''Si Macky Sall veut durer au pouvoir...''

Le Professeur Abdoulaye Bathily n'est guère emballé par le débat en cours sur les élections locales de 2014. Il estime non seulement qu'il est prématuré, mais aussi le juge non pertinent, du fait justement qu'il occulte les véritables enjeux du développement des collectivités locales. Mieux le Pr Bathily , qui décortique le score (65%) OBTENU PAR Macky Sall à la dernière présidentielle , estime qu'il est me dangereux de lier le président aux résultats des prochaines locales. Bathily milite pour une réforme des collectivités locales et le renforcement de la dynamique Benno Bokk Yaakaar (BBY) pour faire face aux défis de l'heure.
L’actualité est marquée par les procédures judiciaires engagées contre plusieurs anciens dignitaires du régime de Wade. Le Pds dénonce un «acharnement», un «déficit de preuves» et évoque une politisation des dossiers…
Je les comprends fort bien. Ils parlent d’acharnement politique mais la réalité est que beaucoup de ces jeunes se sont rapidement enrichis et rien n’explique cet enrichissement rapide. Qu’est-ce qui peut expliquer que des gens deviennent subitement milliardaires et qu’eux-mêmes le déclarent ? Leur train de vie le montre très clairement. J’ai travaillé personnellement 40 ans dans ma vie, je viens de prendre ma retraite. Avant d’être professeur d’université, j’ai enseigné et travaillé comme vacataire, technicien de laboratoire. Cela fait 40 ans que je travaille, je ne peux pas me permettre ce que ces gens-là offrent aujourd’hui, en spectacle, aux Sénégalais. Je parle juste de mon cas. Il y a des entrepreneurs dans ce pays qui ont travaillé toute leur vie, qui ont construit des sociétés, qui se sont investis, sans avoir le train de vie de ces dignitaires de l’ancien régime du Pds. Donc cette richesse-là vient de quelque part. Il faut qu’ils expliquent aux Sénégalais comment et où ils ont pris cet argent, pour avoir le train de vie qu’ils ont actuellement. Ce n’est pas compliqué. C’est juste cela qu’on leur demande. Qu’ils disent où ils ont pris l’argent !
Mais on vous reproche de ne pas respecter les procédures. De façon plus précise, le Pds reproche à l’État de ne pas respecter les délibérations de la Cedeao, alors que le Sénégal est membre à part entière de cette institution.
Ceux qui font ces critiques sont mal placés pour parler des textes de la Cedeao. Avant la présidentielle, nous avions dit que le gouvernement du Sénégal ne respectait pas les textes de la Cedeao parce que Abdoulaye Wade et son gouvernement les violaient continuellement, même dans les procédures électorales. Parmi les dispositions de la Cedeao, il y en a qui indiquent par exemple qu’à 6 mois des élections, aucun gouvernement ne doit modifier les textes de manière unilatérale. Tout monde sait que Me Wade avait sciemment violé ces dispositions au point d'ailleurs de soulever l'opinion… Je concède une chose, et c’est un problème général au niveau des sommets de l’Union africaine : nous avons toujours constaté un déphasage entre les textes adoptés au niveau communautaire et les textes au niveau national. Le droit sénégalais, dans ses dispositions, permet au gouvernement de ne pas notifier l’interdiction de sortie de territoire, parce que s’il y a des soupçons qui pèsent sur eux, le gouvernement peut leur dire de ne pas sortir. Pour la Cedeao, effectivement, il faut que cela leur soit notifié. Il y a nécessité d’harmoniser les textes de lois de la Cedeao et les textes internes du point de vue de la préséance. Je suis d’accord sur ce plan-là. Mais dans le fond, ils doivent expliquer aux Sénégalais comment ils se sont enrichis. C’est une demande populaire.
De façon générale, on note un tâtonnement dans la gestion du dossier des biens mal acquis.
Ce sont des choses qui peuvent arriver. Lorsque les textes communautaires et les nationaux sont contradictoires, il y a problème. Il faut que nos magistrats soient mis au courant pour qu’ils puissent s’adapter. Ce n’est pas spécifique à la justice. C’est valable pour le Commerce. C’est une jungle de textes qui sont là qui ne se répercutent pas au niveau de la législation nationale, car ce sont les lois communautaires qui priment. C’est un apprentissage pour tous les corps de métiers.
Pour une raison ou pour une autre, une certaine opinion pense que vous n’irez pas jusqu’au bout et que vous vous êtes contentés de seconds couteaux, comme les directeurs généraux, dernièrement Thierno Ousmane Sy, alors que d’autres comme Karim Wade ne sont pas inquiétés.
Je ne suis pas dans le secret des procédures, mais cette lenteur est justement due au fait que les gens veulent prendre toutes les précautions nécessaires. La justice est souvent lente mais de ce point de vue, je n’ai pas de crainte. Quand on oublie des questions de forme, on se rue dans les brancards. Mais quand on prend suffisamment de précaution, on dit que c’est trop lent. Il faut qu’on respecte les procédures. Je ne connais pas le fond de la procédure, mais je sais que le ministre de la Justice fait énormément d’efforts pour respecter les procédures. Il faut que ça soit une justice juste, équitable. Ce n’est pas parce qu’il y a des présomptions qui pèsent sur eux qu’il faut faire n’importe quoi. Moi-même j’ai été victime de çà. J’ai été emprisonné pour des peccadilles et je ne veux pas que les autres soient victimes de cela. Je suis pour que les précautions soient prises par le gouvernement, pour que tout ce qui se fait contre eux se fasse dans les règles de droit.
