‘’Il est urgent d’arrêter ces violences faites aux filles’’
Réalisatrice, productrice et promotrice culturelle, Judith Ekwalla est aussi une autrice d’origine camerounaise qui s’est installée au Sénégal depuis 2006. Princesse du Wouri (son nom d’auteure) vient de publier ‘’Le sacrifice de Noura’’, son deuxième livre après ‘’Souvenirs sombres et clairs’’. À travers son nouveau roman, elle marque sa détermination à ‘’poser le regard sur les conditions de la femme africaine, traduire la souffrance avec dignité, montrer l’impact des violences psychologiques’’.
Parlez-nous de votre parcours universitaire et professionnel.
Je suis diplômée en marketing à l’École supérieure de gestion de Douala. Et dès mon arrivée au Sénégal en 2006, j’intègre le Média Centre de Dakar où je fais une formation de technique d’infographie, puis celle de réalisation audiovisuelle. Par la suite, j’ai commencé à travailler comme réalisatrice en freelance sur des films institutionnels. J’ai travaillé plus tard à la 2STV où je produisais et présentais une émission d’art, en réalisant d’autres émissions de la maison telles que ‘’Good Morning’’, ‘’Sénégal ca Kanam’’. J’ai quitté la 2STV, après trois années de collaboration, pour redevenir freelance. J’ai eu le plaisir de créer quelques concepts comme ‘’Faites-nous rire’’ sur SenTV qui, malheureusement, n’a pas pu être poursuivi, faute de moyens. Aujourd’hui, j’ai mis en place une chaîne Web qui œuvre dans la promotion de l’art.
Comment êtes-vous passée du cinéma à la littérature ?
J’ai toujours été à la télévision. Ce n’est que depuis quelques mois que je côtoie le cinéma, avec la sortie de mon premier court métrage ‘’Batailles Silencieuses’’. En tant que réalisatrice, l’écriture s’impose à moi, car pour faire un film, il faut pouvoir écrire l’histoire. C’est un passage obligé, pour celui qui aime raconter les histoires et nous avons tellement de choses à dire et à transmettre que pour moi, c’est important de me laisser aller dans cet exercice et j’espère bien y arriver.
Vous avez plusieurs casquettes. Comment vous organisez-vous pour écrire un livre ?
Tout est question d’organisation, de planification. Il est vrai que c’est la nuit que j’écris le plus. J’aime ce moment de silence où tout le monde est endormi. Je profite de ce temps. Je peux également écrire à tout moment de la journée. Si une idée survient, je la note et le fait d’être en freelance me permet de m’organiser à ma guise.
En tant que jeune écrivaine, quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face ?
Les difficultés sont dans la promotion, la distribution. Les coûts d’impression en Afrique sont encore très élevés, mais aujourd’hui, avec l’autoédition, il y a des alternatives et l’écrivain ne dépend plus des maisons d’édition. Mais il faut des ressources pour une meilleure communication. Toute la difficulté est là.
Quel message tenez-vous à véhiculer à travers ''Le sacrifice de Noura’’ ?
Il est urgent que des mesures soient prises pour arrêter ces violences faites aux filles et qu’elles puissent être mieux protégées, que notre société prenne conscience que la fille est une femme et une mère de demain. Donc, si les femmes sont détruites dans leur chair, comment pourront-elles remplir pleinement leur rôle et réussir leur vie ? ‘’Le sacrifice de Noura’’ est un combat de filles et de femmes. Tout doit venir de notre volonté commune d’œuvrer contre toute violence faite aux filles.
Quel regard portez-vous sur les conditions de la femme africaine ?
Reléguée au second plan, victime de plus en plus de violence, la femme africaine a vraiment perdu sa place de reine et le respect. Quand on retrace l’histoire de l’Afrique, le rôle que les femmes ont joué et tout le respect qui leur était dû, on se rend compte que notre société est véritablement rétrogradée.
Aujourd’hui, on se complait à humilier, dévaloriser les femmes ; ce qui est vraiment regrettable pour ma part. En tant que femme, je ne peux pas rester insensible à ça.
Que pensez-vous de la politique de discrimination positive ?
Et si on parlait plutôt d’inclusion ! Il est vrai que les disparités sociales ne disparaîtront pas de sitôt, mais nous ne pouvons pas combler un trou en creusant un autre. Résoudre le problème des inégalités demande de travailler à la source et y pallier.
Pensez-vous que nous sommes dans un contexte où l’autorité parentale ne remplit pas son rôle de chef de famille ?
Nous sommes dans un contexte en pleine mutation. Les lois ont donné trop de priorité aux hommes. Pourtant, dans beaucoup de familles, ce sont les femmes qui s’occupent de tout. Seulement, en considérant ce fait, les lois doivent être révisées. Dans une famille, chaque parent joue un rôle important et chacun doit le remplir. Ma préoccupation est plutôt celle de comprendre ce qui cause ce manque de responsabilité, cette absence de l’un ou l’autre. C’est à partir de la source du problème qu’on trouvera des solutions.
Quel est votre avis sur le cinéma africain ?
Le cinéma africain est en train de revenir dans les rails, après des années dans le trou noir. Les choses sont en train de s’améliorer considérablement ; il était temps. Je pense que les prochaines générations vont exploser à travers le monde, car nous avons tellement d’histoires à raconter. Ne laissons plus les autres les raconter à notre place. Le seul blocage reste l’accès au financement, mais il y aura toujours des solutions et des alternatives. Le plus important est de croire en nous et en nos potentiels. Tout est à notre portée.
BABACAR SY SEYE