La chute du phénix de la politique sénégalaise
Le silence pesant d’Idrissa Seck sur la scène politique sénégalaise en pleine campagne des Législatives de 2024 signe un moment critique dans l’histoire de cet acteur autrefois incontournable. Comment celui qui fut Premier ministre et homme d’influence sous le régime de Wade en est-il arrivé à voir son parti, Rewmi, effacé des débats électoraux, relégué au second plan au sein de la coalition Takku Wallu ? La question semble aujourd’hui trouver des réponses dans les choix stratégiques, les retournements de veste et l’usure naturelle du temps. ‘’EnQuête’’ analyse cette descente aux enfers et de ce qui pourrait marquer la fin d’une ère pour Idrissa Seck.
‘’Né dans une famille modeste à Thiès, d’un père vendeur de friperie et d’une mère au foyer, Idrissa Seck a gravi les échelons de la sphère politique sénégalaise par sa seule détermination. Homme d’une grande intelligence et d’une culture politique acérée, il a d’abord fait ses armes en tant que directeur de cabinet du président Abdoulaye Wade, avant de devenir Premier ministre, poste où il a cultivé une image de politicien ambitieux, prêt à prendre des risques’’. Cette partie de l’ouvrage de Mor Talla Guèye, ‘’Idrissa Seck, l’ombre du passé’’, publié en 2021, brosse un portrait sans concession de cet homme de pouvoir, évoquant les ruses politiciennes et les alliances fluctuantes qui ont marqué sa carrière.
Mais à l’aube de ces Législatives du 17 novembre 2024, la pertinence de l’analyse de l’ancien chroniqueur de ‘’L’Obs’’ semble se confirmer : malgré des débuts prometteurs, l’ancien maire de la capitale du rail est aujourd’hui esseulé, politiquement isolé. Dans un contexte où Rewmi est presque absent de la campagne législative, l’ancien leader charismatique apparaît comme un homme désenchanté, déconnecté de la dynamique politique actuelle et des attentes de ses militants.
La coalition Takku Wallu et la marginalisation de Rewmi
L’absence de Rewmi dans les investitures de la coalition Takku Wallu a généré un malaise palpable parmi ses militants. À la surprise générale, Idrissa Seck s’est retrouvé écarté de la scène électorale de Thiès, autrefois bastion de son pouvoir. Aucune figure de Rewmi n’a été investie dans les quatre sièges de ce département, laissant ainsi le parti de l’ancien Premier ministre de Wade sans voix représentative. Moustapha Mbaye, du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), a été choisi comme tête de liste, suivi d’Hélène Tine et de Mor Diouf du Parti démocratique sénégalais (PDS). Cette marginalisation est ressentie comme un manque de respect exacerbé par le silence d’Idy lui-même.
Selon plusieurs sources médiatiques, Idrissa Seck aurait même envisagé de se retirer de la coalition, après avoir découvert que Mariétou Dieng, la première candidate de Rewmi, figurait à une position peu flatteuse (22e) sur la liste nationale. Ces décisions semblent confirmer un traitement préférentiel envers les membres de l’Alliance pour la République (APR) et du PDS proches de Macky Sall, tels qu’Amadou Mame Diop et Fabineta Diagne, reléguant ainsi Rewmi à un rôle de figurant.
Pire, aucun membre de Rewmi n'a été investi sur les listes départementales, déplore Manel Fall, cadre influent de Rewmi à Touba.
Ce constat glacial révèle une réalité amère : le parti, autrefois influent, semble désormais relégué au second plan par ses propres alliés.
Ce désaveu implicite de la coalition traduit une stratégie qui, pour beaucoup, vise à confiner Rewmi à un rôle mineur, à peine visible dans un jeu d'alliances où seuls les soutiens inconditionnels de l’APR semblent tirer leur épingle du jeu.
Pourtant, lors de la Présidentielle de février 2019, Idrissa Seck est arrivé en tête dans la cité religieuse devant Macky Sall. Pour les militants, c'est un coup dur qui questionne le poids du parti au sein de la coalition Takku Wallu et de son positionnement politique. Au-delà du ressentiment, c'est une colère grandissante qui s'empare des fidèles de Rewmi, pour qui ce "silencieux abandon" est perçu comme un mépris délibéré envers l’un des alliés les plus historiques de la coalition.
