Publié le 29 May 2021 - 15:36
EXAMEN BLANC DANS DES LYCEES DE RUFISQUE

Une épreuve sur l’homosexualité créée la polémique 

 

L’épreuve d’anglais de l’examen blanc organisé par l’inspection d’académie de Rufisque est à l’origine d’un nouveau scandale sur l’introduction de l’enseignement de la tolérance de l’homosexualité dans le système éducatif sénégalais.    

 

De San Francisco, sa ville adoptive et progressiste, Michel a secoué hier une bonne partie des enseignants et parents d’élèves de la ville de Rufisque. L’américain a rédigé une lettre à sa mère dans laquelle il fait son coming out (expression américaine désignant le moment où la personne homosexuelle ou bisexuelle dévoile son orientation sexuelle à son entourage). Problème : ce sujet a été proposé à des élèves de Terminale comme épreuve d’anglais, lors d’un examen blanc organisé ce jeudi 27 mai 2021. Choqués, certains d’entre eux, de même que des enseignants dénoncent une épreuve lancée en sonde et destinée à promouvoir l’homosexualité dans le milieu scolaire.

« Je l’ai dit dans ma copie, confie Anta (nom d’emprunt). Au Sénégal, nous sommes constitués à 99 % de musulmans et chrétiens. Nous sommes tous contre l’homosexualité ». L’élève en terminale au Lycée Moderne de Rufisque a subi l’épreuve sur le sujet controversé. Dès la sortie des salles de classe, la jeune femme s’en est ouverte à un de ses professeurs lui a assuré qu’ils (les professeurs) n’ont pas été consultés dans le choix du sujet et si cela avait été fait, ils l’auraient refusé.

Le texte en question relate le moment où Michel, fier de ses penchants sexuels, ose enfin avouer son identité réelle à sa mère, militante des causes anti homosexuelles. « Ma responsabilité était de te dire la vérité, que ton propre enfant est homosexuel. Je suis désolé, maman. Pas pour ce que je suis, mais pour ce que tu dois ressentir en ce moment. Je sais quel est ce sentiment, car je l’ai ressenti pendant la majeure partie de ma vie. La répulsion, la honte, l’incrédulité, le rejet par peur de quelque chose que je savais être, même enfant, aussi fondamental dans ma nature que la couleur de mes yeux. Non, maman, je n’ai pas été « recrutée ». Aucun homosexuel chevronné n’a jamais servi de mentor. Mais toi », lui lance-t-il dans sa lettre.

« Maman, ton propre enfant est homosexuel »

Bien dans sa peau et sa communauté progressiste, l’homosexuel s’en prend à sa ville d’origine d’où il a été rejeté. « J’aurais aimé que quelqu’un de plus âgé que moi et de plus sage que les habitants d’Orlando me prenne à part et me dise: “Tout va bien, gamin. Tu peux devenir médecin ou enseignant comme n’importe qui d’autre. Tu n’es pas fou ou malade ou maléfique. Tu peux réussir, être heureux et trouver la paix avec des amis, toutes sortes d’amis qui ne se soucient pas de savoir avec qui tu vas coucher. Mais surtout, tu peux aimer et être aimé, sans être haï pour ça.” » écrit le jeune Michel.

Cela, avant d’adouber l’attitude bienveillante des habitants de San Francisco où il a élu domicile : « Leur attitude n’est ni condescendante ni compatissante. Et leur message est si simple: oui, tu es une personne. Oui je t’aime bien. Oui, c’est bon pour toi de m’aimer aussi. Je sais ce que tu penses maintenant. Vous vous demandez : qu’est-ce que nous avons fait de mal ? Comment avons-nous laissé cela arriver ? Lequel d’entre nous l’a fait ainsi ? Je ne peux pas répondre à ça, maman. À long terme, je suppose que je m’en fiche. Tout ce que je sais, c’est ceci: si toi et papa êtes responsables de ce que je suis, alors je vous remercie de tout mon cœur, car c’est la lumière et la joie de ma vie ».

