''Que la lumière jaillisse !''
Des milliers de morts, de blessés et de réfugiés. C’est le bilan macabre des massacres de 1989 survenus des deux côtés du fleuve Sénégal, frontière entre la Mauritanie et le Sénégal. Suite à un accrochage entre bergers mauritaniens et paysans sénégalais, une escalade de violence raciste s’est produite dans les deux pays. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ? Comment une telle violence a pu se produire entre des ‘’frères’’ ? Alassane Diago cherche des réponses à travers son film documentaire ‘’Le Fleuve n’est pas une frontière’’. Estimant que ‘’malgré les apparences ; les plaies ne sont pas refermées’’, il entend faire un pas vers la réconciliation, tout en rendant un hommage aux morts. Entretien avec cette grande figure du cinéma qui est mise à l’honneur, lors de la 14 e édition de Sltlouis’Docs.
À travers votre film ‘’Le Fleuve n’est pas une frontière, vous nous replongez dans les événements de 1989 où il y a eu une escalade de violence raciste en Mauritaniens et Sénégalaise. Pourquoi vous êtes- vous intéressé à cette histoire ?
Je suis de la région du fleuve Sénégal du village qui s'appelle Agnam Lidoubé, situé à 15 km de la frontière avec la Mauritanie. Et en 1989, j’étais encore un petit enfant, lorsque j’ai vu venir, de la Mauritanie, des familles noires dépossédées de tout, qui fuyaient des milices harratines et l’armée mauritanienne. Elles ont été obligées de se réfugier dans mon village. J’ai accueilli une famille de réfugiés. J’ai passé mon adolescence avec cette famille qui a vraiment souffert. Donc, j’ai toujours voulu que cette histoire soit racontée à travers le cinéma.
Et comment avez-vous déniché votre personnage principal ?
Le personnage que je voulais en premier lieu, je n’ai pas réussi à l'avoir. Moi, je suis parti à Dakar, lui est resté au village. Et je venais souvent en vacance. C’était toujours un bonheur de le retrouver. Mais, à un moment donné, il était fatigué d’attendre. Sa vie quotidienne était tellement difficile qu’il a été séduit par l’appel du gouvernement Mauritanien pour le retour des réfugiés mauritaniens. Il est reparti en Mauritanie avec sa famille pour reprendre son poste militaire et recevoir une indemnisation. Quand j’ai entendu la nouvelle, j’étais un peu déçu, parce que j’avais un projet de film sur lui et sa famille. Je voulais revenir sur les éléments de 1989 en partant de son histoire. Le point de Départ, c’était vraiment lui.
En ce moment, j’avais oublié mon projet. En 2014, par hasard, je vais dans un kiosque et vois à travers les journaux que les réfugiés mauritaniens, qui étaient rentrés dans le cadre de l’accord de 2007, vivent dans des conditions difficiles. Ça m’a troublé. Je prends ma caméra. Je suis allé à Podor pour traverser et retrouver ces familles-là en difficulté. Je reste à Podor où je filme la Mauritanie pendant trois jours. Le quatrième jour, la police sénégalaise débarque. Inquiet, un policier me demande ce je que cherche. J’explique mon projet et mon désir de traverser le fleuve pour retrouver cette famille-là. Il me dit : ''tu risques de mettre ta vie est en danger si tu traverses le fleuve, parce que depuis trois jours les renseignements mauritaniens ont tenté de t’identifier. Ils cherchent à savoir pourquoi tu braques ta caméra sur leur pays''.
J’ai eu peur. Je me suis très vite dit que je ne pouvais pas faire le film tel que je le voulais. J’ai pris mes bagages et j’ai sillonnais le long du fleuve pour retrouver des familles refugiées n’ayant pas répondu l’appel du gouvernement mauritanien. De famille en famille, j’ai trouvais un homme qui ressemble beaucoup au monsieur que je voulais filmer. Et il est devenu le personnage principal du film. Abdoulaye Diop, il s’appelle. Au départ, il était aussi très réticent. Il a posé beaucoup de questions avant d’accepter, me demandant de venir à Saint-Louis du Sénégal pour en parler. Il m’a ouvert son espace. Je n’ai pas voulu faire focus sur lui, lorsqu’il m’a raconté son histoire.
Je me suis dit que cette histoire mérite d’exister au cinéma sous une forme ambitieuse et originale. Et le plus intéressant, c’est de faire en sorte que Laye, ses compatriotes Mauritaniens, des Sénégalais, des professionnels, puissent se retrouver quelque part pour parler de cette histoire-là. Je ne voulais pas faire un film qui confronterait des témoignages. Du coup, le dispositif qui m’est venu en ce moment-là, c’est cette rencontre à la frontière sénégalaise, sous l’arbre à palabre, avec des mauritaniens et des sénégalais, des maures blancs et des noirs. Parler ensemble de cette épisode qui a eu des conséquences très lourdes : des pertes de vies humaines et énormément de déplacés. Les protagonistes ont besoin de parole. J’ai créé ce cadre d’échange pour que la lumière jaillisse. Ils se sont sentis très à l’aise avec ce dispositif-là. Ils ont oublié la machine, tous les outils de la mise en scène de cet espace. Et c’est ça que j’ai trouvé aussi fort. Ils habitent, hantent, et s’approprient ce lieu-là. C’est pour cela que le récit est fort.
Quels sont les retours que vous avez eus, après la diffusion du film au Stlouis’Docs ?
C’est magnifique. C’est la première fois que le film est diffusé au Sénégal et plus particulièrement à Saint-Louis où une bonne partie du film a été filmé. Il y a des protagonistes qui été là. C’était vraiment très beau.
BABACAR SY SEYE