrais. Une production de 1,8 million de tonnes est attendue. Toutefois, l’hémicycle s’accorde sur le fait que l’accord avec la Chine en matière d’exportation est loin d’être à l’avantage du Sénégal, car le pays n’intervient sur aucune des chaînes de valeur et s’enrichit donc sur le dos du Sénégal.
D’un autre côté, le prix au producteur du kilogramme, fixé à 250 F CFA, semble satisfaire les élus, à quelques exceptions près. C’est le cas du député Mamadou Lamine Diallo qui soutient que ‘’c’est une erreur coloniale de continuer à fixer le prix de l’arachide, quand le paysan a fini de produire. Ce n’est pas de l’économie agricole, le prix doit être fixé avant. L’agriculture doit être rentable. Il faut faire de l’économie agricole. Je salue l’initiative des fermes de l’Anida, mais il nous faut sortir de l’accord avec la Chine. Elle est plus forte que nous et c’est elle qui s’enrichit. Or, les huileries doivent être soutenues et protégées’’.
‘’On a décidé de taxer les exportations
A en croire la tutelle, toutes les conditions sont réunies pour que la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos) puisse avoir les financements pour acheter de l’arachide. En outre, selon le ministre Moussa Baldé, l’entreprise ne compte plus de bons impayés. Face aux multiples pertes observées dans certaines régions (5 000 hectares dans le Walo) provoquées par des animaux ravageurs (rats, oiseaux), le ministre de l’Agriculture prévoit de doter la DPV d’un avion afin de lutter contre les oiseaux granivores et de parer à l’éventualité d’une invasion acridienne.
Il promet un accompagnement financier aux producteurs du Walo qui ont perdu une bonne partie de leurs cultures, en raison d’une pluie trop abondante. Leurs élus les estiment à près de 7 000 hectares. Par ailleurs, la production agricole a enregistré un apport de 2 000 tracteurs.
‘’La commercialisation de l’arachide a commencé le 23 novembre et son arrêt est prévu pour le 25 mai 2021. Donc, de grâce, d’ici là, il faut arrêter de tirer des conclusions hâtives. La Sonacos est mieux préparée que l’année dernière. Le prix officiel de 250 F CFA est rentable et on a décidé de taxer les exportations. Cette taxe va revenir aux producteurs. Elle va nous permettre de renforcer notre capital semencier en arachide pour préserver cette filière. De manière globale, la production céréalière connaît une hausse de 38 %. Les exportations durant la campagne précédente ont rapporté 111 milliards de francs CFA aux agriculteurs. La campagne se déroulera très bien, au grand bénéfice du producteur’’, affirme l’autorité.
‘’L’autosuffisance en riz, c’est également un comportement’’
L’autosuffisance en riz s’est évidemment invitée au débat. L’échéance de 2017 ayant été largement dépassée, les députés s’interrogent sur les raisons d’un tel ‘’échec’’.
Mais pour la tutelle, cette autosuffisance est atteinte d’une certaine manière. ‘’En 2012, le Sénégal produisait 400 000 tonnes de riz. Mais cette année, on est à un million de plus. Donc, certes, numériquement, on n’a pas atteint l’autosuffisance en riz, mais il faut relativiser. Un Sénégalais lambda consomme en moyenne 90 kg de riz par an. Le calcul est vite fait pour savoir quelle quantité suffirait au Sénégal. L’autosuffisance, c’est l’accès au riz local, c’est-à-dire pouvoir trouver la denrée en boutique. Mais il y a encore des Sénégalais qui pensent que pour préparer le ‘thiebou djeune’, il est préférable d’avoir le riz importé. Donc, l’autosuffisance n’est pas seulement numérique, c’est également un comportement’’, s’est défendu Moussa Baldé.
