Publié le 22 Mar 2025 - 13:36
L’IMPÉRIALISME ET LA FAILLITE DU SYSTÈME POST-COLONIAL

Le cas du Sénégal (Étude des Plans d’Ajustement structurel et leurs conséquences 1979/94)

 

Le 16 août 1993, le premier ministre du Sénégal, Habib THIAM, dans sa déclaration télévisée, annonçait qu’« il est dans la vie d’une nation des moments où se joue son destin (...), la satisfaction des besoins primaires de l’État... absorbe l’essentiel du capital interne de créativité et d’imagination. L’empire tyrannique de la gestion à court terme éclipse alors l’éclairage des perspectives du moyen et du long terme.

Le développement est ainsi ajourné par la force des choses : l’horizon économique, alors obstrué, affecte l’image d’un État aux finances disloquées focalisant paradoxalement une forte attente sociale »(Soleil du 17/08/1993). Ce diagnostic explosif du désastre dans lequel le pouvoir semi-colonial du PS-PIT-LD-PDS/R aura conduit le Sénégal est dressé dans le but de susciter « un réel effort de mobilisation de toutes les potentialités nationales, notamment au plan financier » parce que « l’accès aux ressources financières extérieures, indispensables tant les besoins sont importants, est étroitement lié à la qualité des politiques de développement, aux capacités internes de gestion, au respect des engagements souscrits, mais également à la crédibilité des programmes financiers...» (idem). C’est en ces termes éloquents qu’était justifiée la soumission au diktat libéral des institutions de Bretton-Woods.

C’est en 1979 qu’est inaugurée l’intervention du FMI et de la BM dans notre pays et du même coup sur le continent africain. Sur le plan international, c’était à l’aube d’une sérieuse crise de l’endettement dont la manifestation fracassante fut la menace du Mexique de ne plus s’acquitter du paiement de sa dette et des intérêts de celle-ci. C’est aussi l’époque du « second choc » pétrolier après le premier de 1973. Au Sénégal, les élections de 1978 annonçaient la perte de vitesse du pouvoir senghorien.

Les États africains avaient bénéficié des largesses sous forme de prêts intéressés de leurs maîtres impérialistes qui s’appuyaient sur des économies capitalistes dites de « consommations » relativement prospères que la crise générale du système capitaliste remit en cause après les coups de semonce annonciateurs de mai 1968.

L’économie paysanne de rente était la « vache laitière » des États nouvellement indépendants. Mais la crise de surproduction et de sur-accumulation de l’économie du monde capitaliste impérialiste devait entraîner la « détérioration des termes de l’échange » et bientôt une crise de l’endettement prétexte aux interventions libérales du FMI et de la BM.

Au Sénégal, « jusqu’en 1986, les taux de croissance respectifs sont de 2,5 % pour le PIB et de 3,95 % pour la consommation (2,6 % pour la consommation privée, 3,9 % pour la consommation publique) » (Maktar Diouf, politique africaine, N°45 - 1993). La part de la consommation dans le PIB est allée croissante, passant de 87 % en 1977 à 99 % en 1979 avant de dépasser pour la première fois, depuis les indépendances, en 1980/81 le PIB. Or dans cette période « la croissance du PIB a été négative 7 années sur 16, la croissance de la consommation privée 6 fois et celle de la consommation publique 2 fois (idem).

C’est une telle situation qui est utilisée par les institutions de Bretton-Woods pour calomnier notre peuple en disant que « les sénégalais consomment ce qu’ils ne produisent pas ». C’est une telle situation qui est instrumentalisée pour justifier les quatre plans d’ajustement successifs que notre pays a subi depuis 1979. Officiellement, il s’agissait en 1979 d’un « plan de stabilisation à court terme » par des mesures budgétaires (PAS), puis de 1980 à 1985 de « l’assainissement des finances publiques » (PREF), de 1985 à 1992 des « réformes structurelles de rétablissement des équilibres macro-économiques » (PAMLT) et enfin depuis 1993 du « plan d’urgence pour rétablir les finances publiques ».

Faire payer par le peuple les dettes des P.A.S.!

