LEÇONS D’OUTRE-TOMBE

Le souvenir de ces deux tristes journées de deuil inoubliables du 15 et du 19 juillet 2019, dates respectives de votre rappel à Dieu et de votre inhumation, moments intenses en émotions, ravive encore en nous douleur et nostalgie. Cinq ans après votre disparition, votre ombre continue toujours de nous hanter.
Depuis le royaume de l’Éternel, votre regard plein de mystère, impénétrable, comme l’œil de Caïn, suivra toujours ces descendants d’Abel, tueurs d’innocents citoyens, non par la mâchoire d’âne, mais par une arme aussi lâche que mortelle : une langue plus venimeuse que celle d’une vipère – si ce n’est une plume trempée dans la boue de la jalousie, la méchanceté, la haine, la rancune – avec de fortes charges de propos injurieux, diffamatoires, mensongers, de déballages sur la personne d’honnêtes hommes et femmes.
Il continuera, outre-tombe, de troubler le sommeil de ces funestes gens, leur quiétude, d’interpeller la conscience de ces pauvres mortels dans leurs rares moments de lucidité. Il nous enseignera aussi, à nous et aux générations futures, ce que doit être un homme, un homme d’État, un homme politique : instruit, cultivé, courtois, humble, sobre, discret, patriote, républicain, loyal et fidèle jusqu’au bout.
Et quoi d’autre ? Vous avez toujours entretenu dans votre jardin intérieur des valeurs, des vertus – entre autres – qui ne courent plus, hélas, les rues. Il se trouve que vous avez toujours fait vôtre cette règle non écrite, mais que l’on ne saurait, pour reprendre le poète Birago Diop, « transgresser sans déchoir aux yeux de tous » : de toujours garder les secrets d’État, demeurer imperturbable, impassible en toutes circonstances comme l’avaient démontré le Président Moustapha Niasse, les regrettés Bruno Diatta, Djibo Ka et le Président Macky Sall.
Opposants, ils en savaient pourtant beaucoup sur l’État, sur des personnes, des adversaires. Mais ils demeuraient muets, gardant le silence, même en prison comme Monsieur le Ministre Abdou Aziz Tall, jusque dans la tombe. Nous ne nous consolerons jamais de votre disparition, vous qui aviez toujours eu comme credo celui du grand humaniste Rabelais : « Fais ce que tu voudras ; parce que les gens biens nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête, ont par nature un instinct et un aiguillon qui toujours les poussent à accomplir des faits vertueux et les éloignent du vice, aiguillon qu’ils nommaient honneur. »
Ousmane, la vérité est que les Sénégalais – hommes, femmes, enfants, vieux des villes et des hameaux les plus reculés du pays –, dans leur vécu quotidien, vous avaient toujours intégré en leur sein comme un fils, frère, mari, père, gendre, ami modèle.
La vie des bonnes gens ne nécessite point qu’on en parle. Elle parle d’elle-même. S’il était permis de le faire, sans risque de nous tromper, nous dirions ceci de vous : populaire, vous êtes resté peuple. Vous n’avez jamais chanté, bonne naissance oblige, cet air du temps qui s’appelle l’arrogance, snober ses anciennes connaissances…
Homme de foi et de conviction, vous avez toujours été constant dans vos engagements, quelle que soit la situation. Vous avez osé relever avec succès le défi et remporté le pari de R. Kipling à travers son beau poème qui avait marqué notre adolescence (« Tu seras un homme, mon fils ») :
« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie,
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir ;
Conserver ton courage et ta tête quand tous les autres les perdront ;
Et, sentant haï, sans haïr à ton tour…
Tu seras un homme, mon fils. »
Mais bon sang ! Se souvient-on de ce commandant qui avait tenu bon pour redresser le gouvernail de ce gros paquebot battant pavillon « Parti Socialiste », tanguant – que vous avait confié un soir de mars 2000 le Président Abdou Diouf – dans une mer noire, très agitée, en pleine tempête ?
Qui pourrait vous oublier, vous l’héroïque chef légendaire, à l’image des mythiques capitaines Harvey du paquebot le Normandy, Edward Smith du Titanic : au milieu de l’océan, sous une pluie battante ruisselant sur votre casquette bien vissée, jumelles collées aux yeux embués, droit dans vos bottes, sous une nuit sans étoiles illuminée juste par quelques éclairs qui zébraient le ciel, faisant face à de gros écueils très dangereux (non pas des icebergs, mais des situations humaines) mettant à rude épreuve votre honneur : chantages, menaces d’emprisonnement, intimidations, tracasseries de toutes sortes, alléchantes propositions pour amener l’équipage – les fidèles et loyaux passagers – à bon port ?
Vous n’avez jamais dénoncé, encore moins accablé, bon nombre de responsables socialistes qui, la frousse au ventre, toute honte bue, avaient pris la « courageuse option du sauve-qui-peut » – connue des rats – en sautant par-dessus le bastingage. En véritables champions, ils avaient pu gagner la berge libérale à la nage (par la brasse et le crawl), courir à toutes jambes pour se terrer dans les prairies bleues, s’ils n’avaient fait le mort.
