LAMINE NDIAYE, COMÉDIEN
''Nos musiciens, comme nos comédiens, manquent de créativité''
C'est dans le cadre jovial du Just 4 You, où le Xalam se produisait avant-hier mercredi, que nous avons pu coincer le comédien Lamine Ndiaye. L'artiste qui est monté sur scène pour chanter a révélé un aspect de sa personnalité peu connu des Sénégalais. Coincé après le spectacle, il a pu nous dire comment il voyait l'évolution de la musique et du théâtre populaire. Lamine Ndiaye en profite pour rendre hommage à Souleymane Faye qui, avant lui et sur scène, a déclaré que Lamine Ndiaye était son seul et unique ami dans la vie.
Comment êtes-vous entré dans la musique ?
Je ne peux même pas l'expliquer. J'ai commencé avec le groupe ''Khawaaré'' avec Diabel Guèye. Il y avait Sass Dramé et Yoro le jeune frère à Ndiaga. C’était dans les années 70. C'est comme ça que j'ai débuté, j'ai fait quatre ans avec eux, et trois ans avec le groupe ''Sowruba'' de Louga. Ce qui me fait 7 ans d'expérience dans la musique.
Beaucoup de gens ne savent pas cela. Ils ne retiennent de toi que l'image de l'artiste, du comédien.
C'est vrai que les gens ne retiennent de moi que l'image du comédien, donc cela fait un plus pour moi. Et même dans la comédie, il y a une musicalité. Je suis allé faire la musique parce que tout simplement il fallait compléter mon savoir. Et donc c'est ce qui m'a aidé à varier non seulement dans la voix, mais dans le ton et le son aussi.
La musique vous a donc aidé à exercer un autre métier ?
La musique m'a aidé à acquérir beaucoup d'autres connaissances que j'ai retrouvées dans la comédie. Parce que la voix, il faut la manier, il faut que ça ait une harmonie, une mélodie. Et cela m'a aidé à avoir une bonne voix.
Qu'est-ce que ça vous fait d'entendre Souleymane Faye faire un témoignage disant que vous êtes son seul ami ?
Cela me fait plaisir. En fait, je ne peux même pas raconter ce qui se passe entre Souleymane et moi. C'est quelqu'un que j'apprécie, quelqu'un qui est en phase avec moi, avec ce que je voudrais pour l'existence de mon peuple. Parce que Souleymane, il est parabolique. Et en tant que poète, en tant que parabolique, je dis que Souleymane, on ne l'écoute pas. On entend sa voix, mais on ne l'écoute pas. On ne sait pas écouter Souleymane.
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Cela veut dire que dans sa chanson, il parle d'une manière très parabolique et il faut savoir déchiffrer. Les gens qui savent comprendre et qui savent lire, écouter, sentir ce qu'il fait, ils sont rares au Sénégal. Quand il porte sa valise, on l’interprète peut-être mal, alors que lui est en train de définir une chose qui existe dans notre pays mais qui existe aussi ailleurs. Parce que Souleymane ne parle pas qu'aux Sénégalais, il a voyagé. C'est son expérience qui est en train de parler actuellement. Donc, il ne faut pas qu'on le traduise comme quelqu'un qui veut faire, qui a de l'euphorie et qui porte une valise. Non, Souleymane n'est pas comme ça. Moi je sais le comprendre.
Quand je l'écoute, je le regarde en même temps pour savoir ce qu'il nous transmet ; et ça, c'est vraiment beau, ce qu'il veut transmettre. Il est toujours dans l'éveil des consciences, il est toujours dans l'appui des gens qui ont moins de connaissance et qui ne regardent que l'abstrait. Je le félicite en tout cas et je me dis que je suis en phase avec lui et vraiment je l'encourage dans son domaine. Le jour où les gens prendront la peine de le décortiquer, dans tout ce qu'il met dans son message, les attitudes, les aptitudes et l'altitude qu'il cherche toujours, je crois qu'ils tireront alors beaucoup de leçons. On ne lui a pas rendu le tout, en fait. Et, actuellement, c'est l'un des meilleurs musiciens qu'on ai jamais eus.