Le FMI et la BM dictaient à Senghor, dans le cadre de l’année budgétaire juillet 79/juin 80, des mesures cherchant à améliorer le rendement des recettes de l’État par des dispositions fiscales visant à un élargissement de la TVA, la hausse des taux douaniers et la baisse officielle des dépenses de fonctionnement de l’État. Ainsi le premier prêt d’ajustement en Afrique fut accordé à l’occasion de l’entrée en vigueur du PREF. Ce prêt coïncidait avec le sixième plan marqué par la mise en exécution du diktat du FMI et de la BM concernant la réduction des subventions étatiques aux denrées vitales de consommation que sont le riz, l’huile et le sucre. Ce diktat allait se traduire par de fortes hausses des prix en 1980 et 1983, en plus de la fermeture des internats des lycées jetant ainsi à la rue les enfants des paysans et des pauvres. Le PREF introduisait aussi une subvention à l’exportation de 10 %, ce qui fait dire à Maktar Diouf, professeur d’économie à Dakar, que « ces mesures sont censées correspondre à une dévaluation de 15 % ». Les contrats plans sont un autre volet du PREF qui, copiés sur la gestion social-démocrate libérale de Mitterrand en France, consacraient le désengagement de l’État du secteur parapublic. La conséquence la plus visible fut la dissolution de l’ONCAD qui avait 5000 employés. Senghor ne répétait-il pas comme un perroquet, suite à sa reconversion au libéralisme en 1976, que « les entreprises publiques à caractère industriel et commercial ainsi que les sociétés d’économie mixte qui persisteront à faire des déficits seront supprimées ou privatisées » (Afrique Industrie). Les mesures très médiatisées telles la prétendue fermeture de 23 ambassades, la réduction du parc auto et des dépenses en essence de l’État de 40 % ou du nombre de coopérants de 150 unités, ne furent que de la poudre aux yeux cachant des licenciements massifs, notamment à l’ONCAD qui laissa par ailleurs une ardoise de 94 milliards de francs CFA de dettes à l’État. Les ambassades furent toutes rouvertes dès 1989.

En 1985, lorsque démarre le PAML, le Sénégal comptait 180 entreprises publiques et parapubliques. Le « moins d’État, mieux d’État » fut le slogan d’A. DIOUF en écho à ses maîtres impérialistes du FMI et de la BM et en écho à la reconversion au libéralisme de Senghor dont il fut 10 ans durant le premier ministre. Le désengagement de l’État par la suppression jusqu’en 1990 de 50 % de subventions au secteur public et la privatisation qui connut un tournant nouveau avec la création du poste de délégué à la restructuration du secteur parapublic avec rang de secrétaire d’État. Il est ainsi décidé le gel des salaires dans le but de ramener la part de la masse salariale dans le budget de fonctionnement de 52 % à 49 % et l’arrêt du recrutement dans la fonction publique, prélude à la politique dite de « départs volontaires ».

Ainsi par tous les moyens, le pouvoir semi-colonial cherche à accroître ses recettes aux dépens des masses laborieuses. Dans ce but, sont instituées l’augmentation du timbre du passeport contre laquelle se sont dressés les émigrés (UTSF/AR) et les étudiants, la taxe d’aéroport de 4000 Francs CFA qui n’existe que dans les pays sans devises convertibles, et les charges fiscales sur les immatriculations de voitures. En plus, le pouvoir a imaginé de toute pièce des taxes et cotisations spéciales: IRPP, extension de la TVA, timbre douanier à 3 %, contribution des fonctionnaires au fond national de retraite (IPRES) qui lui ont rapporté 43 milliards de francs de recettes.

Selon les chiffres officiels du gouvernement lui-même, le déficit budgétaire de l’État a été ainsi ramené de moins 74,5 milliards CFA à moins 28,1 milliards CFA, entre 1980/81 et 1985/86, soit une baisse du déficit de 62 %. Ce résultat a été obtenu par le fait que « le prix à l’importation du riz ayant baissé de 30 %, le prix de vente au consommateur (sénégalais) a été relevé de 63 % dans la période 1981/86 ; de même pour les produits pétroliers, le prix à l’importation du brut ayant baissé de 44 %, les prix de vente à la pompe aux consommateurs (sénégalais) ont été relevés de 50 % dans la même période » (Maktar Diouf). Ainsi par la fiscalité indirecte, la consommation des ménages dans le PIB a baissé de 80,2 % à 77,5 % alors que celle de l’État est restée au même niveau, à 19,9 % du PIB dans la même période 1980/85. Pendant ce même laps de temps, les charges d’intérêt sur la dette extérieure du pays ont augmenté de 300%. Il apparaît dès lors que le trou sans fond de l’économie et des finances publiques sénégalaises est creusé par les deux prédateurs voraces que sont les créanciers impérialistes et le gouvernement débiteur d’Abdou DIOUF, lequel exécute docilement le diktat du FMI et de la BM.

