Publié le 13 Jun 2015 - 20:21
IBOU SANE, ANALYSTE POLITIQUE

‘’ Wade cherche à tuer la fronde de Fada dans l’œuf’’

 

Selon l’analyste politique Ibou Sané,  la crise qui secoue actuellement le Pds était déjà prévisible depuis 2007 alors que les libéraux étaient encore au pouvoir. Et en décidant de remanier le secrétariat national, Abdoulaye Wade cherche plus à tuer la fronde portée par Modou Diagne Fada qu’à accéder à sa demande de refonte et de restructuration du Pds. Ibou Sané revient aussi sur le clin d’œil du chef de l’Etat à l’opposant Djibo Ka. Entretien.

 

Comment analysez-vous la situation au niveau du Pds ?

La secousse que traverse le Parti démocratique sénégalais (Pds) était prévisible. Depuis 2007, j’avais dit que le Pds risquait de s’imploser de l’intérieur même du parti. Dans ce parti, il n’y a qu’une seule constante, c’est Abdoulaye Wade. À part lui, toutes les autres composantes du parti ne sont que des variables. Autrement dit, c’est lui le roi, qui décide de tout parce qu’il est tout simplement l’initiateur du parti. Or, on sait qu’en Afrique et au Sénégal en particulier, quelqu’un qui créé son parti est obligé de s’identifier à lui. Résultats : c’est lui qui dépense ses sous, qui contrôle tout le processus de nominations, c’est lui qui fait et défait les individus.

Donc il a un pouvoir omnipotent. Et à partir du moment où il a été un grand opposant en Afrique et au Sénégal, doublé du fait qu’il a été un président qui avait de l’aura et qui était populaire, il pense qu’il est toujours dans ce tempo. Il oublie que quand on n’est plus aux commandes, votre pouvoir s’effrite en même temps. Vous avez du mal à réorganiser toutes les forces autour de vous. Mais il faut noter qu’Abdoulaye Wade s’est fait piéger lui-même dans sa stratégie qui consistait en la dévolution monarchique du pouvoir. Au départ, quand l’ancien Premier-ministre Idrissa Seck le théorisait, les gens pensaient qu’il en voulait simplement au président Abdoulaye Wade. Aujourd’hui, tout le monde s’est rendu compte que le président Wade voulait coûte que coûte mettre son fils à sa place en écartant d’abord son dauphin d’alors, Idrissa Seck.

Est-ce la même stratégie qu’il veut adopter avec Fada ?

Abdoulaye Wade a embrigadé tous les gens du Pds autour de la candidature de son fils portée par des faucons qui n’ont en réalité aucune base politique, qui font de la politique de bureau. Comprenant cela, les responsables libéraux qui sont bien assis dans leurs différentes bases, ont jugé utile qu’on renouvelle les instances du parti. Or, Me Wade n’a jamais voulu renouveler les instances de son parti surtout dans le contexte actuel. Et la fronde est venue de l’intérieur portée par un jeune qui a été dès les premières heures au sein de ce mouvement. Modou Diagne Fada connaît les rouages du parti, ses mécanismes de fonctionnement. Face à une telle situation, ce que cherche le président Wade, c’est de tuer la rébellion dans l’œuf comme il l’a fait avec Idrissa Seck. Seulement cette fois-ci, Modou Diagne Fada a une posture beaucoup plus intelligente. C’est la raison pour laquelle il a attaqué le premier. Beaucoup pensaient d’ailleurs qu’en attaquant le premier, il allait se faire virer du parti. Mais n’oublions pas que c’est un président de groupe parlementaire, un responsable du parti qui a une base réelle. Si le Pds l’exclut, son départ va créer un vide que les faucons qui entourent Wade ne vont pas pouvoir combler.

Dans son mémorandum, Modou Diagne Fada demande la restructuration en profondeur du parti. En réunion hier (avant-hier) du comité directeur, Wade a annoncé un remaniement du secrétariat national du parti. Quelle analyse en faites-vous ?

Me Wade ne peut pas, à l’état actuel de la situation, tendre un piège à Modou Diagne Fada. Il est vieillissant au point que si son fils n’était pas en prison, il partirait après avoir organisé un congrès et intronisé son fils. Malheureusement, comme son fils est en prison, il est obligé de garder la maison. Mais cette posture est une erreur tactique.

En décidant de remanier le secrétariat national de son parti, que cherche Abdoulaye Wade ?

Il prend en compte les remarques pertinentes de Fada mais en même temps, tente de lui couper l’herbe sous les pieds.

Wade a demandé à la commission de discipline du Pds d’entendre Fada et ses camarades frondeurs. A quoi peut-on s’attendre ?

