Les premières fissures

C’est un Ousmane Sonko amer, vindicatif, qui, comme à son habitude, s’en est pris violemment à la magistrature, aux médias, à l’administration, la société civile…. La nouvelle cible qu’il a attaquée cette fois sans gants, c’est le président de la République et certains responsables du parti Pastef qu’il accuse de comploter contre lui. C’était à l’occasion de la mise en place, hier, d’une nouvelle structure du parti appelée Conseil national.
Ousmane Sonko n’est pas content. L’homme semble en vouloir à tout le monde, à commencer par le président de la République qui, selon lui, ne fait rien pour mettre un terme aux attaques contre sa personne. “...Certains actes sont inadmissibles. Je suis allé personnellement voir le Président Bassirou Diomaye Faye, parce que ce qui se passe, il peut y mettre un terme s’il le veut et je le lui ai dit. Si j’étais Président, ces gens n’allaient pas parler ainsi de moi”, prêche-il.
En fait, le Premier ministre Ousmane Sonko est convaincu qu’il y a dans le régime et dans Pastef des responsables qui s’emploient à le combattre. “J’ai dit au Président: vous êtes le Président, à chaque fois qu’on parle de vous, vous le réglez et tout le monde me désigne comme responsable. Pourquoi il ne met pas un terme à ces actes, c’est une autre question….”, s’est-il emporté, non sans ajouter: “Avec tout le parcours qu’on a fait, on doit s’aimer et agir ensemble….”
Ousmane Sonko ne s’en limite pas. Il semble peu digérer le fait que certains présentent le Président Faye en homme de paix, discipliné et discret…. “Ceux qui s’amusent ici à dire: tel est le gentil, il est discret, le discipliné, l’autre le va-t-en guerre, le belliqueux…. Si c’est ça ne pas aimer la paix, sachez que nous sommes venus au pouvoir dans la confrontation… Ce que nous sommes en train de dire, nous l’avons dit entre quatre murs, mais il n’y a pas eu de solution ; nous l’avons dit en Bureau politique, pas de solutions… C’est pourquoi je le dis ici aujourd’hui”, se justifie le président de Pastef, soulignant que personne n’est plus discipliné et discret que lui.
Il demande ainsi au chef de l’Etat de mettre un terme aux attaques contre sa personne. Le problème du Sénégal, selon lui, c’est un problème d’autorité. “...Les gens passent leur temps à offenser un chef de famille sur les plateaux…. Et tous ces fumiers viennent nous parler de droit de l’homme. J’interpelle encore le Président Bassirou Diomaye Faye. Qu’il le règle ou qu’il me laisse le régler. Qu’il le règle ou qu’il me laisse le régler.”
“Je ne démissionnerai jamais. Si le Président ne veut plus de moi, qu’il me limoge et je retourne à l’Assemblée”
C’est l’annonce faite par Sonko à ceux qui espèrent sa démission, y compris dans les rangs de Pastef. “Ils se disent que comme il est un homme de principes, si on le pousse à bout, il va démissionner. Je ne démissionnerai pas. Je ne bougerai d’un centimètre. Si le Président de la République ne veut plus de moi, qu’il me limoge, alors je vais retourner à l’Assemblée nationale”, renchérit-il non sans affirmer qu’il est théoriquement le chef de la majorité parlementaire ; je suis le chef du Gouvernement; je n’irai nulle part.”
“Je suis théoriquement le chef…
A Pastef, on parle depuis plusieurs mois de l’émergence des clans: entre clan Diomaye et clan Sonko. Pendant longtemps, les concernés l’ont nié. Hier, Sonko l’a reconnu tout en essayant de minimiser. Pour lui, Pastef doit rester ce qu’il a toujours été : un parti de combat. “Nous sommes le parti le plus important au Sénégal. Nous avons su faire face à un pouvoir trois ans derrière. Et à chaque fois que le combat fut difficile c’est à moi qu’on pensait… Aujourd’hui, certains veulent mettre en place des clans; ils vont à la base, à Touba partout…. Nous les avons identifiés et nous n’allons pas les laisser faire. Nous n’accepterons aucun clan à Pastef.”
