«Malgré nos dissensions, il n'y a jamais eu de rupture définitive»
Les hommes passent mais les idéaux restent. En ce jour anniversaire de la disparition de Cheikh Anta Diop, ses idées panafricanistes sont plus que d’actualité dans un continent meurtri par les conflits et la pauvreté, selon le Dr Dialo Diop, l'un de ses plus fidèles disciples.
Pouvez-vous nous présenter Cheikh Anta Diop?
Il serait un peu difficile de le résumer en quelques mots. C’est un homme à multiples facettes puisque Cheikh Anta est un des derniers grands esprits encyclopédiques du 20e siècle. Il fut forgé par une solide éducation religieuse, intellectuelle et humaniste.
Ce savant, chercheur non moins militant au sein de son parti, le Rassemblement national démocratique (RND) dont il était le fondateur en 1976, œuvrait pour l’intégration de l’Afrique. Comme leader politique, il a toujours refusé d’endosser une étiquette politique ou de se définir comme adhérent à tel ou tel courant idéologique importé de l’Occident qui ne corresponde pas à nos réalités socio-économiques.
Pourtant les idéaux et orientations du Rnd sont proches des mouvements de gauche. N’est-ce pas là équivoque ?
Ce n’est qu’un paradoxe de surface. Le Rnd est le concentré de trois courants de nationalistes africains panafricains, de socialistes autogestionnaires de Mamadou Dia et d’anciens marxistes dissidents du Pai qui se sont réunis pour réaliser la vision panafricaine du groupe de Casablanca.
Il a comme vision politique d’oeuvrer à la libération du peuple de la domination impérialiste néo-coloniale, mais aussi à la reconstruction nationale au profit du peuple africain et l’unité politique du continent sous l’autorité d’un gouvernement fédéral africain. Mais il a toujours refusé la grande pensée progressiste (communisme) et la lutte des classes, qui est l’essence même des organisations de Gauche. Il a toujours voulu l’émancipation des masses avec la promotion d’une politique de développement nationale et populaire.
28 ans après son décès, qu’est-il advenu de son héritage politique ?
Trois décennies après, nous pouvons dire qu’après des divisions, des séparations et des retrouvailles, différentes familles politiques nées des différentes scissions du Rnd dans les années 80 sont en passe de se retrouver autour des grands idéaux de Cheikh Anta Diop.
Ainsi, la grande famille «cheikhantaiste», après plusieurs péripéties comme l’exclusion de Mbaye Niang en 1982 pour cause d’activités fractionnistes qui s’en est allé créer le Parti pour la libération du Peuple (PLP), un parti qui va réintégrer le Rnd en 1998, la scission d’UDF∕Mboolo bi de Pape Demba Sy qui a eu lieu lors de la présidence du Pr Ely Madiodio Fall au poste de secrétaire général, après la mort de Cheikh Anta Diop, a été affaiblie.
Malgré ses dissensions qui ne sont que des malentendus, il n'y a jamais eu de rupture définitive sauf pour le cas de Madior Diouf exclu du parti, lors du dernier congrès en 2008, après 16 ans à la présidence du parti...
Au vu de la situation du Rnd, n’avez-vous pas l’impression d’avoir bafoué l’héritage du maître ?
(Il coupe) C’est vrai, des personnes se demandent souvent comment des gens qui réclament l’unité africaine n’arrivent-ils pas à s’entendre. Mais nous avons la conviction que tous les «cheikhantaistes» sincères vont se retrouver dans un grand ensemble panafricain. Il n’y pas de scission par rapport à la pensée qui demeure toujours fidèle aux idéaux du maître.
L’échec des expériences économiques et politiques de Sékou Touré et Kwamé Nkrumah, deux chantres du panafricanisme, n’ont-ils pas brisé l'élan de ce mouvement ?
(Il se rassoit) il ne faut pas oublier que Sékou Touré et Nkrumah ont été combattus par des forces impérialistes qui ont saboté leurs politiques économiques. Dans le cas de la Guinée, la révolution guinéenne a dû faire face à une véritable opération de désorganisation économique avec l’introduction dans le pays de la fausse monnaie à partir des pays frontaliers.
Par ailleurs, si aujourd’hui le Ghana est salué pour son miracle économique, c’est grâce aux réformes de Nkrumah réalisées entre 1959 et 1966. Mais ces échecs sont le symbole de l’impossibilité de construire des espaces économiques viables issus des petits territoires coloniaux, d’où la nécessité d’établir les bases d’une unité sous régionale ouest africaine puis africaine. Et au vu de la situation du continent, je pense que le Panafricanisme est plus que d’actualité.
Pensez-vous que la volonté d’intégration politique et économique de l’Union africaine est une avancée dans la bonne direction ?
(Il acquiesce) Mais ce n’est pas suffisant. Elle doit aller beaucoup plus loin dans l’intégration politique et se départir de l’asservissement intellectuel et politique par rapport à l’Occident. Cette soumission a fait jusqu'ici la promotion de dirigeants peu vertueux qui ont poussé l’Afrique à sa perte. L’Union africaine doit trouver sa propre voie vers l’unité de l’Afrique tout de suite car on tergiverse depuis plus d’une soixantaine d’années.
Par Mamadou Makhfouse Ngom