Publié le 22 Nov 2012 - 22:00
ENTRETIEN AVEC... AHMED KHALIFA NIASSE (FAP)

“Wade était prêt à vendre le Méridien à Kadhafi pour 100 milliards”

 

Pour le secrétaire général du Front des alliances patriotiques, l'ancien président Wade avait décidé de vendre l'hôtel Méridien au colonel Kadhafi à environ 100 milliards de francs Cfa. C'est l'ex-ministre des Finances Abdoulaye Diop qui l'en a dissuadé.

 

 

Vous aviez annoncé une plainte contre l’Inspection générale d’Etat après la suppression de la mission de promotion pour la nouvelle capitale que vous dirigiez...

 

J’ai simplement dit que je me réservais le droit de le faire. Je m’étais inscrit en faux contre ce qui a été dit. La mission que je dirigeais n’a jamais eu une existence administrative ou financière. Elle avait juste une existence légale par le décret qui l’avait créée. Pour qu’un service existe, il faudrait que les inspecteurs d’Etat le transmettent. S’il existait avant, on allait faire une passation de service. Or, l’inspection d’Etat ne m’a jamais installé en tant que chef de la mission. Je n’ai jamais eu de locaux, encore moins de DAGE (Directeur de l’administration générale et de l’équipement). Nous n’avons jamais reçu une lettre, même de meilleurs vœux de la part de l’administration. Donc, nous considérons que cette mission était un mort-né. Il y avait une volonté de la couler.

 

Pourquoi ?

 

Les gens pensaient que je pouvais être le seul à avoir érigé une nouvelle capitale au Sénégal. Cela pouvait être dangereux pour un certain nombre de personnes qui n’y avaient pas intérêt.

 

Comme qui ?

 

Comme l’actuel président de la République. Si j’avais créé une nouvelle ville, je pouvais être un dangereux adversaire pour lui.

 

Comment ?

 

Je commence par lui. Wade aussi et beaucoup de gens autour de lui. Au Sénégal, au lieu de regarder l’intérêt général, les gens ont la mauvaise habitude de voir l’intérêt personnel. Tous ceux qui voulaient être président ne souhaitaient pas être en face d’un Ahmed Khalifa Niasse, qui finance sa propre campagne, et qui fait une réalisation de taille qui est la nouvelle capitale du Sénégal. Personne ne voulait courir ce risque. Je crois qu’ils ont raison, malheureusement c’est le Sénégal qui est perdant.

 

Que pensez-vous de l’audition des dignitaires de l’ancien régime ?

 

Ne comptez pas sur moi pour vous faire la re-description de la chose. La Cour de répression de l’enrichissement illicite ignore-t-elle les immunités ou pas ? Doivent-ils être entendus par les tribunaux d’exception ? Tout cela, je ne veux pas le savoir. Je veux faire une lecture aérienne. Aujourd’hui, le nouveau président est entouré d’un certain nombre de personnes qui prétendent lui avoir apporté 40% de l’électorat. Par conséquent, s’ils continuent de l’appuyer, il y aura toujours 65% de la population qui continuent de le soutenir. Pour ce faire, il doit être sûr qu’il ne va pas renouer avec les libéraux dont il se réclame. Mais, curieusement à Abidjan (NDLR : lors du congrès de l’Internationale libérale), il n’a pas amené ses alliés, mais les libéraux. S’ils savent que Macky peut manœuvrer aussi bien à droite qu'à gauche, ils (les alliés) courent un risque.

 

Lequel ?

 

Ils savaient que si on additionne les 26% aux 35% obtenus par les libéraux, cela ferait 61% pour le président. Et le fait qu’il ait la possibilité de changer d’allié constitue pour eux un danger. Le jour où le président ne s’accommodera plus de leur compagnonnage, il suffit juste de tourner à droite pour dire : “Écoutez, mes chers libéraux, anciens compagnons de plus de 12 ans, venez ! Nous allons gouverner ensemble !”. Quelque part, Macky Sall veut rassurer ses alliés en montrant qu’il a bien brûlé les vaisseaux avec les libéraux. Cela veut dire qu’on doit brûler tous ces gens-là au plan pénal de sorte qu’ils ne puissent plus être compagnons de demain. Même s’ils sont amnistiés plus tard, ils sont politiquement sales pour entrer dans le temple politique. C’est cela le véritable enjeu. Or, en politique, les alliés d’aujourd’hui sont les adversaires de demain.

