Macky face au syndrome du “canard boiteux”
Macky Sall, en fin de règne, va tout faire pour garder la main sur ses troupes, face au choc des ambitions et des candidatures pour la Présidentielle de 2024. La révolte des députés de Benno Bokk Yaakaar (BBY), à l’occasion du vote concernant le projet de loi modifiant l’article 87, montre que ce ne sera pas une sinécure.
C’est un moment tant redouté par le ‘’Macky’’. Le président de la République, qui est à quelques mois de la fin de son deuxième mandat, craint de perdre le contrôle sur sa majorité. Cette période si particulière, qui touche les présidents en fin de second mandat, surnommée chez les Anglo-Saxons le ‘’Lame Duck’’ (canard boiteux en français), guette la fin de règne du président Macky Sall. Au soir du 3 juillet 2023, le règne de Macky Sall semble être entré dans une nouvelle ère. Le dernier épisode en date, avec la réforme de l’article 87 de la Constitution qui prévoyait de supprimer la périodicité pendant laquelle le président de la République ne peut procéder à la dissolution de l'Assemblée nationale, semble en être la preuve.
Chose impensable, des députés de Benno Bokk Yaakaar (BBY) ont osé mettre leur veto à ce projet de loi de l’Exécutif.
Ainsi, des députés comme Dr Malick Diop et Abdou Mbow ont publiquement fait savoir leur opposition à ce projet et indiquant au passage avoir su convaincre le président de retirer ce texte face au risque de camouflet. ‘’Le groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, qui prend en compte les aspirations des Sénégalais, a pensé que ce n'était pas opportun d'y ajouter l'article 87. Le président de la République, qui a été à l'écoute de son groupe, a donc décidé de retirer l’article’’, a déclaré l’ancien maire de Fann-Point E-Amitié.
Ce coup de Trafalgar en aurait irrité plus d’un parlementaire de la majorité d’habitude si docile. L’Assemblée, considérée par plus d’un Sénégalais comme la chambre d’enregistrement de l’Exécutif, a adressé une fin de non-recevoir à ce projet de réforme constitutionnelle de Macky Sall. Un revers que tentent de relativiser les tenants du régime qui, à travers une certaine communication, tentent de mettre en avant la pondération et le sens de responsabilité de Macky Sall.
Selon les spécialistes, le but de cette manœuvre vise à garder la main sur les parlementaires de la majorité, dans cette période transitoire. Le choix de cette date peut aussi paraitre suspicieux. Le président Macky Sall qui doit choisir son successeur ce mercredi 19 juillet avait, semble-t-il, voulu anticiper d’éventuelles dissensions et oppositions, à l’issue de l’annonce du candidat de BBY.
En outre, la volonté de faire passer ce projet de loi de l’article 87 qui, selon les dires des participants au Dialogue national, n’avait pas trouvé consensus, visait aussi à maintenir sous pression d’éventuels dissidents dans la coalition.
Une perte d’autorité sur fond de choc des ambitions
Ainsi, cette épée de Damoclès concernant la dissolution de l’Assemblée nationale devait permettre au chef de l’État de ‘’fidéliser’’ les parlementaires autour de son choix pour la Présidentielle de 2024. Même s’il a obtenu l’onction des principaux composants de Benno concernant la nomination du prochain candidat de la majorité, le président Sall a voulu y associer Moustapha Niasse, vice-président de la Conférence des leaders de Benno, afin de donner plus de poids à sa décision. Des rumeurs du côté du palais de la République font état d’une possible candidature de cadors de l’APR comme Amadou Ba avec ou sans l’approbation de Macky Sall.
Le chef de l’État a jusqu’ici réussi à maintenir sous pression sa majorité, en faisant miroiter la possibilité d’une troisième candidature, tout en interdisant à ses partisans de poser ce débat au sein de la majorité. Macky Sall s’en était expliqué, en mettant en avant le caractère de nos politiques africains plus enclins à se battre pour la succession qu’à travailler au service des concitoyens. Le limogeage des opposants au troisième mandat et la promotion des partisans du troisième mandat a fini par convaincre les responsables de la majorité à ‘’rester dans les rangs’’ de peur de se faire sanctionner.
Cette chape de plomb qui a sauté pourrait libérer la parole et faire émerger les ambitions au sein d’une APR en mal de structuration. Le parti, considéré comme une armée mexicaine avec beaucoup de dirigeants et peu d’exécutants, pourrait échapper à son maître.
Conscient du risque de démobilisation des ministres et autres responsables de son gouvernement, Macky Sall a lancé un brin d’avertissement à ses troupes, lors de son adresse à la Nation. ‘’D’ici la transmission du pouvoir le 2 avril 2024, j’assumerai avec responsabilité et fermeté toutes les charges qui incombent à ma mission. Je ne transigerai pas avec les fossoyeurs de la République et de l’État’’, avait-il déclaré.
Selon l’analyste politique Mamadou Sy Albert, cette situation de perte d’autorité risque de s’accentuer les prochains mois, car les membres de la majorité savent que Macky Sall ne détient plus les clés concernant leur avenir politique. ‘’Macky Sall, qui n’est plus candidat et qui est sur le départ, a subi une fronde inouïe avant-hier à l’Assemblée nationale (NDLR : le 17 juillet). Les députés ne veulent pas être sacrifiés sur l’autel d’un agenda personnel d’un président qui finit son mandat dans sept mois. Dès qu’il a déclaré qu’il n’est plus candidat, c’est le vide autour de lui. Tant qu’il était président et potentiellement candidat, il possédait tous les leviers pour imposer ses décisions à sa majorité. Son autorité risque de s’effilocher dans les prochains mois’’, a-t-il fait savoir.
D’après lui, toutes ces tensions sont aussi la résultante de l’absence de consensus autour du futur candidat de Benno. ‘’Le groupe BBY ne l’a pas dit clairement, mais le candidat qui est pressenti ne semble pas faire l’unanimité au sein de la majorité. Les potentiels candidats qui semblent posséder des partisans au sein de l’Assemblée nationale ont mené cette fronde qui est une sorte de révolte masquée contre le régime de Macky Sall’’, affirme le politologue.
AMADOU FALL