Publié le 21 Jul 2023 - 20:19
CREI

Enterrement de première classe d’une juridiction maudite !

 

De sa création à son abrogation, la Cour de répression de l’enrichissement illicite a eu à faire l’objet de vives controverses… Abandonnée très vite par les socialistes, suite à la peur des magistrats qui ne voulaient pas la présider à cause des disparitions mystérieuses de ses membres, elle a été ignorée par Wade, avant d’être ressuscitée par Macky Sall. Le ministre de la Justice a salué, hier, le courage de son dernier président Henri Grégoire Diop, disparu en même temps que la juridiction.

 

La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) est morte, vive le Pool judiciaire financier (PJF). L’Assemblée nationale en a ainsi décidé, hier, avec plus de 120 députés sur les 165 que compte l’Assemblée nationale. Créée en 1981 par le régime socialiste, sous le président Abdou Diouf, la juridiction spéciale n’aura connu que trois ou quatre affaires, durant ses plus de 40 ans d’existence. Au début des années 1980, juste après sa création, la Crei avait en effet connu principalement des cas de deux directeurs généraux, en l’occurrence Bécaye Sène (réputé proche de Babacar Ba, dignitaire socialiste et rival de Diouf) et Baba Dioum, respectivement directeurs généraux de la Banque de l’habitat du Sénégal et de la Société nationale des forages, avant d’être rangé dans les tiroirs.

Au-delà des limites juridiques objectives de la loi portant création de la Crei, le ministre de la Justice Ismaila Madior Fall a également rappelé, hier, des considérations mystérieuses qui ont jalonné l’existence de cette juridiction d’exception. Rendant hommage au défunt président de la cour, Henri Grégoire Diop, décédé le jour où l’on examinait à l’Assemblée nationale le projet de loi, il déclare : ‘’Il faut aussi le dire dans l’évaluation, au temps des socialistes, une des raisons pour lesquelles elle a été abandonnée, c’est que les gens avaient peur de la Crei, parce qu’il se racontait des choses sur la cour. Mais le président Henri Grégoire a eu le courage de présider la juridiction ; il a eu le courage de répondre à l’appel de la justice. Parce que si tout le monde avait peur, la justice ne fonctionnerait pas…’’

Dans une lettre publiée dans la presse le 18 aout 2014, en plein procès Karim Wade, Nafissatou Diallo, responsable de la communication du PDS, rappelait d’ailleurs cette période sombre de la juridiction. ‘’La Cour de répression de l’enrichissement illicite d’Abdou Diouf, disait-elle, après trois ans d’activités et seulement trois dossiers bouclés, s’était simplement sabordée, à la suite de nombreux décès et autres affectations suspects. Présidée par le magistrat Gilbert André, nommé à la suite de nombreux désistements de juges pressentis, la Crei avait parmi ses assesseurs un certain Papa Maguèye Guèye, tandis que le juge Youssouf Sakho en était le procureur spécial. A la tête de sa brigade d’instruction, le commissaire Cheikh Bâ’’.

Un bon levier de lutte contre la prévarication des deniers publics

Selon la responsable libérale, toutes ces personnes sont aujourd’hui dans l’au-delà et ont perdu la vie pendant même la courte durée de vie de l’ancienne cour, qui n’avait pas fini d’instruire certains dossiers qualifiés de ‘’trop sensibles’’.

‘’Si les trois premiers ont disparu naturellement, le policier (Cheikh Ba), lui, est mort en mission commandée en Irak, d’un coup de feu reçu dans sa chambre d’hôtel. Et on avait vite fait de lier ce crime aux décès surprenants des autres membres de la Crei’’, fulminait la Karimiste, qui cite également parmi les victimes un technicien du théâtre national Daniel Sorano du nom de Mamadou Gassama, en plus de MM Sène et Dioum. ‘’Monsieur le Président de la Crei, voilà le contexte de création de juridictions d’exception en matière d’enrichissement. Cependant, après avoir longuement devisé sur l’aspect historique et contextuel de leur création, j’aimerais aborder le volet juridique’’, soulignait-elle, interpellant nommément le président Henri Grégoire, qui est décédé au même moment que la Crei.

Cette lettre a été écrite au moment où la juridiction traitait le cas de sa toute dernière victime, en l’occurrence Karim Wade. Alors la position du Parti démocratique sénégalais, et en particulier de leur candidat, était très attendue lors des débats de ce jeudi. Tour à tour, les libéraux se sont plus félicités de cette disparition de la juridiction controversée qu’ils considèrent comme leur victoire. Nafi Diallo de rapporter : ‘’Ce qui nous intéresse au PDS, c’est le Sénégal. Ç’aurait été certains, ils n’allaient jamais voter cette loi, ils allaient prôner son maintien, dans l’espoir de se venger. Mais la principale victime, Karim Wade, quand je lui en ai parlé, il m’a dit : ’La Crei n’est pas une bonne chose pour le Sénégal ; aucun citoyen sénégalais ne doit subir ce que j’ai subi.’