Qui peut alors vous donner, à vous Ousmane – sauf culot ou effronterie de certains –, des leçons de courage, d’honneur et de dignité ? Vos compatriotes retiendront aussi de vous la piété, le courage, l’endurance, la bonté, la générosité, la politesse, la courtoisie, l’érudition, l’honnêteté, la sincérité.
Ils étaient tous là ce jour pour vous accompagner à votre dernière demeure : le Chef de l’État Macky Sall, votre compagnon, profondément atteint, son collègue du Mali, votre frère Ibrahima Boubacar Keita, votre adjointe Aminata Mbengue Ndiaye, votre ami de toujours, notre oncle le conseiller Ablaye Thiam de Ndombo Alarba, votre frère le maire Ndiaga Dieng, votre cousin Massar Ndoye, les honorables députés Khady Ba, Cheikh Seck, Abdoulaye Wilane, Pape Yama Mbaye, son frère Yaxam, les personnalités religieuses, politiques, toutes confessions, confréries, chapelles confondues, tous unis dans la douleur et le recueillement. Que dire aussi d’un autre proche, le Maire Khalifa Sall, si loin mais si près, qui était ce jour par-delà les vicissitudes de l’histoire l’absent le plus présent ? Cette union des cœurs et des esprits si chère au Président de la République Macky Sall pour un Sénégal uni, de Tous, Pour Tous dans les moments de joie comme d’affliction nationale, devrait être une constante en chacun d’entre nous. Ce serait profaner votre sépulture, si à peine sorti de votre concession où vous reposerez désormais à côté de votre brave père, l’on se mettait de nouveau à insulter, à dénigrer, à mentir. « Mors ultima ratio » : « La mort est la raison finale de tout ». La haine, l’envie, tout s’efface au trépas. Nous mourrons tous un jour !
Détrompons-nous ! La valeur et les qualités d’un homme politique ne se mesurent guère au nombre de personnes présentes à ses obsèques. Mais elles s’apprécient surtout par rapport à ses faits et actes de son vivant. En cela, Ousmane, vous venez encore d’administrer, venant à la suite de vos illustres aînés comme le Président L. S. Senghor, bâtisseur de notre État, une leçon magistrale à la classe politique, la société civile, journalistes et autres coteries, que l’on peut aussi avoir la gloire, le prestige, le respect de ses pairs, en défendant et en exprimant ses opinions dans la courtoisie, la politesse, loin des vociférations, diatribes, insultes écrites et verbales. Vous avez servi à la fois de vitrine, de miroir aux serviteurs de l’État, anciens premiers ministres, ministres, fonctionnaires reconvertis en opposants en leur rappelant cet adage millénaire comme quoi : « Si la parole est d’argent, le silence est d’or. » Ce que le Président Macky, dans ses formules dont il avait l’ingéniosité, le cœur étreint par le chagrin, parlant de vous disait : « Ousmane, vous aviez de la tenue et de la retenue, parce que conscient des règles d’éthique et de la gravité des charges qui incombent aux serviteurs de l’État et de la République. Votre carrière administrative du début à la fin est un Code de Déontologie post-mortem à l’usage de tout agent public soucieux du bien commun. Vous avez été un homme de grande courtoisie. Votre sérénité et votre dignité n’ont jamais été prises à défaut, dans le pouvoir comme dans l’opposition. Vous étiez aussi un homme de lettres à la plume exquise. Comme disait Montaigne à propos de la relativité des choses humaines : “L’art de vivre doit se fonder sur une sagesse prudente, inspirée par le bon sens et la tolérance”. Vous avez toujours fait vôtres les vertus cardinales d’un homme politique digne de ce nom : Tu ne mentiras point ! Tu n’offenseras point ! Ceux de vos proches qui vous ont connu depuis votre jeune âge l’ont confirmé. »
Tout devoir aux autres, et ne rien devoir à soi-même, telle fut votre pénible et noble charge durant toute votre existence. Soixante-douze ans, ce n’est tout de même pas trop dans la vie d’un homme, de surcroît sportif, débordant d’énergie comme vous. Mais vous les avez vécus pleinement en homme accompli, emportant avec vous les secrets d’État et la reconnaissance de la Nation entière. Ousmane, c’est la Nation entière qui vous pleure encore aujourd’hui, vous qui avez tout donné à votre peuple. Vous êtes parti rejoindre au Panthéon des héros d’autres illustres hommes qui ont majestueusement marqué l’histoire politique du Sénégal. Devant Dieu, le Tout-Puissant, votre brave père, votre sainte mère, vous pourrez bien dire : « J’ai fait ce que j’ai pu en bien. » Vos enfants, venant à votre suite, diront : Gloire à notre adorable père ! Hommage à vos braves et généreuses épouses Mame Fily, Arame…
Ousmane, avec votre disparition, c’est la pudeur et la décence républicaines qui sont orphelines. Merci encore Président Macky d’avoir honoré votre loyauté jusqu’au bout et au-delà envers votre compagnon et conseiller, en veillant sur lui et sa famille et en l’accompagnant jusqu’à sa dernière demeure.
Ousmane, merci pour tout.
Reposez en paix. Que la terre de Nguéniène vous soit légère.
AMEN.