Publié le 14 Nov 2022 - 18:26
DIVULGATION DE DOCUMENTS ‘’SECRET DÉFENSE'', ARRESTATION DE PAPE ALE NIANG

Le ministre de Communication menace des acteurs de la presse 

 

Après l’arrestation de Pape Alé Niang pour divulgation de documents militaires estampillés ‘’Secret défense’’, le ministre de la Communication ‘’menace’’ les journalistes qui ont divulgué le contrat d’armement entre le ministère de l’Environnement et un marchand d'armes douteux.

 

Entre le fond et la forme, le gouvernement du Sénégal a choisi de sauver les apparences. Alors que les révélations contenues dans l’article de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), publié le mardi 25 octobre 2022, pourraient amener toute instance juridique compétente à chercher à y voir plus clair, l’État du Sénégal penche vers l’accusation contre les journalistes. Ceux du consortium, qui affirment que le ministère sénégalais de l’Environnement a signé, début 2022, un contrat d’une valeur de 45 milliards de francs CFA pour l’achat d’armes avec un fournisseur dont la société, quasiment inconnue sur le marché, a été créée quelques semaines avant que l’accord soit conclu.

Pour avoir divulgué ce contrat estampillé ‘’Secret défense’’, le gouvernement du Sénégal compte lancer des représailles. Hier, lors d’une émission sur les ondes de la RFM, le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique s’est prononcé sur le sujet pour dire que ‘’ces infractions ne seront pas impunies’’.

‘’Je suis clair. Il est clair que l’État du Sénégal, qui a la responsabilité de veiller aux lois et règlements, prendra toutes les mesures nécessaires (…) Nous allons revenir à l’ordre. Ne pas autoriser qu’un journaliste ou qu’un consortium de journalistes puisse violer délibérément le ’Secret défense’ qui peuvent nuire à la stabilité de notre pays, à l’honorabilité de nos forces de défense et de sécurité. Nous devons tous y veiller et il appartient à l'État de prendre ses responsabilités et il le fera. Quelles qu’en soient les conséquences’’, a assuré Moussa Bocar Thiam.

‘’Un journaliste ne peut pas tout dire, tout révéler…’’

Par cette démarche, l’avocat, ex-agent judiciaire de l’État, acte-t-il, une volonté de faire taire les voix critiques à l’encontre du gouvernement ? Se fondant sur l’article 5 du Code de la presse, Moussa Bocar Thiam explique qu’un journaliste ‘’ne peut pas tout dire, tout révéler, quitte à nuire aux intérêts supérieurs de la nation. C’est intolérable et inadmissible. Cet intérêt public à informer disparaît, dès lors qu’il y a un intérêt public qui appartient à l’État du Sénégal à travers la stabilité du pays’’.

Le porte-parole du gouvernement s’était déjà prononcé sur cette affaire, au lendemain de la publication de l’enquête de l’OCCRP. Selon le communiqué d’Abdou Karim Fofana, ‘’le contrat dont il est question a été passé conformément à la réglementation en vigueur. Il a été approuvé par les services compétents de l’État, sous le sceau du ‘Secret défense’, conformément aux dispositions du décret 2020-876 du 25 mars 2020 complétant l’article 3 du décret 2014 -1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics, modifié par le décret 2022-22 du 7 janvier 2020 qui exclut du champ d’application du Code des marchés publics les travaux, fournitures, prestation de services et équipements réalisés pour la défense et la sécurité du Sénégal et classé ’Secret défense’ qui sont incompatibles avec les mesures de publicité exigées par le Code des marchés publics’’.

Toutefois, le contenu du contrat n’a jamais été abordé par les autorités, de même que l’identité du marchand d’armes poursuivi dans son propre pays (Niger). Selon plusieurs experts interrogés par les journalistes de l’OCCRP, le contrat pourrait être surévalué. Un soupçon nourri par le passé d’Aboubakar Hima, accusé d’avoir détourné plusieurs millions de dollars sur d’autres contrats d’armement au Nigeria et au Niger. Certains de ses avoirs ont d’ailleurs été saisis par les autorités américaines et sud-africaines.

Le contenu du contrat toujours ignoré par le gouvernement

Les ‘’menaces’’ du ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique interviennent au moment où le Sénégal est pointé du doigt pour l’arrestation d’un journaliste très critique à l’encontre du pouvoir. Pape Alé Niang du site Dakarmatin a été placé sous mandat de dépôt, inculpé pour ‘’divulgation d'informations non rendues publiques par l'autorité compétente de nature à nuire à la défense nationale ; recel de documents administratifs et militaires ; diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques’’.

Un sujet que Moussa Bocar Thiam a également évoqué. Et le maire de Ourossogui de demander : ‘’Est-ce que pour des raisons ou des penchants politiques, l’on devrait se permettre de laisser faire les dérives ? Il faut savoir que la liberté d’expression est une liberté encadrée, parce que limitée par des exceptions prévues par la loi et le règlement, notamment le ‘Secret défense’, la sécurité nationale.’’

Depuis cette arrestation, beaucoup d’associations de presse nationale et internationale exigent la libération de Pape Alé Niang. La Coordination des associations de presse (Cap) qui regroupe les organisations Appel, Cdeps, CJRS, Cored, CTPAS, Synpics, UNPJS et Urac, a vigoureusement condamné l’arrestation du journaliste de Dakarmatin et exige sa libération immédiate et sans condition. Idem pour Reporters sans frontières et beaucoup d’associations sénégalaises de la société civile, dont l’ONG 3D et Y en a marre. D’ailleurs, une marche pour la libération du journaliste est prévue vendredi prochain.

Lamine Diouf 

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