Pour beaucoup d’observateurs, le créateur du fameux concept ‘’Lui et moi’’ paie aussi le prix de son absence prolongée sur le terrain politique et de son mutisme face aux enjeux actuels. Ses électeurs de la première heure se sont lassés et les jeunes générations, nées après 2000, ne le connaissent pas réellement. Ces dernières années, de nouveaux leaders comme Sonko, Barth et autres sont apparus, apportant une énergie renouvelée et des perspectives différentes, reléguant ainsi Seck à une figure d’un autre temps. Son score de 0,9 % (46 000 voix) lors de la dernière Présidentielle, contre 20,5 % en 2019, illustre cette perte d’influence.
Cette déroute s’explique aussi par la polarisation croissante du paysage politique sénégalais autour des figures de Macky Sall pour la coalition Benno Bokk Yaakaar et d’Ousmane Sonko.
La stagnation de Rewmi dans l’arène politique est également marquée par les départs successifs de membres influents comme Dr Abdourahmane Diouf, Dethié Fall, Thierno Bocoum, Dr Assane Ndiaye, maire de Lambaye, ou Pape Abdou Mané, chargé des relations presse. Le départ de ces membres actifs démontre l’érosion interne du parti et la difficulté d’Idrissa Seck à maintenir la cohésion de ses troupes.
Une carrière jalonnée de volte-face : une perte de crédibilité
Idrissa Seck a su, durant sa carrière, jouer de ses alliances et de ses ruptures avec une adresse certaine. Proche de Wade à une époque, puis farouchement opposé, il s’est ensuite rallié à Macky Sall avant de devenir son rival en 2019, pour finalement se rapprocher à nouveau du pouvoir en 2020. Ces revirements successifs, qui ont pu paraître stratégiques, semblent aujourd’hui s’être retournés contre lui, minant la confiance que lui accordaient ses partisans.
L'un des chapitres les plus récents dans le parcours politique d'Idrissa Seck a été son passage à la tête du Conseil économique, social et environnemental (Cese), une nomination sous le second mandat de Macky Sall qui symbolise un énième rebond dans la trajectoire sinueuse de cet homme aux ambitions longtemps nourries et jamais comblées. Cet homme au talent oratoire indéniable, ami de Jacques Attali ayant déjà traversé des vagues politiques tumultueuses entre positions de majorité et d’opposition, incarne un véritable électron libre de la scène politique sénégalaise.
Sa présidence au Cese a marqué un retour stratégique au sein du pouvoir, mais aussi une concession perçue par beaucoup comme un compromis éloignant Seck de ses rêves présidentiels. Car en dépit de cette fonction prestigieuse, sa nomination ressemblait davantage à une mise en retrait qu’à une marche vers le sommet. Ce choix de s’ancrer dans un rôle institutionnel – certes influent, mais loin des projecteurs électoraux – a soulevé des interrogations quant à sa véritable place dans les hautes sphères du pouvoir.
Ces Législatives marquent ainsi la probable fin d’une ‘’énième vie’’ politique pour Seck. Après un ultime renversement de situation, il se retrouve sans voix, sans assise et surtout sans réel projet de relance pour un parti en déclin.
Les critiques internes accusent aujourd’hui Idy d’un manque de vision et d’une gestion du parti trop personnelle. Ce repli sur soi a laissé un vide dans la communication et dans l’orientation stratégique, au point que les responsables locaux ne reçoivent plus d’instructions claires pour la campagne. ‘’Depuis sa dernière performance électorale décevante, Idrissa Seck s’est replié et refuse de prendre position ou d’animer le débat’’, confie un membre du shadow cabinet de Rewmi dans les colonnes de ‘’Jeune Afrique’’. Cette absence de leadership a permis aux forces en place de redistribuer les cartes sans lui, accentuant son effacement de la scène politique.
Idrissa Seck, autrefois redouté pour son audace et sa capacité de manœuvre, semble désormais rattrapé par le poids de ses choix et de ses silences. En restant en retrait, il permet aux nouvelles générations de se tailler une place de choix sur la scène politique, reléguant Rewmi au rang de spectateur impuissant. Ce silence assourdissant semble annoncer la fin d’une époque pour Seck, celle d’un leader qui, en voulant naviguer entre alliances et rivalités, a fini par perdre son ancrage dans le paysage politique sénégalais.
Avec un bilan peu reluisant pour ces Législatives et des défections croissantes dans ses rangs, Idrissa Seck voit son influence fondre au profit de nouvelles figures. À moins d’un sursaut, cette léthargie pourrait signer le crépuscule définitif d’un homme qui, par ses talents et ses calculs, a pourtant écrit l’une des pages les plus fascinantes de la politique sénégalaise.
AMADOU CAMARA GUEYE