Le maintien à niveau des dépenses de l’État résulte du fait qu’en « 8 ans, 56 ministres et secrétaires d’État ont quitté le gouvernement... un ministre qui quitte le gouvernement continue pendant 6 mois à bénéficier de son salaire et de son logement de fonction ; le nombre de ministres a augmenté … avec des duplications et des chevauchements... En 1983, le nombre de députés est passé de 60 à 120, et le bureau de l’Assemblée Nationale a augmenté de 33 %; en 1986, l’indemnité journalière de mission des grands corps de l’État (ministres, secrétaires généraux...) est augmenté de 33 % « du fait du coût de la vie particulièrement élevé dans certaines régions » (selon le journal officiel, 11/12/86); dans le budget 1988/89, il est prévu une nouvelle mesure de dépenses une somme de 1 milliard 250 millions de CFA pour « relever le taux de chancellerie de nos ambassades (journal officiel, 30/07/88) » (Maktar Diouf, idem). Il faut ajouter les postes de sinécures dans les entreprises publiques et parapubliques spécialement conçus pour les dignitaires de la caste gouvernementale élargie d’abord au PDS et au PIT puis ensuite à la LD/MPT.

Parallèlement, les travailleurs et le peuple vont subir un véritable racket des carnassiers rongeurs que sont l’État semi-colonial et ses créanciers-usuriers impérialistes par le creusement incessant d’un gouffre entre les prix à la consommation et les salaires. Dès 1979, avec les plans d’ajustement « L’indice des prix à la consommation en milieu africain augmente de 7,2 % compte tenu des hausses survenues sur les prix de l’huile (22 %) et du sucre (15 %) »  note Maktar Diouf alors que le salaire horaire n’augmente que de 4,5 %. Dans la période 1980/89, couvrant le PREF et une partie du PAMLT, « le prix du ticket d’autobus augmente de 126 %, le tarif de l’eau de 72,5 %, le tarif du courant de 69,6 % » (Maktar Diouf citant un rapport de la BERG de 1990). Cette accélération de la hausse des prix induit une « baisse du salaire réel de 18 % pour les travailleurs payés au SMIG, de 40 % dans la fonction publique pour les cadres, y compris les enseignants » (idem).

Cette tuerie sociale s’appuie sur l’idée saugrenue, maintes fois reprise en refrain par les promoteurs impérialistes des PAS, selon laquelle « les salaires sont trop élevés au Sénégal compte tenu de la productivité du travail très faible ». Ils sont allés jusqu’à dire avec le cynisme qui les caractérise que « le salaire de base au Sénégal est égal à celui du Portugal, où la productivité est plus élevée ». Ces messieurs bien repus du FMI et de la BM, les yeux braqués sur les maigres salaires des travailleurs de notre pays, et à partir des bureaux feutrés de Washington, Londres, Tokyo, Bonn et Paris, imposent aux valets serviles du pouvoir PS de Dakar que la « masse salariale en théorie de 125 milliards de francs CFA, mais en réalité de 133 milliards CFA, doit être réduite de 25 % en 4 ans » (document de la Caisse Centrale de Coopération Française-CCCF- de 1992). Ces grands seigneurs régisseurs auto-proclamés des affaires du monde menacent de couper les vivres à l’État semi-colonial dioufiste et de lui refuser tout rééchelonnement de sa dette. En effet le pouvoir semi-colonial avait déjà obtenu 9 rééchelonnements de sa dette, ce qui a réduit la part des arriérés de la dette intérieure et extérieure dans les recettes fiscales de l’État sénégalais de 50 % à 35 %. Les gouvernements de collaboration sous la présidence d’A. DIOUF sont complètement esclaves des bailleurs de fonds du fait même de la politique irresponsable d’endettement qui fait qu’aujourd’hui le budget national dépend à 50 % des financements extérieurs.

Même les entreprises nationales ne sont pas épargnées par cette recherche effrénée de recettes fiscales. Le syndicat patronal des industries du Sénégal (SPIDS) note qu’en 1991 « l’impôt sur les sociétés a connu une hausse de 78 %... et sur les 78 entreprises qui la composent, sa contribution fiscale et financière annuelle de 117 milliards CFA » (Wal Fadjiri du 18/08/93) sur un budget total de l’État de 260 milliards CFA en 1991.

