“Le président est dans une logique d’apaiser le climat social”
Membre du Mouvement des cadres de Pastef et du pool débatteurs, Badara Pouye évoque, dans cet entretien, des sujets qui constituent l’actualité phare du pays. L’expert en communication est interviewé, entre autres, sur la question de la motion de censure, la déclaration de politique générale, la suppression du HCCT et du Cese, la nouvelle fonction de Macky Sall et son implication dans la politique du pays.
Quel est votre avis sur la motion de censure déposée par le groupe parlementaire BBY ?
Cette situation est déplorable parce que, ce qui est sûr, connaissant le président Bassirou Diomaye Faye, il n’aurait pas souhaité qu’on en arrive à cet extrême. Je pense que si la majorité mécanique de Benno jouait la carte de la collaboration, on aurait pu laisser l’Assemblée nationale continuer au moins jusqu’à terme. Il est inadmissible et impossible de laisser cette Assemblée nationale sans la dissoudre. Tout le monde sait qu’ils ne faciliteront pas le travail au président Bassirou Diomaye Faye. Je pense que la réaction des députés de Benno Bokk Yaakaar est désespérée.
Conscients qu'ils risquent d'être révoqués, ils ont tenté de renverser le gouvernement par le biais d'une motion de censure. Mais en prenant cet acte, ils ne savaient pas que le président Diomaye avait d’autres armes pour contrer leur plan, c’est-à-dire convoquer l’Assemblée nationale en session extraordinaire suivant un ordre du jour, un calendrier et des priorités. La réponse du président a été fatale à ces députés. Ils n’auront pas la possibilité de voter une motion de censure. La déclaration de politique générale ne devrait pas se faire dans cette Assemblée. Les députés de cette Assemblée nationale ne sont pas là pour l'intérêt du peuple, mais pour leur propre intérêt.
Faut-il supprimer le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) et le Conseil économique, social et environnemental (Cese) au nom de la rationalisation des dépenses de l’État ?
Le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko suivent toujours leur logique. Dans notre programme, le Projet, nous avons promis aux Sénégalais de supprimer certaines institutions budgétivores et de consacrer ces ressources à des dépenses prioritaires. Comme vous le savez, ces institutions ont été créées dans le seul but de satisfaire une clientèle politique. Nos dirigeants actuels ne sont pas dans une logique de satisfaire une clientèle politique qui n’existe pas d’ailleurs. Je pense que supprimer ces institutions était une demande sociale. Les deux budgets de ces institutions cumulés font plus de 15 milliards F CFA. Avec cette somme, nous pouvons construire 3 000 salles de classe. Avec 15 milliards, nous pouvons avoir un hôpital.
Donc, je ne vois pas pourquoi dépenser tout cet argent pour payer des gens à ne rien faire. Je pense que c'était une décision salutaire, non seulement pour la rationalisation des dépenses de l’État, mais aussi pour donner un signal fort à tous les Sénégalais qui pensent que nous n’allons pas respecter nos promesses de campagne. Moi, j’approuve à 100 % cette décision du président Bassirou Diomaye Faye de vouloir mettre fin à ces institutions et de révoquer leurs présidents. Parce que, comme je l’ai dit, elles ont été créées pour caser une clientèle politique. Et nous, nous ne calculons pas de mandat ; nous ne calculons pas un deuxième quinquennat. Nous sommes élus par les Sénégalais parce que nous nourrissons beaucoup d’espoir. C’est pourquoi, avec l’élection présidentielle passée, pour la première fois, un opposant a été élu avec une majorité absolue au premier tour. Nous n’avons pas le droit de décevoir les Sénégalais. C’est pourquoi certaines promesses de campagne seront naturellement respectées et nous sommes dans cette logique.
Après le rejet du projet de loi portant suppression de ces institutions, les présidents Abdoulaye Daouda Diallo et Aminata Mbengue Ndiaye ont été limogés de leurs fonctions respectives. Le Premier ministre a également annoncé le blocage des comptes de ces deux institutions. Est-ce un procédé élégant ?