Michel fini sa lettre en évoquant les bons côtés de sa condition d’homosexuel. « Être gay, assure-t-il, m’a appris la tolérance, la compassion et l’humilité. Cela m’a montré les possibilités illimitées de vivre. Cela m’a fait connaitre des gens dont la passion, la gentillesse et la sensibilité m’ont fourni une source constante de force. Cela m’a amené dans la famille de l’homme, maman, et j’aime ça ici. Je l’aime bien ».

Un ballon de sonde lancé pour mesurer la perception des élèves sur l’homosexualité au Sénégal ?

Un jour après le passage de cette lettre sur les tables d’examens des lycéens de Rufisque, son contenu ne passe toujours pas. Bien au contraire, il suscite un grand rejet au sein des associations syndicales d’enseignants. Administrer une telle épreuve, 4 jours après la tenue de manifestations, dans beaucoup de portions du pays, réclamant la criminalisation de l’homosexualité, a été vu comme un acte de provocation. Mais surtout, comme un ballon de sonde lancé pour mesurer la perception des élèves sur l’homosexualité au Sénégal. La preuve, les deux sujets de dissertation accompagnant les questions de compréhension de texte ont été libellées ainsi : « Quel est votre sentiment après avoir lu ce texte ? » et « Etes-vous pour ou contre l’exclusion sociale des homosexuel au Sénégal ? Pourquoi ? Pourquoi pas ? » ».

Secrétaire général national du Cusems authentique, Dame Mbodj fait partie des enseignants qui ont donné l’alerte. Selon lui, le gouvernement n’a jamais abandonné le programme secret de l’Unesco d’introduction dans l’école sénégalaise d’un module sur l’éducation sexuelle pour enseigner la tolérance sur les comportements sexuels déviants. Après l’atelier organisé les 21, 22 et 23 décembre 2020 à Saly par le ministère de l’Education nationale et l’Unesco, ce sujet introduit en catimini en est une nouvelle étape. C’est pourquoi, le professeur d’anglais a demandé aux « enseignants de l’inspection d’académie de Rufisque de boycotter la correction de cette épreuve et de montrer aux commanditaires qu’ils ne seront pas les complices de tels faits. Je n’ai jamais vu rien d’aussi mauvais dans ma carrière d’enseignant ». 

Loin de se contenter de ces dénonciations, le membre de la plateforme And Sam Jiko Yi, organisatrice des manifestations demandant la criminalisation de l’homosexualité, réclame d’abord une enquête pour connaitre l’enseignant qui a proposé ce sujet. « C’est lui le premier responsable qui ne mérite pas de former nos enfants » fulmine-t-il. La suite logique est l’application de sanctions : « Il y a quelque temps, lorsque le nom d’un opposant, candidat à l’élection présidentielle, a été cité dans une épreuve (Ousmane Sonko), des proviseurs et censeurs ont été sanctionnés pour ce fait. La même chose s’est passée à Matam, avec un sujet sur les événements violents de mars dernier.  L’enseignant en cause a été sanctionné. Ce sujet qui promeut l’homosexualité, en profonde contraction avec nos valeurs sociales, culturelles et religieuses, est bien plus grave. L’inspecteur d’académie qui l’a laissé passer doit être relevé de ses fonctions », requiert Dame Mbodj.

Des sanctions réclamées contre l’inspecteur d’académie

Cette demande a été reprise, dans un communiqué, par l’association Kaddug Tenguëth (la voie de Rufisque). Après s’être rendu à l’inspection d’académie, selon la note, pour réclamer des explications sur « cet acte de promotion de l’homosexualité à travers cette épreuve d’anglais », les membres ont mis la responsabilité de cette épreuve sur le dos du ministère de l’Education nationale et de l’ensemble des inspecteurs d’anglais, sensés veiller au contrôle des épreuves. Face à la polémique naissante, suite à cette affaire, une note des autorités académiques a annulé l’épreuve en question dans tout le département de Rufisque. Elle sera reprise à une date ultérieure.

