Les députés ont fait au moins trois propositions de loi
Tête de liste de la coalition Yewwi Askan Wi dans le département de Guédiawaye, Ameth Aidara, dénonçait le manque d’initiatives des députés de Benno Bokk Yaakaar, durant les 12e et 13e législatures. ‘’Pendant 10 ans, ils ont eu tous les privilèges, mais ils n’ont fait aucune proposition de loi’’, regrettait-il dans une déclaration lors de la campagne électorale. Il ressort des vérifications faites par ‘’EnQuête’’ qu’au moins trois propositions de loi ont été émises durant la 13e législature, dont deux par des députés de la mouvance présidentielle. Une seule a néanmoins été adoptée par l’Assemblée nationale.
Lors de la campagne électorale pour les Législatives du 31 juillet 2022, ils étaient nombreux, les candidats de l’opposition, à dénoncer le manque d’initiatives des députés de la 13e législature. Dans une déclaration postée sur la page Facebook de la RTS 1, la tête de liste de la coalition Yewwi dans le département de Guédiawaye, Ameth Aidara, affirmait : ‘’Le député était autrefois très respecté, comme le ministre et le président de la République. Mais aujourd’hui, il n’a aucune valeur. Ils passent leur temps à applaudir. Ils ne font aucune proposition. Ils attendent toujours les lois initiées par le gouvernement pour les voter systématiquement. Pendant 12 ans, ils ont eu tous les privilèges ; ils n’ont rien proposé. Aucun député membre de Benno Bokk Yaakaar n’a pris des initiatives...’’
Vu la récurrence de cette allégation, ‘’EnQuête’’ a essayé de joindre les services de communication de l’Assemblée nationale, ainsi que des membres de la législature sortante pour en savoir davantage.
Selon le député Théodore Chérif Monteil, au moins trois propositions ont été faites par les députés de la 13e législature. ‘’D’abord, il y a la proposition de loi portant modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Laquelle avait principalement pour objectif de porter le nombre de commissions permanentes de 11 à 14. Il y a également eu la proposition sur le permis à points faite par le député Aliou Souaré. Enfin, il y a la proposition relative à la criminalisation de l’homosexualité’’, a détaillé le député non reconduit.
D’après Mamadou Diop Decroix, leader d’And Jef/PADS, il pourrait même y avoir bien plus de propositions de loi. En effet, explique-t-il, souvent il y a des propositions qui sont bloquées au niveau du bureau de l’Assemblée nationale. Auquel cas, l’opinion peut ne pas en être informé. ‘’Moi qui vous parle, a-t-il ajouté, j’ai eu à faire deux propositions de loi. L’une portait sur la suppression du ‘raw-gàdu’ ; c’était durant cette législature. L’autre sur la modification du règlement intérieur pour favoriser un débat plus fécond à propos de la loi de finances. Mais quand le bureau décide de bloquer une proposition, même les députés avec lesquels nous partageons l’Assemblée nationale n’en sont pas informés de manière officielle. A fortiori des personnes extérieures. On ne peut donc pas dire de manière péremptoire qu’il n’y a pas eu de propositions. Parce que, même s’il y en a, vous n’en êtes pas forcément informés’’.
Ainsi, des échanges avec les différents parlementaires, il est ressorti au moins trois propositions de loi, dont l’existence nous a été prouvée. Deux autres au moins ont été indiquées par le député Mamadou Diop Decroix qui en serait lui-même l’auteur (nous n’avons pas pu, malheureusement, le vérifier).
S’il a pu y avoir quelques propositions – aussi minimes soient-elles - une seule d’entre elles a pu aboutir, c’est-à-dire aller jusqu’à son adoption par les députés. Théodore Monteil de préciser : ‘’Il s’agit de la proposition de loi relative à la modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. En ce qui concerne la proposition sur le permis à points, elle était également très avancée, mais n’avait pu aller jusqu’au bout. L’Exécutif a préféré venir avec sa propre loi, plutôt que d’encourager l’initiative parlementaire.’’
Pour ce qui est, en revanche, du texte sur la criminalisation de l’homosexualité, initiée par des députés membres de l’opposition parlementaire, le bureau de l’Assemblée nationale a tout bonnement refusé de l’examiner. Ce qui n’avait pas manqué de soulever un tollé.
Pour récapituler, la déclaration selon laquelle il n’y a pas eu de propositions de loi durant la législature sortante est fausse. Pendant la 13e législature, trois propositions de loi, au moins, ont été faites par les parlementaires (propositions de loi sur le règlement intérieur de l’Assemblée, sur le permis à points et sur la criminalisation de l’homosexualité). Les deux ont été l’œuvre de députés de la mouvance présidentielle, une a été surtout portée par l’opposition. Seules les propositions émanant de la majorité ont été examinées par le bureau ; une seule a été adoptée par le Parlement.
Ces obstacles qui entravent l’initiative parlementaire Très enthousiastes, les députés de l’opposition n’ont de cesse clamé leur volonté de rompre avec cette réputation de ‘’député oisif sans initiative’’. Déjà, ils ont annoncé plusieurs textes en préparation dans leurs différents laboratoires. Mais les choses semblent bien plus compliquées, avertissent des députés de la 13e législature. Un de nos interlocuteurs précise : ‘’En fait, la loi impose aux députés de trouver des ressources financières, si la mise en œuvre de la proposition a un impact financier. Encore que c’est peine perdue, si l’on sait que la majorité mécanique va tout bloquer.’’ En effet, aux termes de l’article 60 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, ‘’les propositions et amendements formulés par les députés ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique, à moins que ces propositions ou amendements ne soient assortis de propositions de recettes compensatrices (article 82 de la Constitution).’’ Outre ces limites d’ordre financier et du diktat de la majorité, d’autres obstacles se dressent sur le chemin des lois d’initiative parlementaire. Ces dernières doivent non seulement passer l’obstacle du bureau, mais aussi l’étape du président de la République. Selon l’article 60, ‘’les propositions de loi sont, après examen par le bureau aux fins de leur recevabilité, communiquées au président de la République qui doit faire connaître son avis au président de l’Assemblée nationale dans les dix jours, à compter de leur transmission. Le président de l’Assemblée nationale en informe l’auteur. Passé ce délai, la procédure suit son cours’’. Il ressort toujours de l’article susvisé que ‘’les propositions de loi doivent être examinées par l'Assemblée nationale lors de la session au cours de laquelle elles ont été déposées ou, au plus tard, au cours de la session ordinaire suivante ou d’une session extraordinaire convoquée à cet effet, sauf délégation donnée à la Commission des délégations pour en délibérer dans l'intervalle de deux sessions’’. Pour ce qui est, en revanche, des propositions relatives au règlement intérieur, elles sont, d’après l’article 60, transmises, après adoption, au président de la République aux fins de saisine du Conseil constitutionnel et de promulgation. Il convient, par ailleurs, de distinguer les projets de loi des propositions de loi. Si les premiers sont initiés par le gouvernement, les secondes sont d’initiative parlementaire. Elles sont assujetties à un certain nombre de conditions. |
BABACAR SY SEYE ET MOR AMAR