L’Opposant Abdoulaye WADE inspire des alliés
L’histoire politique récente du Sénégal peut être organisée suivant trois sortes de cohabitation de grands partis politiques dans un gouvernement de coalition. Ces formes de cohabitation sont rattachées à leurs époques respectives marquées par les présidences sous Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall.
Ces trois cohabitations ne se ressemblent guère sur le plan des enjeux politiques, des objectifs visés et des stratégies déroulées. Aussi, la maturité politique et le niveau de démocratie ont-ils influé considérablement sur les rapports entre partis politiques des différentes mouvances présidentielles. Malgré cette différence sur la forme et le fond, il existe un phénomène constant qui a caractérisé les trois formes de cohabitation historique de l’histoire politique du Sénégal. Il s’agit de l’ébullition de l’environnement politique, due dans une large mesure à des polémiques entre partis de la mouvance présidentielle. La problématique réside en général dans la gestion des affaires de l’État. Les parties prenantes ainsi que leurs leaders respectifs sont parfois en contraste, compte tenu de leurs idéologies politiques, leurs visions et leurs tempéraments.
Ainsi, là où le parti majoritaire au pouvoir réclame plus de solidarité, les autres partis tiennent à leur liberté d’expression et à leur originalité politique. Ce choc est d'autant plus amplifié, lorsque les enjeux et objectifs visés ont uniquement un soubassement purement politicien dans lequel l’intérêt du parti importe le plus : le parti avant la patrie. Dans ce cas, toutes les stratégies développées tendent à créer des conditions défavorables de coexistence à l’intérieur d’un même gouvernement. Cette posture du ''faux allié'' qui incarne le ''parti avant la patrie'', a été longtemps entretenue et défendue par la plupart de nos grands leaders politiques historiques ; ces derniers ayant beaucoup versé dans le deal et la sournoiserie politique. Le plus en vu de l’après Senghor, dans cette catégorie, est sans doute le Prédisent Me Abdoulaye Wade. Ce dernier a véritablement marqué l’histoire tout au long de sa carrière politique.
Dans sa phase d’opposant, puis en temps que Président, Me Wade a développé les stratégies les plus inouïes, ce qui lui a valu le sobriquet de ''bête politique''. Il a à cet effet, usé de beaucoup de tacts pour motiver ses entrées/sorties dans le gouvernement d’Abdou Diouf et pour contraindre Moustapha Niasse et les autres alliés à sortir de la mouvance présidentielle née de la première alternance démocratique du Sénégal. Aujourd’hui encore, dans sa phase de ''retraite politique'', Me Abdoulaye Wade continue d’inspirer jusqu’au sein de la nouvelle mouvance présidentielle dirigée par le Président Macky Sall. Des partis alliés tentent d’appliquer la démarche ''wadienne'' que nous tenterons de caractériser dans la suite du texte. En somme, Me Wade demeure une constante dans les trois formes de mouvance présidentielle. C’est pourquoi, dans l’histoire politique de notre pays, dans son aspect le plus sournois, les trois premières ''ères'' de l’après Senghor peuvent être intitulées : ''Avec l’Opposant Wade'', ''Avec le Président Wade'', ''Après le Président Wade''. L’ère ''Avec l’Opposant WADE'' est caractérisée par des entrées/sorties dans le gouvernement d’Habib Thiam, mais aussi par une effervescence politique marquée par des échanges de propos très durs entre le Parti Socialiste au pouvoir et le PDS. L’élargissement de la mouvance présidentielle au PDS s’inscrivait dans une logique d’apaisement et de désamorçage de crises politiques et sociales qui s’étaient installées dans le pays et dont Me Wade n’aurait pas été étranger.
La première entrée de Me Wade en 1991 faisait suite à la crise née de la présidentielle de février 1988 qui avait consacré la réélection d’Abdou Diouf avec 73,20% des voix. Des émeutes avaient éclaté à Dakar et dans les principales grandes villes. Un état d’urgence a été instauré et Me Wade a été accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et condamné à un an d’emprisonnement avec sursis pour ''provocation d’un attroupement non armé''. La deuxième entrée en mars 1995 a été réclamée par Me Abdoulaye Wade et le PDS, au regard des stratégies qui ont été déroulées auparavant. En effet, en fin manœuvrier politique, après avoir créé une alliance dénommée "Bokk Sopi Sénégal" avec l’AJ/PADS et le MSU, Me Wade avait proposé une "concertation nationale" qui devrait déboucher sur "un programme national d'actions, précis et cohérent, confié à un gouvernement de consensus pour une durée à convenir". Cette manœuvre politicienne a été d’ailleurs démasquée par une frange de l’opposition. Le Professeur Iba Der Thiam, Président de la CDP, considérait que cette ''concertation nationale'' était un gadget pour masquer l'entrée au gouvernement d'une fraction de l'opposition ; et Madior Diouf, secrétaire général du RND avait renchéri : "Nous ne cautionnerons pas une concertation qui donne seulement bonne conscience pour aller au gouvernement.
