Publié le 26 Aug 2023 - 21:09
DJIBRIL WADE, PRÉSIDENT LIGUE SÉNÉGALAISE DE FOOTBALL PROFESSIONNEL

“Les clubs sénégalais doivent être soutenus à maintenir leurs joueurs”

 

Après une saison 2022-2023 achevée le week-end dernier avec la finale de la Coupe de la Ligue, le président de la Ligue sénégalaise de football professionnel (LSFP) s’est félicité de la bonne  tenue des compétitions, malgré le dépassement du timing. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, Mohamed Djibril Wade s’est penché sur son bilan à mi-mandat et sur les perspectives.

 

La ligue vient de boucler la saison 2023 par la finale de la Coupe de la Ligue remportée par Teungueth FC face au Stade de Mbour. N’est-ce pas un motif de satisfaction ?

C’est un motif de satisfaction, dans la mesure où on n’a pas organisé la Coupe de la Ligue depuis quatre ans. C’est une reprise, cette année, après une période où la Ligue Pro était dans des difficultés financières. Depuis 2017, on a perdu notre sponsor leader, qui est Orange. Ce n’était pas facile à notre niveau. Quand on a remplacé le président Saër Seck, on a trouvé des dettes envers les clubs. Une partie des dettes a été prise en charge par la Fédération sénégalaise de football et c’est à nous de payer le reste.

Donc, si on organise une Coupe de la Ligue qui se termine en beauté devant trois ministres qui sont venus rehausser cette finale de leur présence. On aurait quand même voulu avoir le Premier ministre.

Ce qui me réconforte dans cette finale, c’est la mobilisation de Teungueth et du Stade de Mbour. Mais le plus important pour moi, c’est qu’à la fin du match, le Stade de Mbour a accepté sa défaite. Il n’y a pas eu de violence, mais plutôt des gestes de sportivité. J’ai vu les joueurs de Teungueth aller vers les supporters du Stade de Mbour, qui les ont applaudis et vice-versa. Cela augure des lendemains meilleurs et me pousse à croire encore plus au football sénégalais, au public et à l’homme sénégalais. Je suis issu de Niary Tally, du mouvement navétane. Depuis 20 ans, je lutte contre la violence. Aujourd’hui, j’ai bon espoir qu’on va éradiquer cette violence bientôt.

Quel bilan tirez-vous du championnat qui vient de s’achever sur le sacre de Génération Foot ?

Je trouve qu’on a eu un championnat qui a été assez long par rapport au timing, parce que nous avions prévu de terminer au mois de juin. Malheureusement, on est allé jusqu’en juillet. Il y a eu quarante jours de plus. Ce qui a occasionné des difficultés pour les clubs, parce que c’est des salaires de plus. Cela se comprend du fait de la situation politique du pays. On est resté pratiquement un mois sans jouer à cause des événements qui se sont passés dans ce pays (en juin). Il y a ensuite l’effet du Chan. Mais on avait prévu de ne pas jouer durant cette période, parce que c’est notre championnat d’Afrique. Il y a eu quand même la Can U20 qui a impacté sur le championnat. Ce qui n’est pas normal, parce que c’est la catégorie junior. C’est un problème de règlement qu’on va enlever. Durant ces vacances, on va vers un conseil d’administration de bilan que nous allons transformer en assemblée générale extraordinaire pour changer quelques points du règlement intérieur. Cela pour qu’à l’avenir, s’il y a une Coupe d’Afrique junior, ça n’impacte pas sur le championnat.

‘’Les comptes vont être remis à zéro. Ils étaient négatifs. Cette année, je vais payer toutes les dettes dues aux clubs’’

Le championnat s’est bien passé, Génération Foot n’a pas dominé la manche aller, mais est revenue très fort. Elle a une très bonne équipe et un très beau football. La preuve, après le championnat, il y a pratiquement une quinzaine de joueurs qui sont partis. Ils étaient quand même au-dessus des autres.

