Alioune Diagne et la défense des valeurs africaines
Engagé, l’artiste sénégalais Alioune Diagne développe des thèmes qui parlent de l’Afrique, de la place de la femme et des enfants. Installé en France depuis 2013, il porte un regard critique sur les pratiques occidentales et entend représenter toute la communauté noire. Son installation ‘’Ëttu Kër’’ est l’une des plus impressionnantes expositions de la Biennale de Dakar 2022.
Une maison en case couverte de paille. Du sable fin et propre dans l’espace intérieur de l’habitat traditionnel. Cet espace est une vaste cour où il y a de la place pour faire la cuisine où pour palabrer à même le sol, etc. Il s’agit d’une majestueuse installation de l’artiste sénégalais Alioune Diagne. Une natte sur laquelle est posée une calebasse, des ustensiles dans un coin, des tableaux à divers endroits, une statuette dans un autre coin forment le décor. Ce travail de M. Diagne, que le président Macky Sall a eu à visiter, dans le cadre du Dak’Art 2022, se nomme ‘’Ëttu Kër’’ (Cour intérieur d’une maison, en wolof). Le peintre, à travers cette exposition, entraîne son public dans une sorte de voyage dans le temps (1980), mais aussi dans l’espace.
De nos jours, faute d’espace, la cour intérieure n’est plus privilégiée. Ce qui est regrettable, aux yeux de l’artiste. ‘’La cour intérieure est un élément important dans une maison. Parce que c’était l’endroit idéal pour partager des moments, régler les problèmes de la famille. C’était l’endroit de partage et de solidarité. Et toutes les cérémonies s’y déroulaient. Mais, en ce moment, on est en train de perdre tout ça. Parce que, désormais, quand les gens construisent, ils préfèrent avoir plus de chambres possibles’’, déplore M. Diagne.
En effet, cela n’est pas sans conséquence. Puisque la cour intérieure a tendance à disparaître, les problèmes de famille sont exposés sur la toile. Alioune Diagne s’indigne : ‘’On le voit très souvent, en cas de conflit entre frères et sœurs, au lieu de tout régler en famille, les problèmes atterrissent sur les réseaux sociaux.’’
Ainsi, il demande un retour aux valeurs des peuples africains, en ces temps modernes où Internet a profondément changé les rapports sociaux. Son travail est brillant. Des rumeurs circulent selon lesquelles il aurait vendu toutes ses œuvres lors de cette Biennale. Il n’en est rien. Car, pour l’heure, l’artiste ne désire pas les mettre en vente. ‘’Pour les tableaux, ils sont vraiment faits pour un projet qui doit voyager dans le monde. Donc, je ne les ai pas mis en vente pour le moment’’, a-t-il confié.
Un style particulier
Alioune Diagne effectue un travail de mémoire sénégalaise. Il s’inspire de la photographie des cartes postales anciennes du Sénégal. En ce sens, il a documenté le livre de Gérard Bosio et de Michel Renaudeau. Ce qui permet à cet artiste la générosité de partager des images inédites à travers ses tableaux et expositions. Engagé, il entend représenter la communauté noire, de l’Afrique et de sa diaspora. D’ailleurs, il a eu à rendre un vibrant hommage à George Floyd, un Afro-Américain mort à la suite de son interpellation par plusieurs policiers dont Derek Chauvin, le 25 mai 2020 à Minneapolis, dans le Minnesota. De plus, dans ses œuvres, comme celles présentées lors du Dak’Art 2022, une place primordiale est accordée à la femme africaine.
Il faut souligner qu’Alioune Diagne a une démarche particulière. L’artiste utilise un style de peinture qu’il a développé et qui se nomme figuro-abstro. Il crée des images figuratives à partir d’éléments abstraits. Le visiteur, obligé de contempler les tableaux de près, y voit d’abord des signes tracés à la main d’une manière spontanée. Il s’agit de lettres de l’alphabet. Puis, la forme commence à apparaître, avant que le visiteur puisse entrer dans le fond du tableau. En définitive, l'image figurative porte le message, tandis qu'une multitude de signes abstraits permettent l'expression d'un sentiment ou d'une pensée inconsciente, donc abstraite. C’est le cas de la toile intitulée ‘’Élections législatives, les femmes manifestent’’. Pour l’auteur, les signent constituent un langage universel permettant à tout un chacun de pouvoir s'approprier du tableau qui est en face de lui. Polyvalent, Alioune Diagne manie autant la vidéo que la peinture, la photographie et la sérigraphie, et crée aussi des sculptures.
‘’J’ai beaucoup souffert quand j’étais jeune’’
Enfant, il s’essaie au dessin. Car le désir de devenir artiste l’a toujours animé. Mais au début, sa famille s’y était opposée. ‘’J’ai beaucoup souffert quand j’étais jeune. Je parle de souffrance, parce que je n’avais pas accès à la culture. Je viens de Kaffrine, qui est très loin. Il n’y avait pas de galerie. Il n’y avait rien. J’avais ce besoin de m’exprimer. Et quand on est en Afrique et qu’on est enfant ou jeune et qu’on s’intéresse au dessin, la famille à tendance à nous dire ‘vous êtes nul’, à tendance à dire que le dessin n’apporte rien’’, relate M. Diagne.
Mais il n’a point baissé les bras. Le besoin de s’exprimer l’a poussé à se forger pour devenir d’abord un petit artiste. Ça n’a pas suffi. Il était toujours jeune. Il avait d'abord l'obligation d’avoir le Bfem. Le diplôme en poche, sa mère lui demande encore de chercher celui du Bac. ‘’Je suis allé jusqu’en classe de terminale. J’ai échoué à l’examen. Maman me dit qu’il me faut retenter ma chance. Je l’ai refait, mais on m’a ajourné au deuxième tour. J’ai dit : ‘Maman, je veux aller aux beaux-arts, c’est fini. Je n’arrive plus à me concentrer.’ Ainsi, j’ai demandé à mon beau-père de la convaincre. Elle a finalement accepté’’, a expliqué Alioune Diagne.
C’est ainsi qu’il entre à l’école des beaux-arts en 2008. Apprendre des techniques dans cette grande école lui a permis de faire évoluer son art.
Sa jeunesse n’a pas été très facile. Ayant perdu son père à l’âge de 19 ans, Alioune vit avec ses grands-parents pendant un moment avant de rejoindre sa mère à Dakar. Aujourd’hui, il vit entre son pays natal et la France, à Lyon où il s’est installé depuis 2013.
BABACAR SY SEYE