Cette pression fiscale de l’État sur les entreprises, surtout à partir de 1989/91, résulte de l’impasse dans laquelle s’est peu à peu trouvée cette hystérie pour les recettes fiscales directes et indirectes sur le dos du peuple et du pays. La CCCF dans son document de 92, signale une tendance à la baisse de la part des recettes fiscales dans le PIB qui de 21 % en 1981 chute à 14 % en 1989. Les recettes fiscales forment 80 % des recettes totales de l’État qui en pourcentage du PIB s’effondrent de 16,8 % en 84/85 à 13,7 % en 89/90. En juin 1991, sur un objectif de 323 milliards CFA de recettes prévues seulement 260 milliards CFA furent réunis. Sur le premier trimestre de l’exercice budgétaire 1990/91, il est enregistré une moins-value de 3,4 % et le cumul des moins-values atteint au long de l’exercice 11,8 milliards CFA.

Il ne s’agit pas là seulement du dépouillement complet des masses laborieuses du pays par une politique qui les a pressurées au point que l’État ne pouvait plus rien en tirer par la fiscalité. C’est aussi que la fraude fiscale organisée par les hommes du pouvoir eux-mêmes fait que « 20 à 30 % seulement des produits importés payaient l’intégralité des droits » (Maktar diouf). Ce que confirme la CCCF qui estime la fraude fiscale au tiers des recettes douanières. L’État semi-colonial n’a pas hésité pour renflouer sa caisse sans fond à prélever des contributions non fiscales. C’est le cas de la Société de raffinage (SAR) qui a été forcée de lui verser 12,5 milliards francs CFA. L’État a encaissé en plus les recettes des privatisations principalement au profit des firmes impérialistes et de l’accord de pêche avec la CEE pour qu’elle continue de piller nos richesses halieutiques. Au bout du compte, malgré ces « trucs » de l’État, cet exercice budgétaire se termine avec 15 milliards CFA d’arriérés, intérieurs, 58 milliards d’arriérés extérieurs et un solde négatif de 19,5 milliards CFA, loin du solde négatif de 5,6 milliards francs CFA fixé par le club de Paris lors du rééchelonnement accordé au gouvernement sénégalais. On se souvient qu'en 1988, le pouvoir dioufiste annonçait un taux de croissance annuel du PIB de 4 % pour la période 87/88. Ce qui lui valut d’être auréolé du label de « bon élève de l’ajustement ». Mais cette fraude fut démasquée par une mission de la BERG qui révisa cette prétention fanfaronne à la baisse. La triste réalité est qu’en 1990, le taux de croissance du Sénégal semi-colonial était de 1,9 % au lieu des 3,2 % annoncés, avant d’avoisiner depuis lors zéro.

LE SÉNÉGAL, UN MARCHÉ DE TRAITANTS, DE COMMERÇANTS ET DE GÉRANTS !

Les PAS, au lieu de l’équilibre et de la relance économique tant chantés, détruisent les différents secteurs de l’économie africaine et notamment sénégalaise. Sur le plan du secteur primaire, la Nouvelle Politique Agricole (NPA) dictée par les institutions financières internationales, a eu une incidence catastrophique avec, suite au désengagement de l’État, la suppression du programme de dotation en machines agricoles des 4472 sections villageoises créées à ce jour. L’État a sacrifié ainsi les sociétés d’encadrement dans le monde rural qui avaient foisonné un moment après la liquidation de l’ONCAD. C’est ainsi que la Société Nationale d’Assistance au Monde Rural (SONAR) et la Société de Terres Neuves (STN) furent dissoutes en 1985 et en 1987. La Société de Développement et de Vulgarisation (SODEVA) devait licencier 75 % de son personnel en 5 ans. La Société de Mise en Valeur de la Casamance (SOMIVAC) et la Société de Développement Agricole et Industrielle (SODAGRI) devaient fusionner et se restructurer en jetant à la rue des pères de famille. La gestion et la vente des engrais et des semences sont passés directement entre les mains des huileries avec l’arrêt des subventions étatiques aux facteurs de production, ce qui multiplie par quatre la charge des paysans. Déjà, avant même la suppression des subventions, seules 10 % des terres cultivées étaient à l’engrais. La propagande gouvernementale selon laquelle « l’agriculture est la priorité des priorités » se révèle être un mensonge grossier. La privatisation de l’accès aux intrants dans un pays où, le secteur agricole occupe les 2/3 de la population, soit 61 % de l’emploi (1.438.000 emplois), qui constitue 22 % du PIB (ou encore 23 % PNB dont la pêche 2%, forêt 1%) et 40 % des recettes d’exportation est une grave aberration contre l’intérêt national.