Il y a eu quand même la violence dans les stades…

Maintenant, il y a eu des effets pervers. Sur les 364 matchs de la Ligue 1, il y a eu six cas de violence, cinq en championnat et un en Coupe de la Ligue. Je trouve que c’est un peu trop. Il faudrait qu’on fasse des efforts l’année prochaine. Je ne dis pas aller vers zéro violence, mais aller vers moins de cas de violence. Et dans deux ans, arriver à zéro violence. Quelles sont les mesures qu’on va prendre ? On a commencé depuis à parler avec le public à travers les comités des supporters. On a eu l’année dernière un séminaire avec les présidents des comités des supporters. Cette année, on a tenu un séminaire avec les capitaines d’équipe, les entraineurs. On va multiplier ces actions. On a aussi recensé certains clubs où il y avait des violences. Des clubs populaires, à savoir Guédiawaye FC, AS Pikine, Jaraaf un peu. Il y a Niary Tally qui va retrouver la L2. Au niveau de la Linguère, il y a eu quelquefois des problèmes. Il faudrait qu’on parle de plus en plus à ces clubs-là pour qu’on puisse anticiper sur certaines choses. Ce football, c’est à nous de le faire.

Si la violence persiste, certains pensent que c’est dû au fait que les sanctions ne sont pas assez dissuasives. Partagez-vous ce point de vue ?

Non, je ne le partage pas ! Je donne l’exemple de mon club. Niary Tally était en 1re division ; il est relégué en  2e division puis en National 1 à cause des sanctions. Quand on jouait en Ligue 2 la saison dernière, tous nos matchs aller, on les a joués hors de notre terrain et à huis clos. Sanction ne peut pas être plus dure. Il faut analyser pourquoi Niary Tally est descendu en National 1. Quand les gens disent qu’on a un conglomérat de dirigeants où on se fait des passe-droits, cela n’existe pas.

Maintenant, il y a des clubs qu’on ne connaissait pas dans la violence, comme le Jaraaf. On a commencé à parler avec eux. La sanction est aussi pédagogique. Ce qu’on peut pardonner au Jaraaf, on ne peut le faire à Pikine ou à Niary Tally. C’est des clubs qui ont cette réputation. Vous avez vu les dernières sanctions sur le Jaraaf et Pikine ! L’année prochaine, on va accentuer ça. Après, toute sanction doit être prévue par la loi. Les gens parlent de retrait de points. Ce n’est pas encore prévu dans nos textes. Donc, ce n’est pas applicable.

Le président de la République avait lancé un appel aux entreprises privées pour accompagner le football local. Est-ce que les choses bougent ?

Malheureusement, le président a lancé ce message après, il a changé de ministre des Sports. Mais quoi qu’il en soit, les autorités sont tenues d’aider le football. Elles sont obligées. Il n’y a pas de meilleur créneau que le sport, notamment le football, pour occuper la jeunesse. C’est une occupation saine qui peut leur apporter quelque chose. Je prends l’exemple de Niary Tally qui était en National 1, mais autour duquel il y a au moins 150 personnes qui parviennent à nourrir leur famille. Rien qu’à la finale du N1, des gens ont acheté des maillots pour les revendre plus cher. Il y a eu des transactions financières. On est aujourd’hui dans une économie du football qui peut générer beaucoup d’activités rémunératrices. Donc, l’État a intérêt à nous aider. Ces jeunes qui prennent les pirogues pour se rendre en Europe, on peut jouer notre partition.

Que faire face aux joueurs qui partent ?

Les joueurs qui partent en Guinée, au Maroc, en Mauritanie, en Tanzanie, il faut tout faire pour les retenir. Ils quittent le Sénégal pour aller au Maroc où ils peuvent gagner un salaire d’un million. Si dans un combat de lutte, pour cinq minutes, on parvient à payer à Moustapha Guèye, Tyson 10 millions de francs CFA, nous, on devrait maintenir nos joueurs avec des salaires de deux, trois ou quatre millions. Pour cela, il faut que l’État mette la main à la pâte. C’est possible, l’argent est là. Il faut s’organiser pour que l’État nous aide.

