Publié le 2 Aug 2013 - 01:40
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La traque dans l’impasse ?

La traque des biens mal acquis serait dans l'impasse, du moins en ce qui concerne le principal suspect Karim Wade auquel la procédure déclenchée avec fracas par le procureur de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI) imputait la propriété ou l'action majoritaire de Dubaï Port World. La demande de levée de l'administration provisoire, quel que soit le contenu que lui donne les différents protagonistes, est une pantalonnade. Ladite traque est bien un acte politique que le pouvoir d’État a assumé en réactivant la défunte Cour de répression de l'enrichissement illicite. Le dévoiement de la justice en la circonstance ne se trouve pas tant dans l'implication du chef de l’État et de son ministre de la Justice dans l'une quelconque des procédures mais dans la polémique stérile et manichéenne instaurée par les cadres du parti au pouvoir qui anticipent sur le procès en plaidant à charge. Cette dérive logomachique suggère que l'institution judiciaire serait un instrument de neutralisation d'un adversaire politique qui peut se révéler dangereux. Mais voilà que l'enquête s'égare hors des miasmes de la politique partisane et débusque un haut fonctionnaire.

Ce haut fonctionnaire, ancien Directeur du Cadastre, parti récemment à la retraite, serait plus riche de son propre patrimoine que les trois chefs de l’État qui se sont succédé au pouvoir depuis l’indépendance et qui, lors de leur retraite du pouvoir, n’avait pas de gîte à la hauteur de leur statut. Pour ses collègues contemporains, l’accumulation de cet impressionnant patrimoine foncier relève d’abord d’un contournement subtil et multiple des règles d’attribution de terrains et maisons. Et ensuite d’une inexplicable boulimie qui a profité du sort fait par la loi sur le domaine national au foncier dakarois mis à la disposition, pour leur distribution, des fonctionnaires du Cadastre alors que dans les autres localités, les terres sont aliénées par les ressortissants. L’enquête s’est donc emballée avec la mise en demeure de Tahibou Ndiaye : les politiciens de l’ancien régime n’ont plus le monopole de la turpitude et en plus de l’accaparement autoritaire des libéraux déchus, la prévarication des fonctionnaires qui a traversé trois régimes, est en ligne de mire.

L’implication du concessionnaire Derwiche du Comptoir commercial sénégalais (CCS) dans ce dossier relève de pratiques coupables entre l’administration du Domaine national et la bourgeoisie d’Affaires dont celle libanaise est la plus encline au compromis avec les lobbies de fonctionnaires véreux. Et l’évocation par le cujus de son assiette foncière assez grande sur l’espace de ses activités devrait selon lui le préserver de ''verser dans certaines malversations''. Le même Derwiche est cependant impliqué, malgré son assiette foncière conséquente, depuis près de 30 ans dans un dossier domanial où avec l’entregent complice du célèbre avocat Maître Doudou Ndoye, il bloque une décision de justice lui enjoignant de restituer l’immeuble sis 20, rue Emile Badiane aux héritiers de Khala Guèye et consorts. L’avocat en question a en charge la Commission de la Réforme foncière que lui a confiée sans précaution préalable un président Macky Sall sans doute captivée par sa faconde.

Or, le foncier sera l’enjeu majeur s’il ne l’est déjà de la controverse politique, économique et sociale de cette période de Macky Sall. La première préoccupation du président nouvellement élu en 2000 avait été, raconte-t-on, de se faire instruire par le Directeur des Domaines des réserves foncières disponibles dans la région de Dakar. Ainsi plusieurs comparses de l’ancien régime ont été impliqués sans conséquence judiciaire à ce jour dans une vaste entreprise d’accaparement de cette assiette foncière. Celle supposée être au profit de Pape Diop et Mbackiou Faye et concernant la bande verte, un terrain concédé au Khalife général des Layènes, s’est quasiment déroulée sous mes yeux quand des ouvriers élevaient un mur d’enceinte sur les lieux sous la protection des camions de la Légion d’intervention de la gendarmerie (LGI). La vive résistance opposée à l’entreprise amènera au retrait des forces de gendarmerie. Il reste que pour les buts de l’opération, les numéros des titres fonciers ont été falsifiés par des agents des services domaniaux qui courent toujours.

S’il faut en croire l’étude consacrée au foncier dans ''Sénégal 2000-2012, Les institutions et politiques publiques à l’épreuve d’une gouvernance libérale'' par le sociologue Oussouby Touré, la climatologue environnementaliste Fatou Planchon, les chercheurs Ibrahima Sylla et Sidy Mohamed Seck, la réactualisation de la loi sur le domaine national est une nécessité sur laquelle s’accordent tous les acteurs. Mais constatent-ils, ''celle-ci tarde à se faire, faute de volonté politique''. L’inertie qui en découle favorise les pratiques dévastatrices des ressources naturelles, empêche la modernisation des exploitations familiales et l’accroissement d’une production qui reste en deçà de la demande alimentaire en hausse d’une population de plus en plus urbanisée. Au surplus, ce cadre législatif mal défini est propice à l’accaparement des terres par des investisseurs privés dans un contexte de ''libéralisme débridé''. Car si le décret n° 72-1288, article 3 dispose que les terres d’une communauté rurale ne peuvent être affectées qu’aux ressortissants de cette communauté rurale, la pratique usitée est que les conseils ruraux ont distribué des terres à des citoyens sénégalais d’origines diverses et même à des étrangers.

Ce constat suppose que le pouvoir de Wade ait encouragé pareille pratique dans le but d'attirer l'agro-business. Ne suivait-il pas en fait un certain esprit d'ouverture des sociétés traditionnelles envers ''l'étranger'' que ce soit l'instituteur, l'administrateur ou le voyageur tenté parfois d'y prendre femme. Le mal a été pour les libéraux de planifier à large échelle et pour leur compte, l'accaparement de toutes les richesses du pays devenues ainsi des moyens de recrutement de cadres et d'implantation partisane. Ce qui explique que toutes les cohortes des contrôleurs, des vérificateurs et des inspecteurs généraux n'aient jamais pu réellement épingler les fonctionnaires véreux le plus souvent rendus dociles et malléables par leurs indélicatesses sues et tues. Comme l'actuel chef de l’État partage ce passé commun avec ses adversaires du moment, la vraie question reste de savoir : si une année ne suffit pas pour juguler la corruption comme le soutient le ministre de la Promotion de la bonne gouvernance, un quinquennat suffirait-il pour réussir la traque des bien mal acquis ?

 

 

 

 

Section: