Hemley Boum, le rêve de tout pêcheur

Ce week-end, EnQuête, à travers la rubrique Quatrième de couverture, vous fait découvrir une écrivaine de talent : Hemley Boum.
Difficile de faire le tour des salons littéraires sans que son nom ne soit en tête d’affiche des aéropages et des pêcheurs de livres. Loin de nous l'idée de verser dans un quelconque néologisme, emprunter une métaphore n’est rien de moins qu’une redondance, un secret de polichinelle, car aucune figure de style n’est à la hauteur de cette brillante romancière. Née et ayant grandi à Douala, au Cameroun, en 1973, Hemley Boum est une romancière d’expression française qui ne cesse de glaner des succès depuis la parution de son premier roman, Le Clan des femmes, en 2010, publié chez L’Harmattan. Huit ouvrages au total, lus et appréciés dans le monde entier, dont nous ne citerons que quelques-uns : Si d’aimer en 2012 aux éditions La Cheminante, Les Maquisards en 2015 aux éditions La Cheminante, Les jours viennent et passent en 2019 aux éditions Gallimard, et Le rêve du pêcheur en 2024 aux éditions Gallimard. Ce dernier, récemment paru, vient de bouleverser les codes par son originalité et son allant sans commune mesure. Le rêve du pêcheur couronne un succès subliminal et sonne comme une véritable révolution du roman, les jurys ayant déjà exprimé leur étonnement. Cependant, rien n’est surprenant avec Hemley Boum. Remportant le Grand Prix Afrique 2025 et le Prix des 5 continents de la Francophonie, Le rêve du pêcheur est une histoire de famille, de lignée, entrelacée à l’épreuve de la domination du capitalisme et de ses ravages.
L’installation des firmes internationales exploite les populations locales, détruisant l’économie des villageois et entraînant une paupérisation galopante. L’entre-tissage, un récit intergénérationnel dans un incognito, se déroule dans un lieu ambivalent de « rencontre et de fracas où tout se mélange ». Zacharias, un pêcheur vivant au Campo, au Cameroun, dans une bourgade côtière, voit son mode de vie traditionnel bouleversé par une importante compagnie forestière. Cette immixtion sera accueillie au départ comme une aubaine, feignant d’augmenter leur statut social. Mais derrière ce semblant de quiétude se cache, par la suite, un traquenard qui mène les populations à la décrépitude. Entre-temps, et selon Neil Senot dans ses remarques, « le paysage et les aspirations ont changé. Zacharias aussi ». Zachary, le petit-fils connu sous le sobriquet de Zack, fuit le Cameroun à dix-huit ans et ne connaît absolument rien de ses ancêtres, abandonnant sa mère, une maman bordelle, ainsi que ses amis Nella et Achille, à la recherche d’un moyen de panser ses blessures d’antan. Psychologue clinicien à Paris, marié et père de famille, il est rattrapé par son passé alors que la vie qu’il s’est construite prend l’eau de toutes parts. Le petit-fils et le grand-père ne se connaissent pas, bien qu’ayant des trajectoires quelque peu similaires : le même prénom et la même peine.
Un enchevêtrement de vies, pour parler comme Senot, témoignant de la recherche d’identité face à un entremêlement de cultures qui fait que certains perdent leurs racines. L’exil, elle le considère comme un bannissement et une mutilation, soulignant ce besoin viscéral des exilés de garder le lien avec les lieux et les personnes qu’ils ont quittés, comme elle le soutient dans une interview. « J’essayais de devenir quelqu’un d’autre, mais je ne savais qui, ni comment faire », dit Zack face à ces nombreux obstacles : invisibilisation, discrimination, racisme et traumatismes de l’exil qu’il doit surmonter. « On peut mourir mille fois… », dit-il, une plaidoirie que peuvent s’approprier ces populations qui voient leurs terres spoliées par le pouvoir des multinationales, dictant impunément leurs lois.
La force de Hemley Boum réside dans sa plume, c’est-à-dire, comme l’a soutenu Valérie de la librairie Le Divan, « une écriture qui mêle un français très beau et un camerounais un peu mâtiné d’argot ». Elle poursuit également, en substance, que la force de ses personnages est qu’ils sont extrêmement incarnés et prennent toutes leurs places. Tantôt le « je », tantôt la troisième personne lorsqu’elle parle des familles, une technique difficile que l’on reconnaît souvent chez les grands auteurs. Une narration polyphonique haletante, s’expliquant par la richesse linguistique de l’Afrique centrale, pouvant créer une sorte d’imbrication enrichissante pour le récit. Un roman de joie, d’amour et de rencontre, mais aussi de remords, de regrets, de mélancolie et de réflexions bouleversantes : « il faudrait ne rien avoir vécu pour espérer échapper aux regrets ». Un cul-de-sac tissé dans l’incertitude, s’interrogeant parfois sur la finitude et l’inanité de la vie : « la vie de l’homme ne tient qu’en quelques mots : il est né, il a vécu, il est mort, ci-gît-il ». Pour Hemley, l’écriture est un refuge, une reconversion d’une passion de longue date, qui, au fil des années, ne fera que reprendre le dessus sur l’essence même de sa vie : celle d’écrire des histoires qui façonnent. Pour cette ultime consécration, Hemley Boum ouvre un long boulevard de succès ; son étoile continue de briller dans le monde littéraire et ne finit pas encore, comme le disait d’Ormesson, de nous épater.
ABLAYE TOURE (STAGIAIRE)