Dangote aurait dû investir au Sénégal dans le sucre et non dans le ciment
Si nous nous rendons compte que le Sénégal a été autosuffisant en ciment depuis 1949 (date de la création de Sococim-Industries avec les extensions successives de capacité jusqu’à dégager des surplus pour l’exportation au cours de nombreuses décennies, nous conviendrons que la Css devrait suivre un développement tout au moins similaire, apte à couvrir nos besoins en sucre dans le temps.
Mieux, en 1998, une seconde fabrique de ciment(les Ciments du Sahel) était venue s’ajouter opportunément à l’offre de la Sococim-Industries, permettant non seulement la concurrence et la compétitivité sans lesquelles point de qualité et de prix raisonnables, mais aussi et surtout, l’augmentation sensible de la production nationale de ciment capable de garantir pour trente années encore la couverture du marché intérieur et la satisfaction des besoins résiduels en ciment de la sous-région.
Aujourd’hui, pour un marché intérieur de deux millions de tonnes de ciment par an avec un taux de progression de la demande de 10% l’an et une offre de six millions de tonnes, si l’on prend en compte les capacités de Sococim-Industries et des Ciments du Sahel, la création d’une troisième cimenterie d’une capacité de six millions de tonnes par le régime d’Abdoulaye Wade (Dangote) ne se justifiait pas du tout.
Il faut reconnaitre que la décision aventureuse du précédent régime libéral (qui n’avait cure de la planification stratégique) d’accorder une nouvelle licence d’exploitation de ciment au Sénégal, ne tenait pas compte des priorités économiques et a semé le foutoir dans le marché national et sous-régional de ciment. ; Pire, cette malencontreuse décision est intervenue tout juste après que Sococim-Industries et les Ciments du Sahel eurent procédé à partir de 2007 aux triplements respectifs de leurs capacités de production pour des investissements cumulés de trois cents milliards de FCFA. ; C’est dire, qu’entre 2007 et 2012, il y a eu une augmentation de l’offre nationale de ciment de l’ordre de neuf millions de tonnes par an, si l’on prend en considération les nouvelles installations de Dangote, soit presque cinq fois les besoins intérieurs du Sénégal, provoquant une surproduction de ciment dans notre pays. Manifestement, il y a eu une volonté de violer les accords d’établissement pour la garantie des investissements et une atteinte aux bonnes règles d’étude de marché et de planification stratégique pour un développement économique harmonieux et équilibré de notre pays.
Car, le marché régional du ciment reste caractérisé, depuis des lustres, par la propension pour chaque Etat d’avoir sa propre fabrique de ciment. Si bien qu’il existe peu de pays dans le continent africain qui ne possède pas d’unités de production de ciment, au milieu de marchés nationaux exigus en rapport avec nos Etats balkanisés, saufs pour les grands marchés autonomes nord africains producteurs de pétrole où les Pib sont relativement appréciables. Presque tous les pays africains disposent, soit d’unités intégrées (extraction et broyage), soit d’unités de broyage simples, complexifiant davantage les conditions défavorables du marché mondial du ciment. Le dernier exemple en date est celui du Mali qui est en train d’installer avec les Indiens une nouvelle cimenterie, laquelle initiative va anéantir les exportations importantes de ciment du Sénégal vers ce pays limitrophe.
Il s’y ajoute une évolution à la baisse de la demande mondiale de ciment avec la décroissance des Pib de pays émergents que sont la Chine et l’Inde, premiers producteurs mondiaux de ciment, en plus de la crise financière et économique qui gangrène les pays de l’Ocde. Les perspectives sombres du marché mondial du ciment, liées à la crise économique et au ralentissement de la croissance dans les pays émergents font que les grands producteurs mondiaux de ciment se bousculent au portillon de l’Afrique et ne se font pas de cadeaux, comme la Chine (Cbmc), la Russie (Mcm), l’Allemagne (Heidelberg), la France (Vicat, Lafarge), la Suisse et l’Espagne (Holcim -Cebera), etc. C’est autant dire qu’il y a actuellement une saturation du marché mondial et africain du ciment qui était prévisible en 2008, avant l’octroi spéculatif de deux nouvelles licences d’exploitation de ciment au Sénégal pour le compte de Dangote et de Bourgi et après le triplement de l’offre nationale de ciment par suite des augmentations de capacité de Sococim-Industries et des Ciments du Sahel. La création de cimenterie requiert de lourds investissements, dont la rentabilité se projette sur le très long terme pour un secteur très capitalistique et très énergivore avec des chiffres d’affaires volatiles, en plus d’impacts sociaux et environnementaux nuisibles, dans un contexte mondial d’un changement climatique réel dû aux effets de serre et de l’érosion de l’écosystème.
Pour de telles industries, seules les économies d’échelles résultant de l’utilisation des pleines capacités pourront permettre la réduction des coûts unitaires de production et la baisse des prix aux consommateurs. Or, l’exigüité des marchés nationaux, la tendance et les conditions défavorables du marché mondial ne plaident pas à la réalisation d’économies d’échelles et à la compétitivité des entreprises. L’exemple de la Sococim-Industries et des Ciments du Sahel qui se partagent actuellement le marché national du ciment et qui fonctionnent à la moitié de leur capacité actuelle, en dépit de leurs exportations, est illustratif d’un déséquilibre gravissime des mécanismes du marché national. L’intégration de structures productives par la spécialisation industrielle de pays fortement dotés pour la matière première et le renoncement à la production de ciment de pays ne possédant pas de dotations factorielles suffisantes, pouvaient régler la question dans le cadre de nos organes de coopération multilatérale. Mais, il faut se rendre à l’évidence que les égoïsmes nationaux dans nos micros Etats priment sur la nécessité de réaliser l’intégration économique pour de grands marchés homogènes dans l’espace CDEAO.
Le régime libéral précédent, dans le cadre de la réalisation des opportunités d’affaires, devrait demander à Dangote d’investir dans le sucre, compte-tenu de l’insuffisance de l’offre nationale et d’éviter ainsi de provoquer une situation délétère pour la rentabilité des investissements réalisés sur le ciment par Sococim-Industries et les Ciments du Sahel. Maintenant que le vin est tiré, que faire ?
Nous estimons que l’unique solution possible est de spécialiser la production de Dangote à l’exportation, particulièrement au-delà du marché sous-régional, tout en accordant des avantages fiscaux et non fiscaux à cette industrie naissante. Les questions foncières, quelle que soit leur complexité, peuvent toujours trouver des solutions, soit dans le cadre d’un partenariat ou d’une indemnisation. Cependant, les problèmes relatifs à l’adéquation entre l’offre et la demande sont autrement plus ardus, du fait des surcouts occasionnés, en cas de fonctionnement non optimal des installations.
KADIALY GASSAMA
Economiste Rue Faidherbe X Pierre Verger Rufisque