Les conséquences sont une baisse de 25 % des semences sélectionnées, baisse de la couverture des besoins céréaliers de 15 % et la hausse des importations de céréales dont le riz qui passe de 252.000 tonnes en 87 à 317.000 tonnes en 89. En 1989/90, la SONACOS opte pour l’exportation de l’huile brute au détriment de l’huile raffinée dont la production destinée à la consommation locale est réduite de 40 %, ce qui renchérit le prix pour le peuple. La campagne agricole 1990/91 a vu baisser la production d’arachide de 16,8 % pour les huileries et de 3,1 % pour l’arachide de bouche. Le marché de l’arachide a subi un déficit de 7 milliards CFA en 1992. La production de coton s’est accru de 36.000 tonnes, donc une hausse de 22,9 % en 1990/91 par rapport à 1989/90. Il y a eu accroissement des surfaces cultivées du coton au dépens de l’arachide dont le prix est bas, mais le rendement moyen du coton a baissé et le marché cotonnier a perdu 7 milliards cfa en 1992. La production locale du riz destinée à la consommation des pays impérialistes a perdu 3 milliards cfa en 1992. La production vivrière a chuté de 10,8 % avec pour le fonio une baisse de 29 % et pour le mil une baisse de 11 %. Au total la CCCF, dans son rapport de 1992, note un déficit céréalier au Sénégal de 90.000 tonnes en 1991. Autant dire que le pays s’achemine tout droit vers la famine et connaît déjà la disette. La campagne est dorénavant mise sous la coupe de la banque agricole (CNCA) qui pratique des taux d’intérêt usuriers de 15 %.

Ce désastre criminel résulte de la NPA dont le but est, selon la CCCF « le rééquilibrage général du secteur agricole pour dégager des excédents au profit de l’État ». Pour réaliser ces « excédents au profit de l’État », les bailleurs de fonds (France, BM, FMI, CEE, USAID) ont imposé au gouvernement PS-PDS-PIT de 1992, l’adoption d’une « déclaration de politique de développement agricole » (DPDA) qui conditionne un prêt d’ajustement sectoriel agricole (PASA) qui se fixe comme objectif « la privatisation de la filière arachidière et l’augmentation du prix du riz à la consommation » (idem CCCF 92).

La nouvelle politique industrielle (NPI) et la situation de l’emploi sont un autre aspect catastrophique des PAS. Le démantèlement à partir de 1986 des protections tarifaires devait entraîner la faillite de pans entiers de la fragile industrie sénégalaise, notamment dans le textile, les cuirs et les peaux avec une perte de plus de 5000 emplois. C’est la logique libérale du FMI et de la BM du désarmement tarifaire, de la déréglementation, la concurrence et le désengagement de l’État qui débouchent ensuite sur la privatisation des participations de l’État dans les entreprises publiques et parapubliques et à la liquidation du code du travail. Au milieu des années 80, le nombre de chômeurs était estimé à 20 % de la population active alors que le marché de l’emploi s’accroît chaque année de 70.000 à 100.000 nouveaux candidats par suite de leur exclusion du système scolaire. Le secteur industriel contribue pour 20 % du PIB, alors que le salariat ne concerne au Sénégal que 5,22 % de la population active. Selon la Banque mondiale, le nombre de chômeurs diplômés varie entre 3.000 et 5.000 par an. Déjà entre 1971 et 1981, période antérieure à la NPI, 1.787 emplois permanents et 50 % des effectifs saisonniers ont été perdus.

Le recrutement dans la fonction publique dont l’effectif augmentait de 5 % par an, était le recours pour atténuer ce fléau mortel qu’est le chômage. Mais avec les PAS de janvier 1981 à janvier 1989, près de 20.000 emplois furent sacrifiés sur l’autel des exigences libérales du FMI et de la BM, soit 14 % de la population salariée. Il est prévu de mettre au chômage le tiers des effectifs de la fonction publique. Il y a plus d’une centaine de médecins au chômage. Pourtant, seuls 12 ont été recrutés pour remplacer 22 partants (décès, retraite, « départs volontaires »). Alors que la norme fixée par l’OMS est d’un médecin pour 3.000 habitants, le Sénégal ne compte qu’un médecin pour 50.000 habitants. Le budget de la santé depuis les indépendances n’a jamais dépassé 6 % du budget total. De 1980 à 1988, « pour 10.000 habitants, le nombre de lits d’hôpitaux est passé de 7,7 à 6,6 ; le nombre de médecins de 4,9 à 3,5. Le nombre d’infirmiers publics de 3,2 à 1,7 » (Ministère de la santé publique, 1988 , cité par Maktar DIOUF). Le nombre de médecins a chuté de 7,1 pour 1000 en 1970 à 5,2 pour 1000 en 1990, alors que les dépenses par habitant pour la santé, en moyenne de 815 CFA en 1970, s’effondrent à 384 CFA en 1990.

