Danseur pile poil
Dame Kassé, la trentaine bien assumée, est laveur méticuleux d’animaux de compagnie le jour, et danseur professionnel sur scène le soir.
Il a fondé la compagnie ‘’Afreekanam’’. On y danse traditionnelle, Capoeira, hip-hop, contemporaine... Parallèlement, il poursuit une carrière solo et donne des cours de danse. C’est un jeune homme gai et viril, quand il danse, il est dans un état d’allégresse contagieux. Touche à tout, il a commencé par le ‘‘sabar’’ et les danses africaines. Avec le temps, il s’est bonifié et pratique aujourd’hui dix-huit danses. Autodidacte, il s’est perfectionné à l’École des sables chez Germaine Acogny, la grande pasionaria du 5ème art. A Toubab Dialaw, il effectue une résidence fructueuse de trois mois. Avec 41 autres danseurs, il apprend à décoder les chorégraphies africaines. Ça a été une expérience marquante, qui a conforté sa conviction. Il a fait aussi un passage émerveillé au Centre national de la danse (Cnd) à Paris où il a acquis la grammaire de la danse contemporaine.
Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, il a commencé à faire de la danse contemporaine sans s’en douter. « Je peux dire que la danse est innée en moi », indique-t-il. C’est la chorégraphe, créatrice du festival ‘’Kaay Fecc’’, Gacirah Diagne qui découvre ce talent brut encore non dégrossi dans un spectacle de rue, et l’envoie dans les circuits officiels de la danse. C’était en 2007, lors d’un concours de danse, Urban groove, organisé par Studio Sankara ; «Je n’avais pas gagné, mais je suis allé en finale. Pour une première à Dakar, pour moi, c’est une satisfaction», se souvient-il, fier.
A l’École des sables, il côtoie diverses nationalités et répète des danses venues des quatre coins du monde ; il en sort avec une autre vision de son art, langage du corps, à la fois universel et spécifique. Il y a appris la nécessaire maîtrise de son corps : la décontraction, l’ondulation. Des mouvements inspirés des baobabs, des girafes et adaptés à la nature africaine. « Cela m’a permis d’avoir une certaine ouverture, de savoir créer un pont entre la contemporaine et l’africaine.», raconte-t-il.
Devenir danseur professionnel n’a pas été une chose facile pour lui. ‘‘Ni mon papa, ni ma maman n’ont voulu que je devienne danseur ‘’, reconnaît-il. En fait, la danse a été pour lui une sorte de rédemption. Il est né avec une malformation aux membres inférieurs. Mis à l’écart, il était la risée de ses camarades de jeu. « Mes genoux se touchaient quand je me tenais debout. Je ne pouvais pas jouer avec les enfants de mon âge. Jusqu’à l’âge de 9 ans, je suivais un traitement de la médecine traditionnelle et c’est ce qui m’a guéri…», dit-il en souriant.
Quand il retrouve le plein usage de ses jambes, le garçon ne s’arrête plus. « Je ne faisais que danser, c’était pour rattraper d’une certaine manière le temps perdu en tant qu’enfant », justifie-t-il. A l’origine de la vocation pour la scène, il y a aussi l’environnement familial favorable. Le père, instituteur, dirigeait une troupe de théâtre après les heures de classe. Dans les scènes, des créations paternelles, il y avait souvent de la musique traditionnelle, du folklore, sur des notes de sabar ou de ‘’djembé’’. « C’est là que j’ai fait mes premiers pas de danse. »
Natif de Fatick, il a fait des études jusqu’en 2nde, avant d’arrêter. ‘’Il y avait un problème de moyens dans la famille’’, s’excuse-t-il. Arrivé à Dakar, il est resté deux ans sans danser. Pour vivre, il a dû bosser dans la cuisine d’un fast-food à Bourguiba, dans la caisse d’un restaurant, dans une charcuterie au Point E. De là, il atterrit dans une clinique vétérinaire. Il y officie comme aide-soignant et toiletteur animalier. Il donne des soins aux chiens de salon.
Le job consiste à démêler et couper les poils, nettoyer l’animal de compagnie, chien ou chat, avec un shampooing spécial, lui passer le sèche-cheveux, lui mettre du parfum, lui couper les griffes antiparasitaires. C’est à peu près la fiche de poste. « Un chien qui n’est pas hygiénique peut facilement vous transmettre ses tiques et poux ; il faut prendre soin de le laver au moins une fois par mois », conseille-t-il. Le boulot peut payer jusqu’à 10 000 francs par chien. « C’est ce qui me fait vivre puisque la danse ne nourrit pas son homme », dit Dame Kassé avec le sourire fluoré.
Abdou Rahmane MBENGUE