L’APR en profite autant que les régions
Partout où a été organisé un Conseil des ministres délocalisé, le chef de l’État, Makcy Sall, a fait d’une pierre deux coups. Si l’action gouvernementale en direction du développement des régions a été réaffirmée et chiffrée, le débauchage de responsables politiques adverses, l’enrôlement de nouveaux militants et le crêpage de chignon entre ''apéristes'' constituent la face cachée de ces pérégrinations assez coûteuses pour le contribuable.
Après la série des trois premiers Conseils des ministres délocalisés en juin 2012 à Saint-Louis, Kaolack, Ziguinchor, puis Diourbel en juillet, une pause avait été marquée jusqu’en décembre 2012 quand Louga a reçu le cinquième Conseil. Le 21 mars 2013, le président de la République a présidé, à Matam, le sixième raout de l'exécutif et, comme lors des précédents, les promesses, le folklore et la forte mobilisation ont été au rendez-vous. Le septième a eu lieu à Kolda, le 18 avril dernier, suivi dans la foulée du huitième, ce 25 avril, à Tambacounda.
Il est évident que ce marathon que ne freine que la saison des pluies est loin de n’avoir pour utilité que le développement de régions déshéritées et un rapprochement de l’administration des administrés. Puisque la politique de décentralisation et de déconcentration est presque parfaite aujourd’hui, avec les collectivités locales dont les compétences s’élargissent de plus en plus et les autorités déconcentrées que sont les gouverneurs, préfets et sous-préfets qui sont à leurs postes pour représenter le chef de l’État, le Premier ministre et les ministres.
Le président Macky Sall, qui, rappelons-le, ne s’est pas départi de son manteau de chef de parti, profite donc de ces déplacements à l’intérieur du pays pour tâter le pouls politique des régions et soupeser le poids de sa formation, l’Alliance pour la République (Apr) dans le landerneau local. Et c’est l’occasion, pour les responsables locaux, de rivaliser d’ardeur à l’accueil du chef de l’État, chef de parti, mobilisant les foules, leur faisant arborer des T-shirts beige-marron à l’effigie de Macky Sall et brandir des pancartes aux slogans de campagne électorale. Les visites de proximité, qui sont faites par le président de la République en marge des Conseils des ministres délocalisés, rappellent à bien des égards la pêche aux voix lors des campagnes électorales.
Harona Dia tient les cordons de la... bourse
Et s’il y a quelqu’un dans l’entourage du président Macky Sall à jouer un rôle de premier plan dans cette quête de nouveaux militants et de voix en direction des prochaines élections locales, c’est bien l’homme d’affaires Harona Dia. Nos sources nous indiquent que c’est lui qui tient les cordons de la bourse et qui distribue, sans compter, les espèces sonnantes et trébuchantes pour débaucher des responsables locaux dans les camps adverses, mais aussi des alliés, au seul bénéfice de l’Apr. L’argent joue donc un rôle de premier plan lors de ces déplacements à double vitesse du chef de l’État, de tout le gouvernement, de députés, de Directeurs généraux d’agences, de sociétés publiques et autres hauts fonctionnaires.
Concernant le développement des régions et son financement, Macky Sall a soutenu à Kolda : ''Je peux vous dire que 60% du financement existe. Nous n’avons pas de difficultés par rapport aux montants déjà engagés. Vous voyez qu’on est à 1.500,62 milliards de francs sur plus de 5.000 milliards que nous devons mobiliser d’ici 2017'', a-t-il dit, à la fin du Conseil des ministres délocalisé, tenu le 18 avril dernier. Il a rappelé que depuis le début de la tenue des Conseils des ministres délocalisés au mois de juin 2012, l’engagement à Saint-Louis était de 350,700 milliards, Kaolack 254 milliards, Diourbel 209 milliards, 360 milliards pour Ziguinchor, 100 milliards pour Louga, 126 milliards pour Matam et 204,500 milliards pour Kolda. ''Cela fait un total de 1.500, 62 milliards que nous allons réalisés dans le cadre du Programme triennal d’investissements prioritaires (PTIP). Je vous rappelle que dans le cadre de la Stratégie nationale de développement économique et social, le Sénégal va mobiliser plus de 5.000 milliards. C’est au mois d’octobre à Paris (France) à travers un groupe consultatif que nous allons finaliser la globalité de ce financement'', a expliqué le chef de l’État.
C’est profitable, certes, aux régions bénéficiaires si tous les projets vont jusqu’à leur terme. Mais d’aucuns diront que tout cela pouvait être réglé depuis Dakar, sans avoir besoin de déplacer la République et de susciter des dépenses superflues, au moment où le Trésor public éprouve quelques tensions. En fin de compte, les Conseils de ministres délocalisés sont plus des moments politiciens que des moments de développement.
Dans toutes les régions qui les ont abrités, ministres, directeurs de services ou d‘agences nationaux, élus locaux et nationaux, populations, se sont plutôt préoccupés de mobiliser les foules pour l’accueil du président de la République. L’exemple le plus patent est donné par Farba Ngom, député et griot attitré du Président Macky Sall. À l’étape de Matam, il s’est permis d’éclipser tous les responsables régionaux de l’Apr, mobilisant des foules à l’accueil du chef de l’État, faisant jouer des biceps aux membres de sa propre sécurité. À Kaolack, le fait de reloger les commerçants pour 6 mois au Cœur de la ville n’est point innocent, comme cette promesse d’aider les conducteurs de motos dits Jakarta dans l’acquisition de leurs engins. Et partout où s’est déroulé un Conseil des ministres délocalisé, les mallettes ont circulé et l’argent distribué, comme du temps de Wade, pour débaucher des responsables d’autres partis ou appâter des notabilités et des chefs religieux. L’exemple nous vient de Kolda dernièrement, où la trentaine de millions distribués pour l’accueil du chef de l’État a semé la zizanie au sein de l’Apr, quand il s’est agi de les partager.
Pour dire, comme Mody Niang, que ''les Conseils de ministres délocalisés ne sont donc pas en accord avec les engagements du candidat Macky Sall. Ils ne sont ni sobres, ni efficaces. Ils prennent plutôt, de plus en plus, l’allure d’une balade politicienne, folklorique, déplaçant pratiquement une bonne partie de la République, et nous coûtant un temps précieux et des centaines de millions, qui auraient pu être utilisés à bien meilleur escient''.
Gaston COLY