Le “oui, mais...” de la jeune génération d’étudiantes
Arriver au même niveau d’études que les hommes, et en masse, est nécessaire pour renverser la tendance de la prédominance masculine au niveau de la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Dakar). La jeune génération veut certes y arriver, mais les étudiantes rencontrées au sein de ce temple du savoir indiquent que le mariage et la recherche du gain sont les principaux challenges qui se dressent devant elles.
Depuis 2000, les différents gouvernements qui se sont succédé au Sénégal encouragent l’orientation des filles dans les filières scientifiques. Ainsi, elles peuvent espérer, après le Bac, aller à la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg).
Cependant, jusque-là, la progression reste lente. Dans les sciences économiques comme en gestion, les hommes sont encore au-devant de la scène et terminent en majorité leur cycle universitaire, contrairement à leurs camarades de promotion femmes. Interpellées sur cette disparité, la plupart des étudiantes soulignent la pression sociale et le besoin d’emploi.
En cette matinée du samedi, le hall de la Faseg est assez libre ; pas trop de va-et-vient d’étudiants. La grève des enseignants et l’Appel des layennes ont probablement causé ce vide.
Dans les deux grands amphithéâtres de la faculté, quelques étudiants s’inclinent sur leurs travaux pratiques. Difficile de décrocher quelques minutes d’entretien avec eux, notamment les filles. D’une timidité inexpliquée, elles bloquent nos tentatives de leur donner la parole. ‘’On est sous pression’’ ; ‘’Je suis prise, je fais mes exercices’’ ; ‘’Je ne peux pas m’exprimer, allez voir quelqu’un d’autre’’, etc., sont les prétextes qu’elles vous murmurent. Au bout que quelques minutes de flatterie entre femmes, Ndèye Saly Ba, étudiante en Master, se lâche. ‘’Pour ma part, ce n’est pas la pression familiale qui m’empêchera de faire le Doctorat. C’est plutôt la pression financière. Je ne pense pas que je serai patiente jusqu’à la thèse sans travail. On n’a pas encore fait un stage assuré. Or, il nous faut une expérience professionnelle d’abord, pour trouver quelque chose. Peut-être si on travaille pendant un moment, on reviendra faire le Doctorat. Mais, après le Master, on peut réellement travailler. On veut intégrer le circuit professionnel. Certes, les études c’est bien, mais cela doit être accompagné d’une expérience professionnelle’’, confie-t-elle toute souriante.
Récemment mariée, mais sans enfant, cette étudiante affirme qu’elle poursuit ses études comme si elle était célibataire. ‘’J’ai aucune pression. On me laisse poursuivre les études. Je loge à l’université sans problème. Mon mari est à Thiès, mais parfois, il vient ici les weekends. Peut-être ma situation est plus facile, comparée à celle des femmes qui ont déjà un enfant dans leur ménage. Et espère que la famille ne sera pas un obstacle pour moi. Car on veut relever le défi et on le fera, Inch’Allah’’, poursuit-elle.
Si Ndèye Saly arrive à jongler entre ses études et sa vie de couple, c’est tout le contraire pour Racky Dicko, étudiante en Master 1 en gestion des entreprises à la Faseg. ‘’C’est difficile d’allier vie conjugale et études. Cependant, je vois des femmes qui ont réussi. Peut-être aussi tout le monde n’a pas l’engagement de faire face à toutes ces difficultés. Mais il y a des femmes braves qui ont vraiment réussi. Je suis encore célibataire. Parce que je ne suis pas forte pour cumuler les deux. Si je dois être mariée, ce sera à la condition que mon mari me laisse poursuivre mes études. Le problème, c’est qu’une fois dans le mariage, il y a souvent beaucoup de changements et c’est compliqué. Et ici, on a moins de professeurs femmes que d’hommes. On retrouve les femmes plus dans les cours de travaux pratiques. Je ne connais qu’un seul professeur de fiscalité et c’est un homme. Il s’agit de Mamadou Ngom. J’aurais aimé qu’il y ait plus de femmes gestionnaires qu’économistes. Même si on sait que l’économie est à la base de tout développement, il faut reconnaitre que sans les gestionnaires, cela ne marchera pas’’, fait-elle savoir le sourire aux lèvres.
En fait, renseigne Assane Sène, de la même promotion que Racky, les études en gestion sont un ‘’peu dures’’. ‘’Si on s’intéresse à la répartition des étudiants, on constate qu’il y a plus de femmes en analyse, c’est-à-dire en économie qu’en gestion. C’est peut-être lié à la difficulté de la matière. Déjà, en Licence 3, quand on dit à quelqu’un qu’on veut faire gestion, il nous rétorque qu’on est courageux. Ici, les femmes sont plus en économie. Mais je trouve que la difficulté n’a rien à voir avec ce choix. Parce que dans la vie, chacun a ses ambitions. Les objectifs qu’il s’est fixés au départ pour son avenir. Et je trouve que la vie familiale reste un handicap pour la poursuite de leurs études. Or, la femme doit travailler. Parce que l’homme seul ne peut pas s’occuper de toutes les charges de la maison. Si on est polygame, il sera impossible de satisfaire les besoins de chacune d’elles. Je veux que ma future femme soit une personne instruite avec un emploi et ainsi, on pourra combiner nos efforts pour construire un foyer solide et bien éduquer nos enfants’’, défend Assane.
De l’autre côté de l’amphi où se trouvait Assane, Germaine Sène et ses amies révisent aussi et préparent leurs travaux pratiques. Très joviale, cette jeune dame affirme que cette tendance de dominance des hommes, c’était ‘’avant’’. Notre interlocutrice rappelle d’ailleurs que pour être admis à la Faseg, il faut avoir un Bac scientifique ou technique. Or, maintenant, dans les lycées, il y a autant d’hommes que de femmes dans ces filières.
‘’Il n’y a plus de domination. Ici à la faculté, il y a plus de filles que de garçons. C’est vrai que la plupart du temps, les hommes arrivent plus en Doctorat. Parce qu’il y a le cycle biologique de la femme qui n’attend pas. Il y a la ménopause, le mariage. Donc, une fois mariée, il y a beaucoup de choses qu’elles ne peuvent plus faire, alors que pour l’homme, ce n’est pas le cas. Ils ont largement le temps de pouvoir faire des études longues. Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir allier les deux. Mariage et études, c’est quand même un peu compliqué. De nos jours, les femmes font tout pour avoir au minimum le Master, Bac+5. Après le Master, on va penser à nous marier et après, peut-être, faire le Doctorat. C’est bien possible d’y arriver si on a un mari et une belle-famille compréhensibles. C’est ce qu’on souhaite’’, lance-t-elle.
MARIAMA DIEME