De manière générale, ne croyez-vous pas qu'il y a une baisse de l'esprit créatif des musiciens ?
Ce n'est même pas une sorte de baisse de la créativité, mais j'estime que nos musiciens, quelque part, aiment beaucoup plus la facilité qu'autre chose. Quand on s'arrête sur deux trois accords et qu'on fasse la musique avec beaucoup de tintamarre, une musique qui n'est pas bien arrangée, une musique dont on entend beaucoup plus le bruit des tam-tams et autres, moi, je n'apprécie pas ce genre de musique. J'apprécie beaucoup plus une musique réglée, qui tire vers le classique, une musique très bien organisée dans sa façon d'être, je me dis que voilà, c'est cela la musique.
Mais quand c'est ce qu'on est en train de faire, les guitares qui se transforment en batterie, tu regardes les batteurs de tam-tam sabar taper et tu te retrouves avec la même musicalité avec les cordophones, pour moi, ce n'est pas de la musique. La musique , elle est recherchée, ce n'est pas des accords qui se collent par rapport à l'intonation de la voix pour définir quoi que ce soit, mais c'est beaucoup plus que ça. C'est rechercher d'abord, pour se coller au vocal de l'individu. Donc je me dis quelque part que nous sommes paresseux, nous aimons la facilité et surtout, on est beaucoup plus commercial qu'autre chose.
Et comment se porte votre milieu naturel, le théâtre ?
Là aussi, c'est la même chose qu'à la musique dont nous venons de parler et c'est dommage pour les jeunes. Le théâtre, que nous connaissons, ce théâtre là, il faut d'abord être beaucoup plus culturel pour comprendre certaines choses, à la limite même, il faut avoir un niveau. Par exemple, quand on te confie un texte qui est très profond et qui renferme des symboles, c'est à l'artiste de le décortiquer. Et s'il n'a pas les moyens de décortiquer ce texte-là, c'est qu'il n'a pas le niveau. Ce qu'on regarde à la télévision, ce n'est pas du théâtre, c'est des téléfilms.
Il y a une faillite de la créativité dans ce secteur...
Voilà, justement. Ils manquent de créativité, car quand on pense comme le chômeur, on se contente de peu. On nous acclame et les journaux font pareil ; et il y a beaucoup de journalistes qui n'aident pas les gens du théâtre. Si bien que quand on voit quelqu'un jouer à la télé, c'est beaucoup plus un acteur qu'un comédien, c'est ça la différence. Et la différence, c'est aussi que l'acteur, il est déjà le personnage, alors que le comédien, on le juge par rapport à ses capacités. Il a appris une technique qu'il peut exercer et transcender quand on lui donne des pièces de théâtre, son rôle, son personnage, la recherche qu'il faut. Parce que quand même un texte est très recherché, il faut l'étudier, et cela passe par la conjugaison, le vocabulaire, la grammaire et l’orthographe ; c'est comme à l'école.
Mais il y a beaucoup de nos comédiens qui ne savent pas ça. Et comme le Sénégalais est de nature parleur, les gens se basent sur cela. Je vous vois jouer, vous êtes là, tranquillement assis, vous parlez, vous parlez. Il n'y a pas d'action, il n'y a absolument rien, même pas une intelligence par rapport au rôle, par rapport au personnage, par rapport au texte qu'on dit, aux dialogues. Moi je suis désolé ; je suis le président national de ARCOS (Association des artistes comédiens du Sénégal) mais, je me dis que il y a encore du travail à faire pour ces comédiens, pour les former. Il faut qu'ils aillent d'abord à l'école apprendre beaucoup de choses pour ensuite venir faire du théâtre. Parce que faire le théâtre n'est pas donné à n'importe qui.
NDEYE AWA BEYE
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