Entre espoirs et fragilités

La vallée du fleuve Sénégal, de Podor à Richard-Toll en passant par Matam, est aujourd’hui au cœur des enjeux économiques et sociaux du pays. Ce vaste espace, irrigué par les eaux du fleuve, abrite une population de plus de deux millions d’habitants, répartie entre la région de Matam qui compte environ 830 000 habitants et celle de Saint-Louis avec près de 1,2 million. Dans le seul département de Podor, on dénombrait près de 486 000 habitants en 2023. Mais derrière ces chiffres de croissance démographique se cache une réalité marquée par la pauvreté : plus de la moitié des ménages sénégalais vivent encore dans une situation de pauvreté multidimensionnelle, et la vallée figure parmi les zones rurales les plus vulnérables.
L’économie locale repose largement sur l’agriculture irriguée et quelques grands pôles industriels. Autour de Richard-Toll, la Compagnie Sucrière Sénégalaise exploite plus de 12 000 hectares et produit chaque année plus de 140 000 tonnes de sucre, faisant de cette entreprise l’un des plus grands employeurs de la région. Plus en amont, les périmètres villageois consacrés à la riziculture participent à l’ambition nationale de souveraineté alimentaire : la production de riz paddy a atteint plus d’un million de tonnes en 2023, une part importante provenant des plaines irriguées de la vallée. Pourtant, les petits producteurs restent confrontés à la cherté des intrants, à la difficulté d’entretenir les canaux et à des rendements souvent insuffisants. À ces contraintes s’ajoute le commerce transfrontalier avec la Mauritanie, vital pour l’économie des marchés locaux, mais fragilisé par les fluctuations climatiques et les barrières douanières.
Le changement climatique rend ces fragilités encore plus visibles. En novembre 2024, la vallée a connu des inondations exceptionnelles qui ont submergé des dizaines de milliers d’hectares et affecté des centaines de milliers de personnes. Les cultures détruites ont plongé de nombreux ménages dans l’insécurité alimentaire. Les habitants savent désormais que la moindre saison pluvieuse hors norme peut anéantir des mois de travail.
Le secteur de la santé, lui, illustre les progrès accomplis mais aussi les insuffisances persistantes. De nouveaux centres et postes de santé ont vu le jour, et l’hôpital départemental de Podor a bénéficié de certains équipements modernes. Pourtant, l’offre reste limitée : faute de médecins spécialistes, les cas compliqués sont souvent transférés à Saint-Louis ou à Dakar. La nutrition demeure un défi majeur : à Matam, la malnutrition touche plus d’un enfant sur dix, un taux supérieur à la moyenne nationale. Les maladies liées à l’eau, comme le paludisme ou la bilharziose, continuent également d’affecter les communautés riveraines.
La vallée du fleuve Sénégal demeure ainsi une région stratégique, capable de nourrir le pays et d’offrir des emplois, mais exposée aux vulnérabilités sociales et climatiques. Pour transformer ce potentiel en richesse durable, il faudra plus qu’un fleuve et des terres fertiles : des politiques publiques ambitieuses, un meilleur accès aux intrants agricoles, une prise en charge sanitaire renforcée et des infrastructures résilientes face aux aléas climatiques. C’est à ce prix seulement que la vallée pourra devenir non pas un simple grenier saisonnier, mais un véritable moteur de développement pour le Sénégal.
Moussa Ba
Assistant de Recherche