Pour lui, les militants doivent savoir que leurs adversaires l’ont aujourd’hui pour cible, mais ils ne vont pas s’arrêter à sa personne. “Les gens s’attaquent à Ousmane Sonko parce qu’ils considèrent que c’est le verrou qu’il faut faire sauter pour atteindre leur objectif. Il ne faut pas se tromper; si Ousmane Sonko saute, ils vont s’en prendre à Diomaye; parce que ce qui les intéresse c’est le pouvoir”, lâche-t-il non sans se désoler du manque de soutien: “On m’attaque et personne ne réagit. Il n’y a que la base qui réagit’’.
Le protocole de Cap manuel
Ousmane Sonko ne s’est pas trop épanché sur les termes du protocole. Il se limite à dire: “Dès notre première réunion de bureau politique, je leur ai dit: gardez-vous de vous immiscer dans mes rapports avec le Président Diomaye. Ce que l’on s’est dit, seul Dieu nous est témoin. Au sortir des législatives, quand on a commencé à voir certaines choses, j’ai appelé El Malick en témoin. Je leur ai dit: voici ce dont on s’était engagé à Cap Manuel. Je lui ai demandé de dire si c’est vrai ou faux et il a confirmé.”
Pastef, selon lui, c’est le parti dans lequel quand il s’agit de se battre, tout le monde pense à Sonko. “J’ai tout enduré…. Et aujourd’hui, les gens bombent le torse, certains essayant de créer des clans. Cela n’arrivera pas dans le Parti. J’y veillerai personnellement. Que chacun prenne ses responsabilités”, fulmine le PM.
Par ailleurs, Ousmane Sonko a ressuscité le vieux discours, les vieilles attaques: magistrats, médias, société civile, administration…. “L’erreur, répète-t-il comme à son habitude, serait de croire qu’on a pris le pouvoir, donc le système est fini. Le système : c’est des hauts fonctionnaires, des magistrats, des hommes politiques….”
Leur mode opératoire, selon lui, c’est d’isoler le président de sa base, de combattre le parti pour mieux s’accaparer le pouvoir. Alors que Pastef a toujours prôné la démission du Président, Ousmane Sonko tient un autre discours. “Certains parlent d’Etat-parti, ce n’est pas un problème…. Nous étions plusieurs à briguer le suffrage des Sénégalais. Il faut avoir le courage de gouverner avec ceux qui croient au projet; en assumant cette responsabilité. Ce n’est pas une question de partage de postes….”, soutient le président de Pastef.
Dans ce système, il met la société civile et les médias. De la société civile, il dira: “Le système est complexe. Quand tu touches une branche, toutes les autres se lèvent: société civile -une partie de la société civile-... Moi je suis venu avec mon programme, je n’ai à dialoguer avec personne”, souligne le PM qui réclame une “une loi pour interdire à la société civile de prendre des financements étrangers”.
Dans le même sillage, il s’en est aussi pris à la presse. Après les avoir asphyxiés financièrement, Sonko promet: “Si ça ne dépendait que de la presse, on ne serait pas au pouvoir. Arrêtez donc d’aller dans ces médias qui nous combattent. Et que ces médias sachent que ce sera œil pour œil dent pour dent. Vous pouvez être assuré que je vais vous combattre…”
La magistrature en prend encore pour son grade
Parlant de la magistrature, Sonko estime que c’est aujourd’hui qu’elle daigne s’exprimer pour prendre le contre-pied du pouvoir. “Deux ans en arrière, ils étaient tous là. Vous n’avez entendu aucun magistrat s’agiter. On les a obligés à enfermer des gens, à invalider des candidatures…. Ils ont tout fait. Personne ne les a entendus; c’est aujourd’hui qu’ils osent s’agiter. Parce que nous avons fait croire aux gens que nous sommes venus pour les libérer…. Et les gens croient que c’est une brèche pour aller vers l’anarchie”, raconte-t-il.
En fait, Ousmane a une conviction. Aujourd’hui qu’ils sont au pouvoir, tous les hauts fonctionnaires se doivent de suivre leurs instructions. “Quand vous héritez d’un Etat, vous venez avec votre programme, votre vision, vos équipes…. C’est vous l’Etat, même si c’est encadré par les lois. C’est à vous de dicter la marche à suivre à l’administration et à tout le monde.”
Ensuite, il s’est fondu dans les regrets. “...Si j’étais là où je devais être, il y a des choses qui ne se seraient jamais passés ainsi. Jamais”, menace-t-il encore, non sans ajouter: “Aujourd’hui, nous avons le pouvoir ; mais c’est comme si c’était mieux dans l’opposition. Ce n’est pas normal. Je m’en arrête là, parce qu’on ne peut tout dire.”