Il poursuit : ‘’On n’a pas atteint l’autosuffisance numérique en riz, parce qu’on n’a pas pu faire la double culture intégrale. Il y a des réajustements à faire à ce niveau.’’ A en croire le ministre, le barrage d’Affigname, en Casamance, sera réhabilité sous peu. Convaincu que d’ici quelques années, le riz produit ne pourrait suffire à toute la population sénégalaise qui passera à 50 millions d’habitants, Moussa Baldé préconise une diversification des cultures. Principalement celles du mil adaptées aux changements climatiques et le maïs.
Concernant les importations de riz, il ajoute que tout ce qui est importé via le port de Dakar n’est pas destiné au Sénégal. Une bonne partie se retrouve au Mali. Par ailleurs, Moussa Baldé envisage la réhabilitation des locaux des DRDR, ainsi que la création d’au moins 100 000 emplois, d’ici trois ans, pour les jeunes, grâce à l’Agence nationale d’insertion et de développement agricole.
Tout comme la pêche, les mauvaises politiques de son secteur arrachent, selon les députés, tout espoir aux jeunes qui se tournent vers l’émigration clandestine. ‘’C’est facile, répond-il, d’accuser le gouvernement, mais tout le monde doit tenir un discours responsable et dire aux jeunes que les travaux qu’ils vont faire en Europe sont plus durs que ce qu’on trouve au Sénégal. Nos grands-parents ont creusé des routes pour le métro et nous, on veut prolonger cela, en allant cueillir des tomates en Espagne’’.
DEPUTE DETHIE FALL ‘’Le chômage doit impérativement être réglé par l’agriculture’’ ‘’La plupart de nos jeunes disparaissent en mer par désespoir de cause. Et pourtant, vous avez une partie de la solution entre vos mains. Mais cela implique que, désormais, la vision du président de la République dépasse, enfin, Diamnadio pour rejoindre la vallée du fleuve Sénégal, les quais de l’Anambé. Je vais vous donner un exemple très simple. Vous avez la facture céréalière de ces dernières années à 200 et 300 milliards par an. Si le Sénégal traduisait cela en chiffres d’affaires - les économistes savent ce que je dis - on peut réserver les 30 à 40 % de ce pactole. Ce qui équivaudrait à 90 milliards. Même si on prend un jeune en lui allouant 3 millions de salaire annuel (entre 250 000 et 300 000 F CFA mensuels), on aurait presque sorti tous ces jeunes du chômage. Donc, on est en train d’enrichir d’autres personnes, alors qu’on peut régler la question du chômage à l’intérieur du pays et la souveraineté alimentaire. Mais cette facture est beaucoup plus élevée que le budget alloué à l’agriculture, à l’économie rurale, à l’élevage. Comment peut-on comprendre, chers collègues, après 60 ans d’indépendance, 60 % de nos compatriotes restent encore au niveau 1 du classement des besoins de la pyramide de ’mass low’ ? Ils ont aujourd’hui et encore des préoccupations de vente (besoins élémentaires) exposées aux cours mondiaux. Et rien n’est fait. Selon les données de la Banque mondiale, le secteur primaire participait au PIB à hauteur de 16 % en 2010 et en 2019 à 15 %. Là où les services sont à 50, voire 70 %, alors que l’agriculture pourvoyeuse d’emplois doit être le moteur de notre développement. Mais on est encore là à gérer des intrants, distribution des semences entre riches et amis et gouvernants, là où justement le paysan (du fin fond du pays) a besoin de ces intrants et ne les voit pas. Et nos préoccupations restent à ce niveau. Ce sont des choses qu’il faut fondamentalement régler le plus vite possible. Nous, députés, sommes interpellés. Nous sommes face à nos responsabilités. Nous ne devons pas les fuir, et ces responsabilités sont, en premier, entre les mains de nos gouvernants et le président de la République Macky Sall. Le chômage doit impérativement être réglé par l’agriculture et nous affranchir du manque de souveraineté qui nous a, brutalement, mis devant nos faiblesses, à l’apparition de la Covid-19.’’ |
EMMANUELLA MARAME FAYE