 

Ceux qui ont eu à gérer des deniers publics n’ont-ils pas obligation de rendre compte ?

 

D’accord, mais un bon coiffeur, c’est celui qui rase ras. Et non de dire : “Je rase juste en haut, je laisse les autres parties.”

 

Qu’est-ce à dire ?

 

Si on a refusé aujourd’hui de descendre à un certain niveau, c’est sûrement pour ne pas perdre ses compagnons actuels. Si le président avait dit qu’il commence à 60 ou 80, certainement, il y aurait des gens qui ont géré avec Senghor ou avec Diouf.

 

Mais il y a la prescription qui les protège ?

 

La prescription n’est pas une jurisprudence. En matière de deniers publics, il n’y a pas prescription. C’est presque un crime contre l’humanité. On peut répondre à n’importe quel moment. Le président de la République s’est même rendu compte que la Cour contre l’enrichissement illicite est dangereuse.

 

Pourquoi ?

 

Elle ne reconnaît aucune immunité. Si elle ne la reconnaît pas aux anciens Premiers ministres, aux ministres, elle ne va pas le reconnaître aux anciens présidents de la République. Soit toutes les immunités tombent, soit elles sont toutes préservées ! On a pris un décret au dernier Conseil des ministres pour changer la CREI en une Cour qui aura la compétence de juger même le président de la République. Mais, ils seront jugés par les députés, leurs adversaires politiques.

 

Êtes-vous favorable à la comparution de l’ancien président, Abdoulaye Wade ?

 

Écoutez ! Nous voulons savoir où est la politique dans tout cela. Tu en veux à ton adversaire, tu lui crées une Cour qui ne lui reconnaît aucune immunité alors que toi, tu as une immunité. Cette Cour pourrait demain t’appeler. Si on crée une Haute Cour de justice, il n’y a pas d’immunité, mais c’est sélectif. Ce sont des députés de la mouvance qui vont juger leurs adversaires.

 

Le Premier ministre Abdoul Mbaye est accusé de blanchiment d’argent quand il était patron de la CBAO ?

 

Il ne m’appartient pas de le défendre ou de l’accuser à tort. L’actuel Premier ministre n’a été rien d’autre que l’employé d’une banque. Il n’en était pas le propriétaire.

 

Il était le Directeur général…

 

Oui, mais ses décisions doivent être approuvées par le Conseil d’administration. Si celui-ci approuve l’opération, il est aussi coupable que le DG. Et puis, aucun DG n’a le droit de prendre une décision qui va à l’encontre des lois de l’UEMOA, de la BCEAO, du FMI ou de la Banque mondiale. Si toutes ces institutions financières n’ont rien dit depuis, cela veut dire que tout s’est passé normalement. Vous croyez qu’ils n’ont pas vu l’opération ?

 

Mais pour un montant de 12 milliards…

 

(Il coupe). On ne l’a pas dit avant. On a attendu qu’il soit Premier ministre pour qu’on le dise. Dans ce cas, il faut se demander à qui profite le crime.

 

Je vous retourne la question

 

Votre journal s’appelle EnQuête ; faites l’enquête !

 

Quels sont vos rapports avec le président Macky Sall ?

 

Sur un plan personnel, c’est mon ami. Tout le monde le sait. Mais en politique, on est de camps opposés. Mon parti est dans une opposition passive.

 

Cela veut dire quoi ?

 

Nous laissons un préjugé favorable au nouveau président. Ensuite, on avisera. Si nous disons qu’il a échoué en 7 mois alors qu’on en a pour 7 ans, c’est très tôt. Nous n’allons pas non plus le caresser dans le sens du poil.

 

Rejoindrez-vous Benno Bokk Yaakaar ?

 

Ah ça jamais ! Nous voulons être objectifs. L’adversité a des limites. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas avec quelqu’un qu’il faut lui implanter des cornes artificiellement et dire que c’est le diable. C’est ma nature. Même en étant avec Wade, j’étais très critique envers son régime. Aujourd’hui, ce n’est pas parce que je ne suis pas aligné aux côtés du nouveau président que je ferai dans la critique facile. Attention ! Macky, ça trompe énormément !

 

Selon nos informations, vous préparez un livre très critique envers Me Wade

 

(Il coupe) Non, pas du tout ! Je n’écrirai jamais un ouvrage sur Wade ni sur un autre président. J’ai une autobiographie qui traite jusqu’en 2000 de l’histoire politique, économique, sociale, religieuse telle que je l’ai vécue. Dans cette période, Wade y est.