En plus de la manifestation contre l’homosexualité, organisée dimanche dernier, la plateforme And Same Jiko Yi a lancé une pétition pour la criminalisation de l’homosexualité. Après la 133 ème édition du pèlerinage marial de Poponguine, les évêques du Sénégal ont réitéré hier leur déclaration de Thiès faite en Novembre 2019 pour rejeter l’homosexualité. Dans ce passage lu par l’archevêque de Dakar, Mgr Benjamin Sarr, l’église rappelle : « Nous avons un enseignement positif, c’est de dire que Dieu a créé l’homme et la femme, ils sont complémentaires et différents. C’est ce que nous voulons dire. Et nous n’entendons pas nous faire imposer aucune autre opinion par rapport à cela. Ni dans le sens d’une répression de justicier, ni dans le sens d’une permission qui irait contre notre conviction, et dénonçons la pédophilie, qui sont contraires à nos valeurs ».

MOHAMED MOUSTAPHA DIAGNE, DIRECTEUR DE LA FORMATION ET DE LA COMMUNICATION

Les responsables seront identifiés et sanctionnés

A la suite de la polémique engendrée par l’épreuve d’anglais proposée aux élèves, dans le cadre de l’examen blanc organisé par l’académie de Rufisque, le ministère de l’Education fait savoir, dans une note parvenue à EnQuête, qu’il a déjà engagé une enquête administrative pour situer toutes les responsabilités. En conséquence, précise le communiqué, « les responsables seront identifiés et des  sanctions à la mesure de la faute seront prises aux fins d’empêcher qu’une pareille situation ne se reproduise ».

Le ministère de l’Education nationale rappelle que les curricula et les programmes du système éducatif du Sénégal demeurent scrupuleusement « adossés à nos valeurs et à nos croyances conformément à la loi d’orientation et la lettre de politique générale secteur Education. Le Président Macky Sall a affirmé et réaffirmé cette position publiquement et devant les chefs d’Etat des plus grands pays du monde ».


Précisions sur Armistead Maupin, auteur de la lettre offerte en examen  

Écrivain et journaliste pionnier dans la lutte pour les droits LGBT+, Armistead Maupin a connu un succès planétaire avec la parution des Chroniques de San Francisco à partir de la fin des années 1970. Issu d’une famille conservatrice et ségrégationniste du Sud des États-Unis, il s’engage dans la Navy et part au Vietnam, avant d’obtenir un poste de journaliste à l’Associated Press à San Francisco. Il y rencontre le succès grâce à ses Chroniques de San Francisco qui paraissent en feuilleton dans le San Francisco Chronicle et le Pacific Sun avant d’être rassemblées et éditées sous forme de roman, puis traduites dans le monde entier. Ces chroniques forment une sorte de portrait de la ville de San Francisco qui s’étale sur plusieurs décennies, et mettent en scène des personnages aspirant à vivre leur amour et leur sexualité librement tout en étant confrontés à l’apparition du sida et à l’homophobie de la société américaine.

Pour la première fois, le grand public découvre un monde dans lequel l’orientation sexuelle n’est ni un secret ni un tabou, où les personnes transgenres sont des êtres humains à part entière et non des personnages étranges définis uniquement par leur transition. Le succès devient planétaire et la BBC produit à la fin des années 1990 un film documentaire, Armistead Maupin is a Man I Dreamt Up. Alain Poul produit également une série pour la télévision britannique à partir des Chroniques de San Francisco. Armistead Maupin devient célèbre et obtient la prestigieuse récompense du Peabody Award. Ce succès s’est maintenu au fil des années et neuf volumes des Chroniques de San Francisco ont paru au total – Netflix en prépare actuellement une nouvelle adaptation.

 

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