Ce scenario est une catastrophe pour le Pds. Parce que traduire Fada et ses camarades en commission de discipline, c’est leur demander indirectement d’aller en profondeur dans leur positionnement. Mais en réalité, on les soupçonne d’avoir été corrompus par le pouvoir en place sans avancer aucune preuve. C’est un contre-feu. Mais à la place de Modou Diagne Fada et compagnie, j’éviterais d’aller devant cette commission de discipline pour être entendu par des gens qui obéissent au doigt à Abdoulaye Wade. S’ils défèrent à la convocation, c’est pour qu’on leur notifie leur expulsion du parti pour qu’ils créent un Pds bis à l’image de ce qu’on a vu avec Malick Gackou. Or, si on continue comme cela, le Pds va se vider de toute sa substance. Dans un tel cas, le Pds ne pourra pas revenir de sitôt aux affaires.

 Wade n’est-il pas en train de faire le vide autour de Fada qu’il tente d’isoler en ramenant les cadres dans son giron ?

Abdoulaye Wade a toujours divisé pour mieux régner. Les cadres en Afrique, ce sont souvent des cadres versatiles. Ce sont souvent des gens qui sont à la recherche de strapontins en vue d’une ascension sociale et économique. Donc en ramenant les cadres dans son giron, Abdoulaye Wade cherche à couper court aux problèmes qui ne sont pas encore résolus. Le gros problème que nous avons en Afrique, c’est que les gens manquent souvent de courage, de sincérité et d’ambition. Ce sont des gens qui sont souvent obnubilés par l’argent et le pouvoir. Or, ce sont les cadres libéraux qui auraient pu aujourd’hui contrôler le parti même s’ils ont besoin de gens expérimentés à leurs côtés. A son âge, Abdoulaye Wade aurait pu être quelque part en train de régler des conflits en Afrique ou aller se reposer en France. Plus il va rester à la tête du Pds, plus la contestation va monter crescendo. Conséquences : ils vont continuer à expulser des gens jusqu’à ce qu’il y ait un vide total autour de Wade.

Quelle doit être à présent la posture de Modou Diagne Fada ?

Abdoulaye Wade veut présentement faire une redistribution des cartes. Mais je ne pense pas qu’à ce niveau précis, dans le secrétariat national, il puisse prendre en compte les préoccupations de Fada. De ce point de vue, il est dans un grand dilemme. C’est un grand Machiavel mais cette fois-ci, il est pris dans son propre piège.

Avec la défection des cadres libéraux, pensez-vous que Fada a les moyens de continuer la lutte à l’intérieur du Pds ?

Je pense que Diagne Fada doit continuer sa lutte sans perdre de vue qu’il ne doit pas avoir peur des faucons. L’expérience a montré que quand il a quitté le Pds la dernière fois, et créé son parti, (War wi), il a eu trois députés à l’Assemblée nationale. Donc c’est quelqu’un qui a construit sa niche politique progressivement. Il doit continuer à embrigader tout le monde dans cette dynamique pour contraindre Abdoulaye Wade à accepter le fait qu’un parti doit se choisir son leader par le vote. On ne doit pas imposer aux uns et aux autres un candidat. Ce n’est pas de la démocratie. C’est d’ailleurs une contradiction qu’un parti qui se dit démocratique ne soit pas démocratique.

Pendant que le feu couve chez les libéraux, le président de la République Macky Sall continue son opération de charme jusque dans les rangs de l’Urd. Comment appréciez-vous son clin d’œil à Djibo Kâ ?

Le président Sall cherche coûte que coûte un second mandat. Donc il a tout intérêt à rassembler le plus grand nombre de leaders et de partis politiques autour de sa personne en vue de lui permettre de passer au premier tour en 2017. Or, Djibo Kâ est quand même une personnalité importante. C’est le deuxième machiavel après Abdoulaye Wade. C’est quelqu’un qui est très rusé, très futé, très méthodique, très organisé et trop intelligent. Il suffit juste de revoir sa trajectoire politique pour s’en rendre compte. Il a fait l’ensemble des régimes qui se sont succédé à la tête du pays.

Mais que peut-il apporter à Macky Sall ?

Ce qu’il peut apporter au président Macky Sall, c’est l’expérience, lui montrer comment on conserve le pouvoir, comment le consolider et le garder. Le président  Sall est dans cette posture. Il sent qu’il est possible d’enrôler Djibo et il cherche à le faire. Mais à sa place, j’aurais fait plutôt appel à des jeunes.   

PAR ASSANE MBAYE

 

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