Le modèle économique mouride proposé comme solution
Sur le thème ‘’Economie, pauvreté et exclusion sociale : la vision économique du mouridisme dans la science économique’’, le chercheur Khadim Bamba Diagne a livré une communication de haute facture, ce samedi. C’était lors du webinaire organisé par l’université Cheikh Ahmadou Bamba, en prélude au grand Magal de Touba. Il a montré comment s’inspirer du modèle économique mouride pour booster le développement du pays.
Décomplexion, détermination et travail licite. C’est par ces trois concepts que l’enseignant-chercheur et économiste, Dr Khadim Bamba Diagne, définit l’économie mouride. Sur le thème ‘’La vision économique du mouridisme dans la science économique’’, l’enseignant-chercheur a détaillé les caractéristiques essentielles de l’économie mouride dont il faudrait s’inspirer, à son avis, pour développer le pays.
A l’en croire, la détermination du modèle mouride est héritée du Prophète de l’islam (PSL) qui, lors de la bataille de Badr, est parvenu, grâce à sa détermination, à prendre le dessus sur ses adversaires, malgré l’infériorité numérique de ses compagnons. Il y a aussi, dans cette détermination mouride, la volonté créatrice et la soif de l’indépendance financière dont partagent ‘’toutes les grandes écoles de la science économique qui ont tous comme objectif la richesse financière’’, indique-t-il.
En plus de la détermination, l’économie mouride, souligne-t-il, est ‘’décomplexée’’ et se base sur un travail licite. Le modèle de Bamba s’inspire de la réalité locale et n’est influencé ni par l’Occident ni par l’Orient. C’est une pure créativité sénégalaise. Ce décomplexe est renforcé par la solidarité. ‘’Toute la vie de Cheikh Ahmadou Bamba est marquée par la volonté de définir ses propres valeurs. Il a refusé d’être chef et s’est départi du pouvoir confrérique pour privilégier la communauté. ‘’Je suis, parce que nous sommes’’. C’est la solidarité mouride’’. C’est la primauté de la communauté sur l’individu. Le Cheikh avait une idée de société décomplexée et déterminée. La recherche du savoir et l’enseignement consistaient, chez lui, à apprendre au disciple d’être endurant avec le travail. Ce qui lui permet de renforcer sa foi, car étant indépendant de toute contrainte financière’’, fait croire l’enseignant-chercheur à l’Ucad.
Avant de poursuivre : ‘’La vision économique du mouridisme, au de-là de la richesse matérielle, cherche la richesse immatérielle et sociale. Chez le mouride, la communauté est au-dessus de l’individu. La vision économique de Cheikh Ahmadou Bamba est basée sur la recherche du travail licite, d’abord et avant tout. Cette nécessité s’inscrit dans la tradition soufie mystique et pragmatique du Cheikh’’.
L’autre originalité du modèle économique de Touba est l’autofinancement des projets et infrastructures au profit de la communauté. C’est tout le sens du ‘’adya’’ qui règle le problème du financement des projets à impact social et communautaire, avec la méthode de la cotisation. La première réussite de ce modèle est la construction, au début des années 1900, de la grande mosquée de Diourbel, entièrement financée par la cotisation des talibés. Et aux yeux de l’économiste, ce système a permis l’autonomisation de la ville de Touba. L’objectif étant d’éviter toujours de demander aux autres et de rester digne.
‘’L’esprit mouride est important, parce qu’il fallait montrer à l’homme noir, malgré l’esclavage et la colonisation, qu’il était capable d’avoir une vision structurée. Il s’agit ici de créer un modèle dont la source ne venait ni de l’Orient (Arabe) ni de l’Occident (Blanc). Elle vient directement de la communauté’’, insiste-t-il.
Réformer la justice pour sortir de l’informel
En outre, pour le juriste Abdoulaye Sakho, le modèle économique mouride est un système local bien structuré et sur lequel on peut s’inspirer pour développer le pays. Mais pour cela, il faut relever certains défis auxquels il fait face. Il s’agit de le rendre plus moderne et l’orienter davantage vers l’industrialisation. ‘’Les mourides ont toujours excellé dans la production. Le défi, aujourd’hui, est d’aller vers la transformation locale de la production pour que les matières premières aient plus de rendement pour les producteurs. L’autre défi est la formalisation de l’informel’’, estime-t-il.
Pour M. Sakho la question centrale est de voir comment formaliser ce modèle économique pour qu’il puisse participer au développement du pays.
Dans ce dessein, il propose de revoir les lois, car, précise-t-il, cette économie informelle n’est pas illicite en soi, mais c’est la manière de l’exercer qui la rend illicite. Elle n’est pas répréhensible en soi, mais c’est la manière de le faire qui est répréhensible. ‘’Cette forme illégale de travailler est parfois due à la méconnaissance des lois, parfois d’une volonté délibérée ou encore de l’inéquation des lois’’.
Pour lui, c’est sur ce dernier point qu’il faut insister. La solution, pense-t-il, est d’établir des lois qui prennent compte de cette économie et qui sont conformes aux réalités locales. Il faut donc revoir le droit fiscal sénégalais trop inspiré de l’Occident pour l’adapter à nos réalités. Autrement dit, décomplexer le système fiscal comme le modèle économique mouride l’a fait dans la science économique.
‘’Le droit fiscal est en lui-même un important facteur de développement du secteur informel et de l’incivisme fiscal, pour deux raisons essentielles : la complexité du droit fiscal et l’organisation administrative’’. Le secteur informel possède, assurément, les moyens d’un fonctionnement endogène, un ordre juridique qui lui est propre, son propre droit du travail, son propre droit commercial et ses propres modes de financement. L’ignorer revient à saper les bases d’une utilisation féconde de ce secteur dans la perspective du développement économique et social de notre pays’’, estime, ferme, l’agrégé en droit.
Pour Abdoulaye Sakho, ‘’le secteur informel a ses propres règles que le droit étatique ne connait pas. Il a aussi son propre ordre juridique que l’Etat gagnerait à prendre en compte plutôt qu’à réprimer comme faisant une concurrence déloyale au secteur moderne’’. C’est pourquoi, estime-t-il, ‘’les opérateurs économiques de l’informel doivent se retrouver rapidement en situation d’acteurs et non plus de sujets passifs que l’Etat tolère, réprime ou récupère selon les circonstances’’. ‘’Aujourd’hui, l’économie informelle suscite un vif intérêt chez toutes les parties prenantes au développement. On a compris que le développement, ce n’est pas seulement l’accueil des investisseurs étrangers, mais aussi la promotion de l’investissement local. C’est pourquoi il est important de réfléchir pour voir comment rendre l’informel conforme aux droits, en s’inspirant de nos réalités locales pour établir des lois conformes, car l’informel doit obéir à ses propres règles’’, conclut-il.
ABBA BA