Entre concret et ‘’abstrait’’
Depuis le début de la 12e édition de la Biennale de l’art contemporain de Dakar, nombreux sont les amoureux des arts à demander que l’ancien Palais de justice, sis au Cap-Manuel, soit transformé en un musée d’art contemporain. Interrogé par EnQuête, quelques acteurs donnent ici leurs avis sur la faisabilité du projet et ses débouchés.
Murs repeints, carrelage dépoussiéré, l’ancien Palais de justice redevient fréquentable. Actuellement, il reçoit l’exposition In de la 12e édition de la Biennale de l’art contemporain africain (Dak’Art). Ainsi sublimés, ces lieux donnent des idées aux amoureux des arts.
En effet, à l’ouverture de ce présent Dak’Art, le président du comité d’orientation de la Biennale a demandé solennellement au Président Macky Sall de faire de ce site un musée d’art contemporain. Baïdy Agne trouve qu’il manque au Sénégal un espace qui soit à la hauteur du rayonnement de l’art contemporain sénégalais. Requête à laquelle le chef de l’Etat n’a pas donné écho le même jour. Il ne semblait d’ailleurs pas emballé par l’idée puisque dans son discours, il a tenu à rappeler que le musée Moribana est dédié à l’art contemporain.
Cependant, cette réflexion de Baïdy Agne est partagée par beaucoup d’autres acteurs du secteur. Depuis l’ouverture de la Biennale, à presque toutes les rencontres organisées dans le cadre du Dak’Art, cette idée est agitée. ‘’Il faut suivre les choses et insister pour que les priorités ne soient pas ailleurs demain. Il faut que l’ancien Palais de justice soit érigé en musée d’art contemporain’’, a plaidé vendredi passé le directeur artistique du Dak’Art, Simon Njami. Invité à animer avec d’autres une conférence sur la circulation et la commercialisation des œuvres d’art en Afrique organisée par Kalidou Kassé initiateur du marché international d’art de Dakar, l’économiste Siré Sy a lui aussi fait une proposition allant dans ce sens. Seulement, son projet va plus loin. Car, il conseille qu’on fasse de cet espace un musée d’arts visuels. Quoi qu’il en soit, cette proposition agrée les peintres.
Joint hier par EnQuête, le président de l’association nationale des artistes plasticiens du Sénégal, Viyé Diba, juge la suggestion bonne. Car estime-t-il, ‘’ Notre pays a grandement besoin de ça. C’est le projet le plus pertinent. C’est la suite logique de la Biennale. Ce serait magnifique de le faire’’. Dans la même logique, il déclare : ‘’La position historique, l’envergure du bâtiment et l’environnement sont favorables à ce projet.’’ Un avis que partage son collègue Babacar Mbaye Diouf : ‘’En tant qu’artiste, je pense qu’on gagnerait plus à garder ce bâtiment. Il est d’une architecture originale et l’on éprouve un grand plaisir d’être dans des locaux comme ceux-là.’’
En effet, l’ossature de la bâtisse date de l’époque coloniale. Aussi cette construction a-t-elle abrité une partie de l’histoire du Sénégal après les indépendances. ‘’Cette architecture appartient à l’époque coloniale. Ce bâtiment a plusieurs fonctions. De grandes personnalités y sont passées’’, rappelle Viyé Diba. Il fait ainsi référence au juge Kéba Mbaye qui y a prononcé bien des décisions juridiques. Il a également reçu l’exposition internationale organisée en 1966 dans le cadre de la première édition du Festival mondial des arts nègres. ‘’L’art a besoin de lieu de mémoires’’, indique Viyé Diba. Quoi de mieux alors que ce lieu plein d’histoire. ‘’Je n’ai pas encore eu vent de cette proposition mais si c’est le cas, je n’y trouve aucun inconvénient. L’essentiel, c’est de trouver un musée contemporain qui répond aux critères d’un véritable musée et simplement de préparer la jeune génération’’, dit le peintre Kalidou Kassé.
Par ailleurs, même si les artistes trouvent l’idée bonne, la rendre effective ne sera pas aussi facile que le pensent certains. Des problèmes écologiques s’imposent. Avec l’érosion côtière, il y a des fissures dans certains coins de cette construction. La bâtisse serait en train de s’affaisser, dit-on. Certains artistes comme Viyé Diba sont au courant de cet écueil. ‘’Le seul problème est d’ordre physique. Dans cet espace, le soleil est instable. C’est pour cela que les magistrats sont partis. S’il faut rénover il faut un bon ingénieur pour prendre cela en compte’’, avise-t-il. Embouchant la même trompette, Babacar Mbaye Diouf signale : ‘’Je pense que si le projet est bien mûri, c’est possible d’occuper ce site avec l’aide de nos architectes. Ce n’est pas la première fois qu’ils travaillent sur des bâtiments comme celui-là en termes de restauration. Actuellement, la technique est très poussée et prend en compte les problèmes liés aux effets climatiques, l’érosion etc.’’.
‘’Un musée coûte excessivement cher’’
Au-delà de ce problème physique, il faut prendre en compte d’autres paramètres. ‘’Un musée d’art demande des préalables, des études sérieuses pour être dans les normes d’un musée parce qu’un musée coûte excessivement cher’’, prévient le ‘’Pinceau du Sahel’’. A son avis, ‘’cet ancien palais de justice demanderait des études sérieuses. Il faut que l’on mette les moyens pour en faire un musée parce que là, c’est une exposition occasionnelle pour la Biennale mais sur le plan sécuritaire, rien n’a été fait. Et de ce fait, on aura un musée qui aura un autre aspect économique avec des retombées qui pourront préparer les générations futures’’.
C’est pour cela qu’il propose de chercher un site vierge dans la ‘’cité émergente’’. ‘’Je pense qu’on pourrait délocaliser cet espace vers Diamniadio, faire appel à des architectes pour nous construire un musée d’art moderne. Mais pas d’un musée qui a été construit en 1960. Je préfère que l’on fasse des études sérieuses, que l’on prenne le temps de le construire afin que ça soit un musée qui correspond à notre ère, à notre époque. Qu’il soit fait avec des installations modernes parce qu’il y a assez d’espace à Diamniadio. Je suis d’avis qu’il faut délocaliser puisqu’on a l’aéroport de Diass à côté. Imaginez des gens qui se déplacent jusqu’au cap Manuel pour retourner à l’aéroport de Dakar, c’est trop loin. Et à Diamniadio on pourrait avoir l’espace voulu’’, propose-t-il.
Quel qu’en soit le cas, le Sénégal ne peut pas abriter la seule Biennale africaine reconnue alors que ses artistes n’ont pas d’espaces pour faire voir leur travail comme il se doit. ‘’On a besoin d’un musée parce qu’on crée mais on n’a pas un lieu d’exposition. Et l’œuvre évolue avec son époque. Autrement dit, elle doit témoigner de notre époque’’, selon Babacar Mbaye Diouf. Ce que confirme Viyé Diba. ‘’Un musée d’art contemporain est un lieu où le patrimoine culturel doit être visité’’, d’après ce dernier. Et cela va permettre de ‘’faire le point sur la pensée artistique africaine’’, à l’en croire. De plus, ‘’ vu qu’on a un musée des civilisations noires, ça serait bien aussi d’avoir un musée d’art contemporain pour permettre aux artistes de présenter leurs œuvres dans cet espace et de recevoir leurs collègues qui viennent de l’étranger. Ce sera un plus, un pas très important qui peut booster l’économie de l’art au Sénégal’’, pense Kalidou Kassé.
BIGUE BOB