Une ‘’honorabilité’’ de plus en plus en question
Depuis sa mise en place en 2017, après des élections législatives rocambolesques, la 13e législature semble traîner une tare congénitale de ces joutes électorales. En effet, elle est régulièrement éclaboussée par des scandales de toutes sortes.
Des records, la 13e législature du Sénégal en détient quelques-uns. A commencer par le nombre de députés. Depuis 2017, l’Assemblée nationale comptabilise 165 élus. Une première dans l’histoire parlementaire sénégalaise. Mais les faits inédits, dans ce temps de représentation populaire, ne se font pas toujours pour la satisfaction des revendications et attentes des populations.
Depuis sa mise en place, la dernière cohorte de députés de l’Assemblée nationale ne s’illustre pas que de la bonne manière. En plusieurs occasions, des parlementaires ont été pris dans l’accomplissement de faits prohibés. De l’affaire Seydina Fall ‘’Bougazelli’’ à celle de trafic de passeports diplomatiques impliquant des députés, la 13e législature passe comme celle ayant prôné le plus la perte de l’honorabilité des représentants du peuple.
La symbolique est à son maximum, lorsque Marième Soda Ndiaye, la benjamine de l’Assemblée nationale, recadre ses aînés. Ce jour-là, exaspérée, elle martèle : ‘’Je pense que les Sénégalais commencent à être ’tampi’ (fatigués) des hommes politiques. Il faudrait qu’on revoie notre copie. Je pense que l’effort que nous déployons ici à nous batailler, à nous crêper les chignons, si nous déployions ces mêmes efforts (ailleurs), je pense qu’il n’y aurait plus d’abris provisoires dans ce pays, de médecins non-affectés dans ce pays. Les sujets qui nous concernent sont d’autant plus importants que les petites querelles que nous menons au sein de l’hémicycle. Les jeunes nous suivent.’’
Quelques heures auparavant, les députés Ousmane Sonko (Pastef) et Modou Mbery Sylla (BBY), Toussaint Manga (PDS) et Aliou Dembourou Sow (APR) s’étaient donné en spectacle par des confrontations physiques, à l’occasion de l’examen des projets de loi portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale, le vendredi 25 juin, à l’Assemblée nationale.
Un nouveau coup porté à ‘’l’honorabilité’’ des parlementaires. Car, à bien des égards et sur différents terrains, certains d’entre eux ont provoqué un sentiment de dégoût chez beaucoup de citoyens. L’on se rappelle, en début juillet 2020, lorsque le deuxième, puis premier vice-président de l’Assemblée nationale, ancien président du Parlement de la CEDEAO (2016-2020), Moustapha Cissé Lô, dans des conversations audio, accusaient des responsables politiques de détournement de deniers publics. Cissé Lô pointait aussi de gros poissons qui profitaient, de manière abusive, de la distribution de semences, critiquait l’attribution de certains contrats publics, évoquait même la question du narcotrafic et parlait d’une ‘’Guinée-Bissau drogue Connection’’.
Les chocs verbaux et moraux
Dans son viseur, le directeur général du quotidien national ‘’Le Soleil’’, Yakham Mbaye, le député Farba Ngom ou encore l’entourage du parlementaire Aymérou Gningue. Ces accusations lui vaudront une plainte et une convocation par les enquêteurs de la brigade de recherches. Sur le plan politique, il est exclu de l’Alliance pour la République (APR, le parti présidentiel) et du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY). Le 6 juillet dernier, la Commission de discipline de l’APR prononçait son exclusion, de manière unanime, lors d’une réunion convoquée en extrême urgence par Macky Sall, en tant que président de la formation politique. En cause, ce ‘’salmigondis d’insanités, d’injures publiques, de fausses nouvelles et de diffamations’’ proférés par le député qui, estime l’APR, ‘’entache gravement l’image du parti’’.
Fustigeant des propos ‘’empreints d’une indécence que récusent la morale et la bienséance sociale’’, la commission avait conclu sa décision par une menace envers ‘’tout camarade’’ qui s’aviserait d’adopter un comportement similaire. Le bureau de l’Assemblée nationale – dominée par la coalition présidentielle – s’est empressé, à son tour, de condamner le comportement et les propos du premier vice-président de l’institution. Un poste dont Moustapha Cissé Lô a, depuis, démissionné, pour ne plus être qu’un simple député.
Des scènes et un spectacle similaire avaient été notés, lors de la procédure de levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko, en février dernier. Députés de l’opposition et de la majorité présidentielle se sont également chamaillés pour les mêmes faits concernant la procédure contre leur collègue Khalifa Ababacar Sall, ex-maire de Dakar, avant sa condamnation dans l’affaire dite de la caisse d’avance de la ville de Dakar.
A croire qu’il est impossible de tenir un débat d’idées dans le calme à l’hémicycle, dès que les intérêts politiques divergent. A noter que sous l’actuel régime, pas moins de six députés ont vu leur immunité parlementaire levée pour faire face à la justice, avec les procédures contre Ousmane Ngom, Oumar Sarr et Abdoulaye Baldé (2013), Barthélémy Dias (2016), Khalifa Ababacar Sall (2017) et Ousmane Sonko (2021). Leurs points communs : être, pour la plupart, des opposants au pouvoir, aux moments des faits.
De scandales délictuels et criminels
Cette liste intégrera-t-elle des députés de la mouvance présidentielle ? Dans un nouveau scandale qui touche l’hémicycle, trois parlementaires ont été impliqués, par un individu arrêté dans le cadre d’une enquête de la Division des investigations criminelles (Dic), dans une affaire de trafic de faux passeports diplomatiques. Ces derniers auraient participé à l’élaboration de 14 faux certificats de mariage. Documents sur lesquels le faussaire mentionnait que ses clients étaient des épouses de ces députés pour qu’elles obtiennent des passeports diplomatiques, afin de voyager à leur guise. Tout ceci, moyennant de fortes sommes d'argent, bien sûr !
Aux premiers rangs, lors des procédures de levée des immunités parlementaires des opposants cités plus haut, le président du groupe Benno Bokk Yaakaar (pouvoir), Aymérou Gningue, a déjà indiqué dans la presse : ‘’Ma position est la suivante : s’il est avéré que des députés, qui sont des représentants qualifiés du peuple, sont impliqués dans un quelconque trafic - ce qui est à prouver, car seule la justice peut le dire - aucun député appartenant à mon groupe ne sera protégé. Si l’enquête nécessite que ces députés soient entendus ou poursuivis, nous lèverons les immunités parlementaires, si le garde des Sceaux nous le demande, à la requête du parquet général.’’
Comment oublier, dans tout cela, l’arrestation de Seydina Fall Bougazelli, impliqué dans une affaire de trafic de faux billets et dont une nouvelle vidéo vient de faire surface ? Même s’il a démissionné de son poste de député par la suite, cela participe aux innombrables faits scandaleux qui émaillent cette 13e législature, depuis sa mise en place en 2017.
Lamine Diouf