Un beau portrait de femme forte, fière et sensible
Alain Gomis n’est pas qu’un brillant réalisateur. Il est aussi un scénariste hors pair et un philosophe. Il est l’auteur de l’histoire de ‘’Félicité’’ et comme ‘’Tey’’, cette histoire a ses parts de métaphysique. Mais comme ‘’Tey’’ aussi, le personnage est combatif et optimiste.
Avec un beau visage rond, teint clair, regard hagard, Félicité (interprété ici par la Camerounaise Véro Tshanda Beya) capte son spectateur dès le début du film. Elle est l’héroïne du film éponyme réalisé par le Sénégalais Alain Gomis. Une création projetée hier au Ciné Burkina dans le cadre de la 25e édition du Fespaco. Dans ce premier tableau montré, le cinéphile est plongé dans la ferveur d’une nuit kinoise. Ça boit de l’alcool, ça discute mais aussi ça chante et ça danse. C’est Félicité qui est le lead vocal du groupe qui se produit dans ce club qui ressemble à l’un de ces maquis ouagalais. Mais ici, on est à Kinshasa. Quand Félicité chante, tout l’auditoire de la salle noire est captivé, même si sur l’écran, les autres dansent. Devant elle se trémousse Tabu (Papi Mpaka, acteur congolais). Il est ivre mais est la grande attraction après la chanteuse. Il parle, esquisse des pas de danse digne d’un vrai ‘’Polonais’’. Il se tourne, tournoie jusqu’à tomber. Prétexte choisi par le réalisateur pour nous plonger dans une dure journée kinoise.
Loin du brouhaha de la nuit, la chanteuse se réveille et trouve son réfrigérateur en panne. Cette dernière va constituer, inconsciemment, le fil conducteur de l’histoire. Il appelle un réparateur (Tabu) qui lui dira le contraire de ce que lui a dit le précédent grâce à qui l’appareil marchait encore. Félicité les traite tous de voleurs. Après ces échanges avec le technicien, elle reçoit un coup de fil lui annonçant un accident de son fils Samon (Gaetan Claudia, acteur kinois). Il a 14 ans. Arrivée à l’hôpital, la chanteuse trouve son fils dans le dénuement total. Il perd du sang ; pourtant il n’a reçu que peu de soins. Après avoir crié son désarroi, elle rencontre le médecin qui lui annonce que son fils risque l’amputation si on ne l’opérait pas. Il lui demande 1 million de francs congolais pour l’intervention chirurgicale.
De l’argent, Félicité en a mais pas autant. Commence alors une course effrénée contre la montre dans les rues de la capitale congolaise. Les choses vont vite jusque dans la démarche artistique, puisque Alain Gomis est obligé de faire bien d’ellipses. Ce qui n’empêche pas le public de comprendre l’histoire. Dans sa recherche de gains, Félicité fera face à la cruauté, à l’escroquerie, à la solidarité, l’inégalité sociale, à la corruption, à l’égoïsme et même au machisme. Le père de son enfant a refusé de l’aider et l’a, à la limite, humiliée.
Mue par le seul besoin de sauver la jambe de son fils, elle n’y prend garde. Encore que cela n’a pas été la plus dure épreuve pour elle la ‘’fière’’. Quémander chez des riches a dû l’être. Elle se fera tabasser, brutaliser, mais elle tient bon et ne s’arrête pas tant que son but n’est pas atteint. Dans ces épreuves douloureuses, elle n’arrête pas pour autant de chanter tous les soirs dans son bar habituel. Sa voix est par moments triste mais forte comme celle qui la porte. De l’énergie, elle en a et on le sent dans toute la narration. D’ailleurs, jouer ce rôle à dû être éprouvant pour Vero Baya. Emotionnellement, elle a dû beaucoup donner. Il y a eu des plages de silence dans le film mais qui sont des moments forts et intenses d’émotions. Tout ou presque vient de cette actrice principale qui, après avoir réussi à rassembler la somme demandée, a dû, une fois encore, faire face à une autre épreuve. C’était trop tard, la jambe de son fils n’est plus en état d’être réparé. Le médecin l’a amputée.
Commence un autre film dans ce film de 2h. Félicité et son fils doivent faire face à l’épreuve et essayer d’avancer. Tabu, le pseudo réparateur de frigo, sera là pour les deux. Il est amoureux de la mère et soutient le fils. Chaque soir, il est au bar et les matins, il passe, soi-disant pour réparer le frigo. Il est autant présent que Félicité mais lui est moins fier et est plus bavard. Il n’attend pas qu’on lui réponde et débite ses ‘’débilités’’ tout seul. Ce qui fait sourire sous cape Félicité. Tabu est le pilier qui aide le duo à se remettre sur pied et à retrouver goût à la vie.
Cachet onirique
Félicité, comme l’acteur principal de ‘’Tey’’, le dernier long-métrage d’Alain Gomis sont des personnages à part. Il y a une part d’irréel dans leur vie. La combativité, on la retrouve chez les deux personnages mais aussi un aspect métaphysique de leurs histoires. Félicité était morte à ses deux ans et a ressuscité au moment de son enterrement. Sa famille l’a rebaptisée pour la nommer ‘’Félicité’’ (ndlr notre joie). Cependant, dans le film, elle donne l’impression d’avoir laissé une partie de son âme dans le ciel. Se détacher de la terre pour errer dans une forêt tout de blanc vêtue est très facile pour elle. Cette partie de la pellicule est tournée à Kédougou. Elle y plonge comme dans un rêve. Ce qui donne un cachet onirique au film. Félicité y voit souvent ce qui arrive. Et après être allée quémander de l’argent, elle plonge dans une rivière comme pour enlever des souillures. Elle n’en ressort que quand elle retrouve une certaine tranquillité. Laquelle l’a menée par la suite vers Tabu. Un bel amour est né.
Par ailleurs, la musique est très présente dans ce 4ème long métrage d’Alain Gomis. De celle de la troupe de Félicité qui est assez folklorique avec une belle touche de modernité à celle symphonique d’un groupe de musiciens africains, le réalisateur nous promène dans une belle ballade. Il a su passer de l’une à l’autre dans une parfaite harmonie en rendant ainsi hommage au mythique ‘’Kasaï All stars’’ qui a joué la musique qui a accompagné les chants interprétés par Félicité. D’ailleurs, c’est le lead vocal du groupe Muambuyi qui a inspiré, entre autres femmes, Alain Gomis et c’est sa voix qui est reprise quand on montre, dans le film, Félicité chanter.
BIGUE BOB (envoyée spéciale à Ouagadougou)