Ça dépend de votre définition de l'élégance. La Constitution confère au président de la République le pouvoir de nommer aux emplois civils et militaires. Comme la présidente Aminata Mbengue Ndiaye — que je respecte d’ailleurs, tout comme le président — et le président Abdoulaye Daouda Diallo, qui ont été nommés par décret présidentiel, je pense qu'il n’y a rien d’inélégant à ce que le président prenne un décret mettant fin à leurs fonctions. S'ils avaient été élus au suffrage universel, on parlerait d'inélégance républicaine. Mais ils ont été nommés par décret présidentiel et ont été limogés par décret présidentiel. Évidemment, certains peuvent penser que c’est un règlement de compte politique, mais nous ne sommes pas dans cette logique. Je pense que la présidente Aminata Mbengue Ndiaye et Abdoulaye Daouda Diallo prendront cette décision avec beaucoup de philosophie et l’accepteront. Le Sénégal doit être au-dessus de nos ego.
Le gouvernement envisage aussi de dissoudre l’Assemblée nationale. Dans ce cas, le droit budgétaire se trouverait dans une situation juridique complexe, selon Birahime Seck. Qu’en pensez-vous ?
Sur cette question, je voudrais être très prudent, parce que quand le président aura dissous l’Assemblée nationale, évidemment, il n’y en aura plus. Dans la conscience, le Premier ministre doit faire sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale. Cependant, nous nous trouvons dans une situation d'exception. Dans une telle situation, le président de la République peut, éventuellement, exercer des pouvoirs exceptionnels pour gouverner. Je suis convaincu que, face à une situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles sont nécessaires. Le président aura les coudées franches pour faire valider la loi de finances. Je ne sais pas par quel moyen, mais le président est suffisamment avisé pour s'assurer que cette décision ne plonge pas le Sénégal dans une crise budgétaire ou économique.
Il y a quelques jours, les membres de Benno Bokk Yaakaar ont publié un livre blanc sur les réalisations du président Macky Sall. Est-ce une façon de demander aux nouvelles autorités de se pencher sur les urgences au lieu d’attaquer l’ancien régime ?
Benno Bokk Yaakaar est dans son jeu favori : la ruse, la tricherie, le sabotage, la mise à sac du Sénégal comme elle l'a fait pendant 12 ans. Ce livre, pour moi, c’est un jeu d’enfants. Toutes les réalisations qu’ils ont mentionnées dans ce livre blanc, les Sénégalais les ont vues. Il n'empêche, ils ont sanctionné le régime de Macky Sall pour plusieurs raisons. La première, c’est l’arrogance avec laquelle ce régime a dirigé le pays. La deuxième raison, c’est la dilapidation des deniers publics par les dignitaires de cet ancien régime. En troisième lieu, il y a la dictature que Macky Sall a voulu imposer aux Sénégalais. On peut parler de l'implication outrancière de la famille présidentielle dans la gestion des affaires publiques. Macky Sall, depuis qu’il était ministre de l’Intérieur, a montré le visage d’un dictateur, en allant voter à Fatick sans sa carte nationale d'identité. Et lorsqu'il est venu au pouvoir, son jeu favori a été de vouloir réduire l’opposition à sa plus simple expression.
Par rapport à leur demande au gouvernement de se consacrer aux priorités, je pense que c’est enfantin. Le président de la République, depuis son élection, se consacre aux priorités de l’heure, c’est-à-dire la rationalisation des dépenses, la réduction du coût de la vie, le renouveau institutionnel, mais aussi la restauration de l’État de droit au Sénégal. Quand on voit ces gens-là, avec tout le mal qu’ils ont fait, se pavaner de gauche à droite, ça veut dire que le président est dans une logique d’apaiser le climat social. Et il y arrivera avec toute une équipe. Mais je pense que le président n’a pas de leçon à recevoir de la coalition Benno Bokk Yaakaar.
Quelle analyse faites-vous des 100 jours de Diomaye à la tête de la nation ?