Ensuite, la fédération a commencé à investir sur le football local en mettant en place des infrastructures comme le centre Jules-François Bocandé de Toubab Dialaw, les subventions aux clubs. Le président Augustin Senghor a même dit qu’il va plus aider les clubs qui sont en train de faire des efforts. Les clubs sont en train de s’organiser pour disposer de leur siège social et leur terrain d’entrainement. On doit pouvoir retenir certains de nos joueurs et faire comme les Marocains. Un joueur qui sort, c’est pour prendre au moins un million d’euros. Mais des joueurs qui partent en Europe pour des subsides, on doit dépasser cela.

À mi-parcours de votre mandat, qu’est-ce qui vous a le plus satisfait et que faudrait-il améliorer ?

Quand on venait, nos matchs n’étaient pas télévisés. Aujourd’hui, ils le sont. Je suis en l’an 2 et les comptes vont être remis à zéro. Ils étaient négatifs. Cette année, je vais payer toutes les dettes dues aux clubs. Ensuite, j’ai vu de très bons dirigeants de club. Ils sont passionnés et veulent travailler. Vous me voyez rarement. C’est une équipe avec les Momar Lo, Nicolas, Thiané Sarr… Ensuite, on est en parfaite symbiose avec le président Senghor, le président Abdoulaye  Sow, qui était le parrain de la finale de la Coupe de la Ligue. Il nous a beaucoup aidés en tant que ministre. Cela montre que le ‘’Mankoo’’ est en marche. S’il marche, on peut aller très loin. Orange est en train de revenir timidement. Quand ils étaient là, ils mettaient 350 millions. Aujourd’hui, ils sont à 85 millions ; l’année prochaine ils vont doubler la mise.

J’avais annoncé qu’il y aurait une commission de la haute compétition. Ce qui n’est pas encore fait. Il nous faut aussi organiser une compétition des petites catégories U17 ou U19. Il nous faut un championnat d’élite de la petite catégorie. Avant la fin de mon mandat, il faudrait qu’on puisse le démarrer.

L’autre chose, c’est de relever les finances. La ligue n’est pas là pour faire des bénéfices, mais elle doit en apporter aux clubs. Le club sénégalais tel que structuré comme Jaraaf, Jeanne d’Arc, US Gorée, etc., doit être aidé pour maintenir les joueurs.

Où en êtes-vous avec votre projet de mettre sur pied la convention collective des joueurs professionnels ?

Pour ça, il faudrait d’abord que l’on réforme les textes, le cadre législatif en rapport à la loi sur le statut du sport. On attend, on va discuter avec les syndicats des joueurs. Mais avant de faire la convention des joueurs, il faut faire une convention sur les présidents de club. Il faut défendre les investisseurs. On n’a pas de l’argent à jeter comme ça. J’avais commencé à saisir les députés et à discuter avec eux. Les textes étaient faits par les cadres du ministère de la Jeunesse. Il suffit de les dépoussiérer. Maintenant, on est en train de faire du lobbying avec certains députés. On va attendre le nouveau ministre des Sports qui va venir. L’environnement politique aussi pose problème. Matar Ba était là, très stable. Depuis son départ, il n’y a plus de stabilité au niveau de ce ministère.

Quand est-il de l’idée du passage de 14 à 16 clubs en championnat ?

C’est acté, mais ça va être effectif durant la saison 2024-2025. Tout le monde est informé. Au départ, je n’étais pas pour, parce que je parlais surtout de finances. Puisqu’on a gagné beaucoup d’argent à la Coupe du monde et à la Coupe d’Afrique, je me disais qu’il nous faut un championnat d’élite, vu le nombre de matchs qu’on joue et que le football a évolué. On peut accepter cette idée. Cela va augmenter le ratio des matchs parce qu’on est en deçà de la moyenne. On a 26 matchs en championnats, 2 en Coupe du Sénégal, cela fait 28, plus 2 en Coupe de la Ligue, cela fait 30 matchs, alors que le ratio normal est de 50 ou 60. En Europe, ils sont à 65 matchs. Il nous faut au moins avoir 40 matchs d’ici trois ou quatre ans.

LOUIS GEORGES DIATTA

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