''J'ai perdu deux de mes frères et membres du groupe en l'intervalle d'une année''
Après les succès de ''Li ngay diaye'' et ''Thiabi bi'', Alioune Kassé est comme qui dirait tombé dans l'anonymat. Ses dernières sorties n'ont pas été accueillies de manière aussi populaire que les premières. Absent depuis longtemps de la scène musicale sénégalaise, il organise son grand retour pour cette année. Le frangin de Ndèye Kassé travaille sur la sortie de son prochain album qui doit le remettre au cœur de l'univers musical sénégalais. Ce ne sera pas chose facile, car Alioune Kassé, qui a perdu deux de ses frères et membres de son groupe, en l'intervalle d'une année, doit uniquement compter sur ses propres moyens. Pourtant, ils sont nombreux, les ténors de la musique à qui son défunt père Ibra Kassé avait tendu la perche et qui pouvaient lui venir en aide. Mais, ''aucun d'entre eux ne nous a tendu la main'', révèle le chanteur, qui reste malgré tout optimiste et promet même de revenir sous un nouveau jour. Entretien...
Qu'est devenu Alioune Kassé ?
Alioune Kassé est dans la musique. Je travaille sur mon prochain album. J'ai commencé à y travailler depuis longtemps. J'ai eu quelques soucis qui ont ralenti le travail. J'ai été obligé de reprendre beaucoup de choses. Je veux bien faire et revenir avec quelque chose de consistant. Je veux vraiment revenir avec de la musique de bonne qualité.
Parlez-nous de ces soucis qui ont bloqué la sortie de l'album?
Ce sont des choses difficiles et sur lesquelles je n'ai aucune maîtrise. J'ai perdu deux de mes frères qui étaient avec moi. Ils faisaient partie du groupe. Les deux décès sont survenus dans un intervalle d'une année. Cela m'avait bousculé. C'est pourquoi j'avais pris du recul.
Quelles sont les spécificités de la production en cours ?
Je peux dire qu'on peut retrouver un peu de tout dedans. Je parle de thèmes de société. Je parle aussi de l'amour et de faits de société. Je parle de beaucoup de choses. Je ne peux pas encore trop en parler parce que ce n'est pas encore sorti.
Ce sera un album de variétés. J'ai dépassé le stade de faire uniquement du mbalax. Je veux que ceux qui m'écoutent savent que je fais de la musique pure et dure. Quand on se résume au mbalax on ne se donne pas l'opportunité de faire des recherches et de découvrir d'autres sonorités. Je fais de la salsa, de l'acoustique et du mbalax aussi.
Peut-on avoir une idée de la date de sortie de cet album ?
Je peux juste dire que ce sera au cours de 2014. Je ne veux pas avancer de date exacte. Je suis un peu superstitieux. Car j'ai déjà annoncé des dates et cela ne s'est pas fait. Maintenant, je veux attendre le jour-j. C'est mieux.
Avez-vous conscience que la musique a évolué et qu'un groupe de jeunes a émergé et est arrivé à s'imposer sur la scène musicale ?
C'est vrai qu'il y a une évolution de la musique. Je crois en mon talent. Je crois en moi. J'ai des facettes cachées que les gens n'ont pas encore vues. Les mélomanes seront surpris et verront un nouvel Alioune Kassé. Je suis content pour le succès de la nouvelle génération. Nous quand on commençait, on était très jeune. On avait à peine 20 ans.
Quand on arrivait, il n'y avait que ceux qu'on appelait les 4 grands : Youssou Ndour, Omar Pène, Ismaïla Lô et Thione Seck. Eux sont témoins de notre succès. Il est normal qu'aujourd'hui, nous soyons témoins du succès de nos jeunes frères. La chance qu'a la nouvelle génération par rapport à nous, c'est qu'à l'époque, il était difficile de sortir du lot.
Il n'y avait qu'une télé et quelques radios. Pour y accéder, il fallait avoir du talent et beaucoup de talent d'ailleurs. Aussi, la musique était la chasse gardée d'une catégorie de personnes. C'était dur, mais on se battait. On était jeune et on tenait à ce que les Sénégalais nous connaissent. Tous ceux qui écoutaient de la musique à cette époque étaient des intellectuels. Ils écoutaient Dire Straight, Bob Marley, Touré Kunda, etc. On était donc obligé de sortir de la musique de bonne qualité.
Donc, pour vous, la musique servie aujourd'hui manque de qualité ?
C'est cela. Actuellement, les gens font un album en une semaine. Nous on prenait des mois ou des années pour faire une production. On prenait notre temps dans le travail. Maintenant, avec la nouvelle technologie, les choses se font rapidement.
Vous l'avez dit plus haut, à votre arrivée sur la scène musicale, en 1994, il n'y avait que les 4 grands. Ils ont fait leur chemin et c'était à vous, Alioune Mbaye Nder, Fallou Dieng etc de prendre la relève. Mais aucun d'entre vous n'a su s'imposer comme il fallait. N'avez-vous pas dormi sur vos lauriers ?
Pour moi, la musique n'est pas une compétition. J'essaie de faire mon bout de chemin. Et de mon mieux pour que ce que je fais plaise aux gens. Si j'arrive à avoir une petite place dans cet univers de la musique, je rends grâce à Dieu. Car, pour moi, la concurrence n'est pas importante. Chacun a son public. Et vous savez, la musique est assez complexe.