Prenez-vous en compte les effets boomerang que ces affaires peuvent engendrer, quand on sait qu’il y a des forces sociales qui ne sont pas dans la même mouvance ? Il y a des réseaux qui peuvent être activés par l'ancien régime, pouvant menacer la stabilité du pays à tout moment.
Aujourd’hui, nous avons un choix à faire en Afrique. Après 50 ans d’indépendance, si nos pays, malgré quelques progrès, n’arrivent pas à avancer, que le développement économique soit encore à ce stade, il nous faut avoir le courage d'aller vers la transformation de nos sociétés, des mentalités, si nous voulons sortir de l’ornière. Trouvez-vous normal que nos pays, après 50 ans, restent à ce niveau ? Pas d’eau, pas d’électricité… Trouvez-vous normal le spectacle affligeant de nos hôpitaux, de l’école ? Pendant ce temps, cet argent public qui devait alléger la souffrance de ces populations est capturé par un petit groupe d’individus et leur entourage. Si on continue comme ça, c’est la barbarie qui va s’installer dans notre pays. Il faut aller vers des transformations, et en profondeur. C’est valable pour tous les pays d’Afrique. C’est un moment historique de rupture. Si nous ratons cette occasion, je crains fort que nous basculions dans la barbarie. Au Sénégal, nous avons eu deux alternances. La première n’a pas été suivie d’alternative de transformation dans un sens positif, tel que souhaité par les populations. Il faut que cette deuxième alternance, dont le peuple est fier, se transforme en alternative économique et sociale. Si on fait des changements d’hommes et que l’on continue les mêmes pratiques, nous n’avancerons pas…
Il y a une partie de la population qui dit que l’argent circulait sous Wade et qu’il ne circule plus. Pensez-vous que les sénégalais sont prêts à accueillir ces transformations-là que vous préconisez ?
Les Sénégalais sont prêts. Il suffit que les leaders s’engagent dans cette voie et donnent l’exemple, dans la détermination. Nous n’avons pas d’autre choix. Si vous considérez le contexte mondial, la rareté des ressources se ressent partout. Nous ne pouvons plus continuer à compter sur une aide extérieure qui, de toutes les façons, ne vient plus. C’est un effort personnel. Quand vous voyez les choses du point de vue de l’histoire, aucune société ne s’est transformée sans sacrifice, sur une ou deux générations. On accepte les privations pour des lendemains meilleurs. Sous Wade, il y avait une poignée d’individus qui ont fait circuler l’argent entre eux et de manière artificielle, parce que ce n’était pas de l’argent qui était produit par un essor de l’économie. L’argent était là parce que les impôts, les taxes avaient augmenté considérablement. Les ressources publiques ont augmenté à cause du poids de la fiscalité. Ce sont les Sénégalais qui ont produit cet argent avec lequel ces gens se sont amusés. En lieu et place, ils ont accru notre endettement. On s’est rendu compte que c’était de l’argent artificiel, de l’argent sale ou encore de l’argent réel qui a été produit par de rares sénégalais qui ont travaillé. La grande majorité d’entre eux sont de la campagne. Au lieu d’investir cet argent pour les générations futures, ils s’en sont accaparé. C’est cela la réalité. On avait l’impression qu’il y avait de l’argent en abondance. En fin de compte, nous sommes en train de payer. En 2000, il y avait l’ajustement structurel qui avait permis d'équilibrer et d'assainir les finances publiques. Quand Wade est arrivé, la dette a été effacée. Donc on est reparti de zéro. C’était de l’argent en plus. Mais cet argent a été dilapidé en quelques années. Aujourd'hui, on a augmenté la dette du Sénégal. Il faut payer cette dette-là. C’est cela la situation…
Mais on a bien l’impression qu’à côté du passif hérité de Wade que vous décrivez, c’est l’économie de façon générale qui est aujourd’hui grippée.
L’économie est grippée et c’est momentané, parce qu’il faut d’abord reconnaître la réalité de la dette. D’ailleurs Wade avait menacé en disant que s’il ne gagnait pas, on aurait du mal à payer le salaire des fonctionnaires. Il savait très bien ce qu’il avait fait. Il savait que quel que soit le régime qui sera là, il faudra payer cette dette. Aujourd’hui, il faut effectivement payer cette dette.
N’avez-vous pas l’impression que les hommes politiques ont fini de prendre en otage les populations, surtout lorsque le débat politique prend le dessus, sur tout, au Sénégal ?
Je regarde, avec une certaine désolation, le spectacle que certains hommes politiques veulent donner à la population, à savoir que les débats politiques prennent le dessus sur les vrais problèmes, économiques et sociaux. Je me suis battu toute ma vie pour les transformations, les changements. Et les changements ne sont pas seulement liés à une politique ou à un régime. Vous voyez ce qui se passe un peu partout en Afrique, les régimes changent mais les populations ne sentent pas ces changements. Pour moi, le débat doit être centré sur les stratégies de relance de notre agriculture. Il faut voir comment rendre un peu plus prospères les paysans, prévenir cette bombe sociale que constitue le chômage des jeunes. J’ai enseigné des centaines d’étudiants, beaucoup d’entre eux n’ont pas encore de travail et ils ont aujourd’hui 40 ans. C’est une véritable bombe.
Par Mamadou WANE et Daouda GBAYA
A suivre ....
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