Ce n’est pas spécifiquement sur Wade. Il n’est pas le seul. Il y a Senghor, Abdou Diouf, Jean Collin… Toutes les personnes que j’ai côtoyées y sont. Le manuscrit est prêt. Il doit aller chez l’éditeur. M. Tounkara, qui s’en occupe, doit m’amener le contrat pour que le livre puisse être présenté aux éditeurs dans 90 jours.

 

Avez-vous des contacts avec Wade ?

 

Oui parfois directement, parfois indirectement. A un certain âge, il a beaucoup d’occupations. Mais il demeure mon ami personnel.

 

Comment expliquez-vous ses agissements après son départ du pouvoir ? Le fait de réclamer certains avantages qui seraient dus à un ancien président, de demander à ses partisans de ne pas répondre à la CREI...

 

Il pouvait ne pas le faire, comme il pouvait le faire. Vous savez que Wade est un juriste. A ce titre, il voudrait obtenir ses droits. Un ancien chef d’Etat dans tous les pays du monde a des droits.

 

Que sont devenus vos projets avec l’ancien guide libyen au Sénégal, notamment la Tour Kadhafi ?

 

Non je n’avais pas de projet avec Kadhafi. Je n’ai jamais été son associé, ni son entrepreneur, ni son architecte. Au Sénégal et ailleurs, il avait programmé d’avoir les 10 premiers hôtels dans les capitales africaines. Aujourd’hui, il en a au moins 45, de l'Afrique du Sud au Maroc... Il avait le même projet au Sénégal. Il a voulu acheter le Méridien président. Ça n’a pas marché.

 

Pourquoi ?

 

Non ! Je crois que Abdoulaye Diop s’était opposé à cela. Il a dit un seul mot devant le président (Wade) devant moi à Paris : “M. Le président, cette vente serait illégale.”

 

En quoi serait-ce illégal ?

 

C’est lui qui le connaît. Il était le ministre des Finances (Abdoulaye Diop). C’est lui qui connaît s’il y a des questions qui relèvent du secret d’Etat. Mais Wade était d’accord.

 

Que proposait Kadhafi ?

 

C’était autour de 100 milliards.

 

Avec la polémique autour de la gestion de l’hôtel Méridien (actuel King Fahd Palace), pensez-vous qu’on aurait dû le vendre à la Libye ?

 

Si vous connaissez M. Sy (Racine), c’est quand même Bolloré (Vincent). C’est lui le superviseur des intérêts de Vincent Bolloré au Sénégal, mais aussi en Afrique de l’Ouest depuis longtemps. Même son père est dans ce groupe. On a annoncé le retour en force de ce groupe français - ce sont mes amis, je n’ai rien contre eux - il faut regarder de ce coté là… Si M. Sy est en train de négocier des choses au nom de son patron Bolloré, au niveau du port, je vois mal qu’il soit spolié de ses droits.

 

Qu’est devenue la radio SEN INFO que vous aviez achetée à Macky Sall ?

 

On a cassé la vente avant les élections.

 

Pourquoi ?

 

J’ai compris qu’il voulait la vendre pour financer sa campagne. Mais entre-temps, lorsque tout le monde a su qu’il avait des chances de gagner, on lui a versé tellement de fonds de campagne qu’il n’avait plus besoin de vendre la radio. Il m’a rendu une partie de l’argent. Pour le reliquat, il m’a demandé de lui pardonner. Je l’ai fait. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas payer. Il m’a dit en wolof : “May ma ko” (offre-moi le reste de l'agent dû).

 

Et vous pensez que Macky Sall vous est redevable aujourd'hui ?

 

Non ! Non ! Je l’ai dit et redit, c’est un cadeau. C’est entre amis. Je n’attends rien de lui vraiment. Dieu merci, je ne suis pas dans le besoin. Ce n’est pas moi qui le lui rappellerai. Je ne dois rien à l’Etat. C’est l’Etat qui me doit au contraire.

 

Il s’agit des 3 milliards de la vente des véhicules à l’ANOCI…

 

Oui. On ne m’a pas encore payé. On m’a dit qu’ils sont en train d’enquêter. C’est normal. Il semblerait que des dignitaires de l’ancien régime ont reçu l’argent indûment et qu’ils sont en train d’enquêter pour mettre la main sur ces gens-là. Ils n’ont pas volé mon argent, mais l’argent de l’Etat. L’adage dit : “Qui paie mal paie deux fois.”

 

 

DAOUDA GBAYA

 

 

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