Répondant à ceux qui, parlant du dialogue, soutiennent qu’il a été un prétexte pour absoudre les péchés des voleurs, elle rétorque : ‘’Je rappelle que Karim n’a jamais été condamné ni pour vol ni pour détournement de deniers publics. On a pris tous les biens de Bibo Bourgi, issu d’une famille milliardaire, et on a dit que tous ses biens appartiennent à Karim Wade. Je rappelle que Karim Wade a été audité. On lui a envoyé l’IGE, la Cour des comptes ; c’est en prison qu’il a répondu à toutes les questions. Et on lui a donné un quitus.’’

Bara Gaye : ‘’Notre cœur saigne aujourd’hui’’

Dans son intervention, le président du groupe de la majorité, Oumar Youm, a tenu à remettre les choses à l’endroit. Pour lui, la Crei était une bonne chose, malgré ses limites et qu’en son temps, même les députés de l’opposition, notamment du PDS, l’avaient soutenue. ‘’L’intention était de lutter contre la prévarication des deniers publics. Ils (les gouvernants de l’époque) ont donc mis en place deux lois : une première qui incrimine l’enrichissement illicite. Une deuxième qui crée la Crei. Et le PDS n’était pas contre la loi, à l’époque. Dès lors, c’était devenu une loi du peuple sénégalais et en tant que tel, était tout à fait applicable. Et 22 ans après, cette infraction était consacrée par l’ONU, à travers la Convention de Mérida.  Il faut donc rendre hommage aux hommes d’État qui ont été à l’origine de cette loi, dans le but de préserver les deniers publics. Maintenant, il s’agit juste de le moderniser, en le rendant conforme aux exigences de l’heure’’, soutient Me Youm, qui corrige : ‘’L’enrichissement illicite n’est pas supprimé. Nous n’avons pas peur d’être poursuivis. Nous avons créé une chambre spéciale qui est compétente pour plusieurs infractions, dont l’enrichissement illicite. On ne se débine donc pas. C’est faux de prétendre qu’on veut se soustraire.’’

Pour sa part, Bara Gaye a eu un sentiment bien particulier en ce jour marquant la suppression de la Crei. Des 165 députés de l’Assemblée nationale, il est, comme il l’a rappelé, le seul à avoir été attrait devant la défunte. ‘’Pour nous qui avons subi les affres de cette loi scélérate, notre cœur saigne aujourd’hui. Sur les 165 députés que compte cet hémicycle, je suis le seul à avoir subi cette injustice ; j’ai mal ; j’ai envie de dire tout ça pour ça. Au nom de quoi une telle loi a été appliquée dans une démocratie comme la nôtre ? Nous sommes d’accord pour la suppression de cette cour qui n’a pas sa place dans une démocratie comme la nôtre. La seule chose que nous regrettons, c’est que les gens attendent la veille de leur départ pour faire disparaitre la loi après l’avoir utilisée pour casser de l’opposant’’, s’interroge Bara Gaye qui rappelle : ‘’J’en profite pour rappeler que des collaborateurs de Wade lui avaient demandé, en 2011, de supprimer la loi, mais il avait refusé sous le prétexte qu’il ne voulait pas donner l’air de protéger les siens.’’

Par ailleurs, le maire de Yeumbeul-Sud exige des évaluations de la traque des biens mal acquis, ses actifs supposés, le cout de la traque avec les commissions rogatoires, la location du siège, les rémunérations des experts…      

POOL JUDICIAIRE FINANCIER

Ce qu’il faut retenir

D’abord, le délit d’enrichissement illicite ne disparait pas, comme certains l’ont prétendu. Désormais, il est passible de poursuite devant le Pool judiciaire financier. Celui-ci est composé d’un collège de magistrats spécialisés, formés pour connaitre des infractions économiques et financières.

‘’Le PJF, selon la nouvelle disposition, est composé d’un parquet financier, un collège des juges d’instruction financier, une chambre de jugement financière, une chambre d’accusation financière, une chambre des appels financière, des assistants de justice spécialisés’’. Qu’en est-il des affaires qui étaient pendantes devant la défunte Crei ? Il résulte des dispositions transitoires qu’à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les procédures engagées devant le procureur spécial près la Crei seront dévolues au nouveau parquet financier.

MOR AMAR

 

Section: 
Aly Ngouille Ndiaye
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