En 100 jours, il est difficile d’apprécier le travail d'un gouvernement qui vient d’être installé. Moi, je pense qu’il faut une voire deux révolutions pour apprécier le travail de ce gouvernement. Maintenant, pour les 100 premiers jours, nous avons vu quand même les actes que le président et son Premier ministre sont en train de poser. Le président s’est rendu dans les zones où la dilapidation de l’assiette foncière a été énorme. C’est le cas de Mbour 4 et de certaines parties du littoral où nous avons noté une prédation inouïe des ressources foncières par le régime de Macky Sall. Quand vous entendez un député de Benno Bokk Yaakaar, en l'occurrence Farba Ngom, se faire attribuer 1 400 m² sur l’assiette foncière de l'aéroport ça, c’est un crime économique. Le président a pris la décision de suspendre toutes les attributions foncières qui ont été faites à gauche et à droite en faveur des dignitaires de l’ancien régime. Il a aussi alloué des terres à des coopératives d’habitat qui se chargeront de construire des logements sociaux qu’elles mettront à la disposition des couches défavorisées. À cela s’ajoutent les 50 milliards que le président a injectés pour la réduction du coût de la vie, entre autres. On peut dire que ce bilan de 100 jours est satisfaisant et encourageant.
Mais le président est appelé sur plusieurs priorités et nous sommes conscients qu’il y a des choses à améliorer. Le chef de l’État et son Premier ministre s’y mettent tous les jours pour permettre aux Sénégalais de vivre dans un pays prospère, démocratique, paisible où le citoyen peut exprimer librement sa pensée.
Envoyé spécial de Macron, l’ancien chef de l’État sénégalais semble être un absent très présent dans la politique actuelle du pays. Qu’en pensez-vous ?
Je fais partie des personnes qui sont les plus acerbes contre cette décision du président Macky Sall. Il a dirigé un pays pendant 12 ans. Il a aussi été Premier ministre, DG de Petrosen, ministre des Mines et de l’Énergie, ministre de l'Intérieur, président de l’Assemblée nationale. Quand on a occupé de telles responsabilités dans un État africain, ancienne colonie française et qu’à la fin de notre mandat on se retrouve employé d’une ancienne puissance étrangère, c’est un acte d'allégeance. Pour moi, c’est une trahison que le président Macky Sall a faite. Et il est inadmissible qu’il continue à servir la France tout en se mêlant de la vie politique sénégalaise. Il doit choisir entre rester envoyé spécial, c’est-à-dire ancien président de la République employé d’une puissance étrangère, et revenir au Sénégal pour faire de la politique. C’est extrêmement dangereux pour la stabilité du Sénégal. Je demande au président de la République et au Premier ministre de demander à Macron de dire à Macky Sall d'arrêter de s’impliquer dans la vie politique sénégalaise. S’il ne le fait pas, l’État du Sénégal doit lancer un mandat d'arrêt international.
Plusieurs dirigeants africains, dont Diomaye Faye, ont pris part au Sommet Chine-Afrique. Quelle est votre appréciation de la coopération entre la Chine et le continent noir ?
La première visite officielle du chef d’État, à part celles effectuées dans les pays africains, c’est en Chine. La visite en France n'était pas aussi officielle que celle faite en Chine, une grande puissance. Le président s’y est rendu avec une forte délégation, dont des hommes d'affaires. La Chine a des intérêts stratégiques en Afrique. Pour moi, c’est une visite extrêmement importante. C’est un État qui a beaucoup compté sur l’agriculture et le développement de la technologie, notamment le numérique. Comme le numérique fait partie des priorités de l'État du Sénégal, nous pouvons compter sur ce pays socialiste qui ne cherche pas à déstabiliser des pays africains comme le font certains. Nous pouvons aussi compter sur la Chine pour les transferts de technologie. Donc, c'est une visite importante. Une dizaine d'accords ont été signés. La Chine a alloué un montant important à l'État du Sénégal. Nous attendons de cette visite des retombées positives pour le Sénégal et un renforcement accru des investissements chinois.
BABACAR SY SEYE