Quand l’urgence devient méthode

Le Sénégal traverse une séquence politique où l’urgence n’est plus l’exception, mais la méthode. En moins de deux semaines, un remaniement ministériel a redessiné les équilibres du pouvoir, une session parlementaire extraordinaire a été convoquée pour faire passer trois lois majeures à la hâte, et un appel à l’épargne de la diaspora s’est esquissé sans débat public.
Ce n’est pas le rythme qui inquiète, c’est le silence qui l’accompagne.
Ce n’est pas la réforme qui dérange, c’est la manière dont elle s’impose.
Quand les institutions accélèrent sans explication, quand les lois structurantes sont votées sans audition, quand la diaspora est sollicitée sans garantie, il ne s’agit plus de gouverner : il s’agit de colmater.
Cette tribune n’est pas une alerte. C’est un rappel.
Un rappel que la démocratie ne se mesure pas à la vitesse des lois ou des décrets, mais à la qualité du débat.
Un rappel que l’urgence ne doit jamais devenir un alibi.
Le remaniement : un glissement silencieux du pouvoir
Le 6 septembre, le Sénégal a changé de visage sans le dire. Trois ministères régaliens, Justice, Intérieur, Affaires étrangères, ont été confiés à des proches du Premier ministre Ousmane Sonko. Exit les profils techniques, place aux fidèles.
Ce n’est pas un rééquilibrage, c’est une bascule. Le président Diomaye Faye, jusque-là garant d’une certaine retenue institutionnelle, semble céder du terrain à une logique partisane. Le “Sonko 2” n’est pas une rumeur, c’est une architecture.
Dans cette architecture, la technocratie devient variable d’ajustement. L’Économie, les Finances, le Commerce, l’Agriculture : des ministères stratégiques confiés à des profils sans ancrage politique fort. Comme si la gestion pouvait se faire en silence pendant que le pouvoir réel se redéploye ailleurs.
Le 10 septembre, un décret convoque l’Assemblée nationale en session extraordinaire. Trois lois sont à examiner en procédure d’urgence, à quinze jours de la session ordinaire.
Pourquoi cette précipitation ? Pourquoi court-circuiter le calendrier républicain ?
Les textes en question ne sont pas anodins :
Le nouveau Code des Investissements redéfinit les règles du jeu économique.
La révision du Code général des Impôts touche directement les PME, les ménages
Les joueurs et les transferts d’argent. La loi RUTEL rétablit les taxes sur les téléphones, avec un impact direct sur l’accès au numérique.
Ce sont des lois de fond. Elles méritent débat, audition et contradiction, pas un sprint législatif.
Trois lois, trois angles morts
Code des Investissements (n°16/2025)
Objectif : séduire les investisseurs.
Mesures : digitalisation des procédures, élargissement des secteurs éligibles, incitations fiscales.
Questions : Qui contrôle l’attribution des agréments ? Qui garantit que le foncier ne sera pas capté par les puissants ?
Révision du Code général des Impôts (n°17/2025)
Objectif : mobiliser des ressources internes.
Mesures : taxe de 20 % sur les gains des jeux, retenue à la source pour les joueurs, taxe sur les transferts d’argent, droit de timbre sur les paiements en espèces.
Questions : À force de taxer tout ce qui bouge, ne risque-t-on pas d’asphyxier l’économie informelle ?
Loi RUTEL (n°18/2025)
Objectif : renflouer les caisses et se conformer à la CEDEAO.
Mesures : réactivation des droits de douane et de la TVA sur les téléphones.
Questions : Dans un pays où le mobile est le principal outil d’accès à l’information, n’est-ce pas creuser une fracture numérique ?
Diaspora bonds : entre confiance et captation
Le gouvernement veut lancer des “diaspora bonds” pour mobiliser l’épargne des Sénégalais de l’extérieur. L’idée est séduisante : transformer la solidarité familiale en levier de développement.
Mais attention :
Si les conditions ne sont pas claires, la confiance s’effondre.
Si les rendements sont flous, les transferts familiaux risquent de diminuer.
Si la gouvernance est opaque, c’est toute la relation entre l’État et sa diaspora qui vacille.
La diaspora n’est pas un guichet automatique. C’est une communauté de cœur, de devoir et de mémoire. Elle mérite mieux qu’un appel à l’épargne sans garanties.
Programme de Redressement Économique et Social : un ancrage institutionnel absent
Par ailleurs, le Programme de Redressement Économique et Social (PRES) n’a jamais été présenté à l’Assemblée nationale pour adoption officielle en tant que plan d’urgence. Ce silence remet en cause son ancrage institutionnel et interroge sur la transparence et la bonne gouvernance. Un plan d’une telle importance doit être débattu, audité et validé par les représentants du peuple, faute de quoi il risque de rester un instrument de communication plus qu’un outil structurant de politique publique.
Ce que nous demandons
Que l’Assemblée nationale refuse la précipitation et exige un débat public sur les trois lois.
Que le gouvernement publie les études d’impact et ouvre les auditions aux acteurs économiques et sociaux.
Que la diaspora soit associée à la conception, au suivi et à l’évaluation des diaspora bonds.
Le Sénégal ne manque pas de talents ni d’énergie. Ce qu’il risque de manquer, c’est de méthode.
Quand l’urgence devient habitude, quand le pouvoir se redistribue sans explication, quand la diaspora est sollicitée sans transparence, c’est la démocratie qui s’effrite.
Nous ne demandons pas la perfection. Nous demandons la clarté. Nous ne refusons pas le changement. Nous refusons le flou. Et surtout, nous croyons que le peuple sénégalais mérite mieux que des raccourcis. Il mérite un cap.
Dakar, le 18 septembre
Par Cheikhou Oumar Sy et Theodore Chérif Monteil
Anciens députés