On peut créer quelque chose qui fait le buzz et est apprécié de tous, alors qu'on ne s'y attendait pas. Il arrive des fois qu'on travaille dure et qu'on ait pas au finish le résultat escompté. Je suis sûr que le moment venu, nos efforts paieront, que cela soit pour Fallou Dieng, Alioune Mbaye Nder ou moi. La preuve, il était arrivé un moment où on n'entendait plus Thione Seck. Il a fallu qu'il sorte ''mathiou'' pour revenir au devant de la scène. On prie pour que cette nouvelle génération soit toujours au top.
Du talent, vous dites en avoir. Qu'est-ce qui plombe donc votre carrière musicale ?
Mon cas est différent de ceux des autres. Diverses choses sont survenues dans ma vie et dans l'évolution de ma carrière. Il y a eu une dislocation dans le groupe que je formais avec mes frères, ''Les Kassé stars''. Il y avait le différend entre les frères Kassé et Serigne Modou Kara. Tout cela jouait sur mon mental. Je ne pouvais pas me concentrer sérieusement sur ma musique et sur la création. J'ai travaillé aussi pendant deux ans avec une maison de production étrangère.
On a l'impression que les membres de votre génération qui ont travaillé avec des maisons de disques étrangères n'ont pas pu tirer leur épingle du jeu. Boy Marone et vous en êtes de patents exemples. C'était quoi le problème ?
Pour moi, travailler avec ces gens là est une autre expérience. Le problème, c'est pas le fait d'avoir travaillé avec des étrangers. C'est plutôt le public sénégalais qui avait choisi d'écouter du mbalax pur et dur. Quand on travaille avec une maison de disque étrangère, il faut limiter les ''sabars'' et le rythme. Cela devait être une musique destinée au public international. Quand je suis rentré avec mon CD ''Akcina'' les animateurs ne le passaient pas à la radio.
Ils me disaient qu'il n'y avait pas assez de rythmes dedans. C'est ce qui a porté un lourd préjudice à la promotion de l'album sur le plan national. Personnellement, l'erreur que j'ai commise c'est de n'avoir pas sorti un album sur le plan national et ''Akcina'', mis dans les bacs à l'étranger, n'a pas répondu à mes attentes et à celles du producteur.
Au delà de l'album, vous avez d'autres projets ?
Oui, on est en train de travailler sur un projet de boite de nuit. Cela avance bien. Après, je pourrais m'y produire régulièrement et inviter des artistes à le faire également.
Ce projet s'inscrit-il dans la logique de sauvegarder l'héritage de votre père ?
Oui, c'est surtout cela. Il tenait beaucoup à sa boite de nuit. On ne veut pas que les gens disent qu'on n'a pas su sauvegarder son legs. Mon père disait que le Miami est une école, c'est pourquoi on veut mettre la boite à la disposition des artistes. On réfléchit encore sur le nom de la boite parce que c'est un projet familial.
Certaines choses sont privées, je ne saurais en parler. On se bat pour sauvegarder ce qu'il a laissé ici.
Votre papa a aidé beaucoup d'artistes dans leur carrière. Ces derniers qui ont réussi en ont-ils autant fait pour vous ?
Franchement, je ne vais pas mentir pour polir l'image de ces gens là, mais aucun d'entre eux ne nous a tendu la main. Si on est aujourd'hui connus, ma sœur et moi c'est le résultat de nos propres efforts. Les gens oublient le passé. Certains gens sont des beaux parleurs. Ils font des témoignages à la télé et à la radio juste pour polir leur image, pas plus. Je ne parle même pas de nous, les enfants, mais ma mère est là. Elle préparait des fois des plats pour les musiciens de mon père, elle intervenait quand il y avait des problèmes. Si aujourd'hui, ces gens là ne font rien pour nous, qu'ils viennent au moins rendre visite à ma maman.
On ne voit presque personne. Je ne leur en veux pas. Mais je sais que ce n'est pas joli. J'estime Thione Seck. Il m'a une fois emmené à Saint-Louis pour jouer avec Coumba Gawlo. Il m'a donné un très bon cachet. Il m'a également invité à maintes reprises à ses soirées anniversaire. Idy Diop aussi passe de temps à temps à la maison pour venir voir la maman. C'est le cas de Grand Mass Seck et James Gadiaga. Les autres ont eux oublié le passé vécu avec mon père.
Quelles relations entretenez-vous avec les artistes de votre génération ?
J'entretiens de bonne relations avec eux. Actuellement je suis en retrait parce que je prépare mon retour. Je ne sors que très rarement. Mais j'entretiens de bonnes relations avec tout le monde. Le courant passe bien.
Comment voyez-vous la carrière de Ndèye Kassé ?
Elle aussi se bat. Elle prépare quelque chose. Elle et moi portons un lourd fardeau. Il n'est pas facile d'être le fils de Ibra Kassé. Quelqu'un qui a beaucoup œuvré pour l'évolution de la musique sénégalaise et dont certains tentent d'enterrer l’œuvre au lieu de la faire vivre. C'est dur mais on se bat. Je ne baisserai jamais les bras car la musique est ma passion.
BIGUÉ BOB