" A côté de ces entrées dans les gouvernements d’Habib Thiam, les démissions de Wade et du PDS ont toujours été fracassantes. La première en août 1992 a été sous le prétexte de la nécessaire candidature de Wade à la Présidentielle de 1993. La seconde était survenue à deux mois des élections législatives du 24 mai 1998. Me Wade avait annoncé que son parti quitte le gouvernement des socialistes, suite à une décision du Congrès du PDS tenu en mars de la même année. Cependant, il importe de rappeler qu’il y a eu toujours des signes précurseurs à ces démissions du Maître. L’extrait ci-après, tiré d’une archive de ''Afrique Express'' permet d’illustrer cet état de fait : [''Lors d'un récent meeting à Dakar, le premier secrétaire du PS, M. Ousmane Tanor Dieng, a dénoncé "le double jeu" de certains partis, parmi lesquels le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) d'Abdoulaye Wade, principal parti d'opposition qui fait partie du gouvernement.'' "Certains membres du gouvernement de la majorité présidentielle élargie approuvent les actions du gouvernement en conseil des ministres le mardi et les dénoncent le mercredi. S'ils persistent dans cette attitude de double jeu, ils devront choisir de quitter le gouvernement, sinon nous les ferons sortir", a déclaré M. Dieng... Le PDS a répliqué à ces attaques à travers une déclaration du président de son groupe parlementaire, Abdoulaye Faye … le PDS avait choisi de rester dans le gouvernement, tout en gardant son originalité politique''.]
Dans ce même registre de polémique, il faut noter les vives attaques lancées par Me Wade, Ministre d’État, contre le Premier Ministre Habib Thiam. Me Wade déclarait qu'il n'accepterait "pas de leçons de comportement" de la part de M. Thiam. En outre, il accusait ce dernier soit "d'ignorance", soit "d'incompétence", dans la cadre du Fonds de Promotion Économique (FPE) administré par le cabinet du Premier ministre. Me Wade dénonçait en effet des erreurs qui auraient été commises dans la gestion de ce fonds. En résumé, la démarche de l’Opposant peut être décrite comme suit :
Les enjeux et objectifs : Aller seul aux élections, tout en disposant de moyens financiers et matériels nécessaires, accumulés à partir de la gestion des affaires de l’État.
Les stratégies : (i) Créer un malaise profond pour déclencher l’explosion, (ii) faire adosser la rupture aux autres et se faire passer comme la victime, (iv) donner l’impression d’être dans l’obligation de quitter.
La tactique : (i) Affirmer un manque de solidarité vis-à-vis du gouvernement en attaquant publiquement ses décisions, (ii) mettre publiquement le gouvernement en garde, (iii) soulever l’ire des alliés, (iv) affronter publiquement le Président ou le Premier Ministre, (v) remettre en cause les accords précédemment signés, (vi) imposer de nouvelles règles sachant d’avance qu’elles ne pourront être acceptées. S’agissant de l’ère ''Avec le Président Wade'', elle est marquée par la cohabitation tout à fait originale par rapport aux précédentes, entre le PDS et l’AFP. Cette cohabitation a été scellée dans l’entre deux tours de la Présidentielle de 2000.
La cohabitation Wade/Niasse a été également pénible. Très tôt, des divergences de vues entre les deux hommes et leurs formations politiques respectives étaient survenues, favorisant ainsi des déclarations au ton de polémique entre partis de la mouvance présidentielle. La polémique s’était intensifiée suite au limogeage de Amath Dansokho de son poste de Ministre de l’Urbanisme et de la supposée solidarité de l’AFP à son égard. Modou Diagne Fada, Ministre de la Jeunesse et porte-parole du PDS à l’époque, était intervenu pour indiquer la porte de sortie aux contestataires. Il disait, entre autres, que la seule solidarité qui vaille à l’égard du ministre limogé est de le suivre hors du gouvernement. En réponse à la sortie de Diagne Fada, Me Abdoulaye Babou, porte-parole de l’AFP, déclarait que tout était entre les mains du Président Wade à qui il appartenait la décision de garder ou non son Premier ministre Moustapha Niasse ; ce dernier n’étant pas demandeur du poste et n’en faisant pas une fixation. La rupture était inévitable disait-on. Ainsi, à quelques mois des élections législatives de 2001, le Premier Ministre Moustapha Niasse fut démis de ses fonctions. Plus tard, d’autres partis de la coalition furent éjectés du gouvernement pour raison de manque de solidarité selon le PDS. Ces partis avaient reprochés à Abdoulaye Wade d’avoir totalement dévié de la trajectoire initiale.