L’éducation et la formation n’échappent pas non plus au naufrage en cours : « De 1981 à 1990, la part de l’éducation dans le budget est restée à peu près constante (23 % au maximum). Dans le même temps, le taux de scolarité des enfants de 7 à 12 ans progresse de 12 points » indique Maktar DIOUF. Paradoxalement le taux horaire hebdomadaire par élève est tombé en moyenne de 28 heures à 20 heures. Cette chute est due à l’introduction des « classes à double flux » et des « classes multigrades » imposées par la BM dans le but de réduire le coût unitaire de la dépense en éducation. Ainsi selon Maktar DIOUF, citant des spécialistes de l’enseignement élémentaire, « l’école élémentaire au Sénégal remplit actuellement davantage une fonction de simple alphabétisation, qu’une fonction d’instruction ». Cet avis est partagé par de nombreux spécialistes. En fait, l’école reflète le creusement d’un gouffre entre les riches et les pauvres du Sénégal. L’école publique est désormais réservée aux pauvres. Les riches envoient leurs enfants au privé si ce n’est carrément en Europe ou aux États-Unis.

Cette polarisation de classes n’est pas le fait du hasard. Examinons de près l’Université de Dakar. Signalons tout d’abord que seuls 2 % d’une classe d’âge accèdent au Sénégal à l’enseignement supérieur. La capacité d’accueil de l’Université de Dakar est de 3.500 étudiants ; aujourd’hui elle compte 25.000 inscrits. Le Monde du 7 janvier 1993 nous apprend que le taux d’échec en première année est de 87 %. Le département d’économie compte 6.000 étudiants. Le manuel de base en économie à la bibliothèque universitaire date de 1979. Le nombre d’exemplaires est de 27 pour l’ensemble des étudiants du département. Alors que la norme internationale de la part du budget des universités pour l’achat de livres est de 5 %, celle-ci est de 0,6 % à Dakar.

Pour ce qui est du département de géographie, le budget de fonctionnement (hors salaires) est de 1,5 millions de Francs CFA. Cela représente le financement d’une classe de neige (durée moyenne de 8 jours) d’un collège français. Par ailleurs le rapport de la Berg indique que « les dépenses publiques réelles par habitants pour l’éducation et la santé ont stagné dans la période de 1980 à 1985, avant de baisser de 25 % dans la période de 1985 à 1989 » (cf. Maktar DIOUF cité plus haut)). Une des conséquences graves est que « le nombre de publications des chercheurs sénégalais est resté inchangé entre 1975 et 1985, alors que les chercheurs sont deux fois plus nombreux » (in Le Monde du 07/01/93).

Le massacre va se poursuivre par l’intermédiaire du programme de la BM appelé « programme de développement des ressources humaines » (PDRH 1 et 2). L’idée de base est définie comme suit : « l’État (sénégalais) doit disposer de ressources extérieures moindres, une partie sensible du financement des programmes incombera aux populations bénéficiaires, qu’il s’agisse de la santé (réduction de la liste des médicaments essentiels, participations populaires au fonctionnement des formations sanitaires) ou de l’enseignement » (cf. Caisse Centrale de la Coopération Française, document 92). Et « la nouvelle loi de décentralisation qui transfère aux communautés rurales d’importants pouvoirs auparavant détenus par l’appareil exécutif, offre un cadre intellectuel et institutionnel à ces programmes largement imprégnés de l’idée de régionalisation » (idem). En clair, cela signifie que dans un avenir proche, l’État sénégalais est invité à se débarrasser partiellement voire totalement de l’enseignement et de la santé. Les dépenses afférentes à ces postes seront dès lors à la charge des régions et des populations. Ce processus est l’essence même de la « régionalisation » tant vantée par Abdou DIOUF lors de la dernière campagne électorale. Belle manière, en effet d’alléger le budget de l’État pour l’orienter vers le paiement des exigences mafieuses des financiers impérialistes.

Diagne Fodé Roland

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