En ce qui concerne l’ère ''Après le Président Wade'', je ferais l’économie de rappeler la forme et les fondements de cette nouvelle cohabitation. Cependant, la polémique n’a pas tardé à s’installer au sein de la mouvance. De même, des manœuvres politiciennes sont en trains d’être déroulées par des partis alliés. Le ''Wade Opposant sans Wade'' s’installe petit à petit, malgré la rupture tant préconisée, malgré la volonté du Président Macky Sall d’ancrer l’éthique dans la politique et dans la gestion des affaires publiques. Il y a d’abord la sortie de Rewmi qui avait installé un certain malaise, poussant à des échanges de propos acerbes entre militants de l’APR et ceux de Rewmi ; et allant jusqu’à faire réagir d’autres partis alliés, ceux-là appelant à plus de sérénité et de solidarité. Il y a également la nouvelle sortie d’Idrissa Seck, Président de Rewmi, relatée par L’Observateur en ces termes : ''Je reçois beaucoup de jeunes de l’UJTL ou de simples libéraux… Aux termes de ces opérations, je saurais ce que je pèse politiquement. Si je m’évalue à 30%, c’est le pourcentage de siège que je demanderais à mes pairs à la conférence des leaders. Les résultats de la présidentielle 2012 ne doivent pas être un baromètre pour se partager les sièges si on décide d’aller ensemble aux élections locales. Je ferais des sondages pour connaître l’offre politique''.
Ousmane Tanor Dieng, Premier secrétaire du PS, emboîte le pas à Idrissa Seck. Il déclare selon L’Observateur du 25 février : ''Le PS ne sera pas sacrifié aux locales pour sauvegarder une coalition.'' Et enfin, entre autres, Me Aïssata Tall Sall tente de réinstaller une nouvelle polémique en traitant Mor Ngom, Directeur de Cabinet du Président Macky Sall, d’avoir fait preuve d’immaturité politique parce que ce dernier aurait tenté de reprendre des propos de Ousmane Tanor Dieng puis de Modou Diagne Fada, en disant à certains responsables de partis alliés de se taire ou de partir. Auparavant, il y eu la démission fracassante et inélégante de M. Malick Gakou, ex-Ministre du Commerce, mais aussi des sorties parfois maladroites de certains responsables de l’APR. Et pourtant, malgré toutes ces controverses et tentatives de sabordage, le Président Moustapha Niasse et le Président Macky Sall dans une large mesure parce que fidèle au principe de ''patrie avant le parti'', tentent tant bien que mal de sauvegarder et pérenniser le ''Benno''. La dernière manœuvre positive date du mardi 25 février, à travers l’audience que le Président de l’APR a accordé à M. Ousmane Tanor Dieng, dans l’optique de remettre en selle la coalition.
En définitive, compte tenu de l’enjeu politique du Benno Bokk Yaakaar, une gouvernance plurielle dans une collaboration parfaite avec toutes les forces vives de la nation, et ceci pour le redressement économique de notre cher pays, j’ose affirmer qu’il n’y a pas encore péril en la demeure ; le semblant d’effervescence doit être étouffé dans l’œuf et dans les plus brefs délais. Que ceux qui ensablent arrêtent tout simplement leurs manœuvres, et qu’ils refusent la mauvaise influence de celui-là qu’ils ont chassé du pouvoir en mars 2012 de manière historique. En effet, la ''déwatisation'' doit être totale, une nouvelle approche de la politique doit s’installer dans nos cœurs et dans nos esprits, celle qui prône l’injection des valeurs morales d’antan du type ''senegalensis'' dans nos comportement de politicien et dans la gestion des affaires de l’État : ''ngor'', ''diom'', ''foulleu'', ''fayda'', ''dëggu''. Le véritable développement de notre cher pays en dépend. A ce titre, l’équipe type pilote, capable de mettre fin aux injustices sociales, d’asseoir des bases économiques solides pour le développement, d’atteindre une productivité développante, et de garantir la paix, la stabilité, la sécurité et l’intégration régionale, est celle qui croit dans son ensemble, à ''la patrie avant le parti'' et à ''la patrie avant soi-même''.
Par François NDONG, Ingénieur Informaticien, Coordonnateur de Projet,
Coordonnateur de la CCR du département de Guédiawaye