“Ce sont les Hommes et non les pierres qui font les Remparts de la Cité !”- Platon
L’état d’une démocratie peut se mesurer au degré de capacité d’indignation de son opinion et des conséquences politiques qui doivent suivre la mise sur la place publique des méthodes de gouvernance exercées au plus haut niveau de l’Etat. Ici, il s’agit de la gendarmerie nationale, composante essentielle des forces armées sénégalaises, corps d’élite et gardien de la République. Les révélations du colonel Abdoul Aziz Ndaw sont renversantes. Elles font même peur. Elles ne sauraient rester sans suite. Il faut nécessairement que les plus hautes autorités de ce pays prennent la pleine mesure de ce scandale et y répondent de manière appropriée.
Vraies ou fausses, les accusations portées par l’auteur font froid dans le dos… La gravité des faits qui y sont dénoncés, l’ampleur du scandale ainsi révélé et la personnalité des mis en cause font du livre du colonel Ndaw une bombe. Ce brillant officier supérieur a été numéro deux de la gendarmerie nationale ; ancien membre de la direction des services secrets sénégalais. “Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise” dont le tome 1 porte sur “le sens d’un engagement” est sans doute les mémoires les plus explosifs qu’un responsable de notre pays ait eu à écrire.
Les accusations sont étayées par des faits et le sentiment d’avoir échappé à quelque chose de grave habite le lecteur, bien des jours après avoir bouclé le tome 2 -”La mise à mort d’un officier”-, le plus explosif, celui dans lequel l’auteur explique comment la corruption, le népotisme et la gabegie ont gangréné des années durant ce corps d’élite qu’est la gendarmerie. Pire, un patron de la gendarmerie y est décrit comme “un chef de gang”.
Stupeur… Selon le colonel Abdoul Aziz Ndaw, pendant des années, des officiers supérieurs ont entretenu toutes sortes de trafic en collusion avec les indépendantistes du Mfdc ! Le haut commandement de la gendarmerie, selon toujours le colonel Ndaw, a mis en place, entretenu, encouragé et profité de ses positions pour s’enrichir de manière éhontée.
Face aux accusations de l’officier supérieur, beaucoup parmi ceux qui croupissent à la prison de Rebeuss pour détournements de deniers publics sont des enfants de choeur. En raison de la durée de ces prévarications, mais surtout de la position stratégique de leurs auteurs dans notre dispositif de défense nationale.
C’est l’un des plus grands scandales de ces dernières décennies. L’Etat n’est jamais neutre et les hommes qui le dirigent auront toujours des raisons pour justifier l’injustifiable. Le colonel Ndaw accuse : feu Oumar Lamine Badji, qui a donné son nom à la permanence nationale du Pds, sur la Vdn de Dakar, a été assassiné la veille de la Tabaski 2006, chez lui, à Sindia, alors qu’il était président du Conseil régional de Ziguinchor et membre influent de la direction du Pds.
Deux jours après son assassinat, Abba Diédhiou, le premier suspect, militant du Pds, a été arrêté par la gendarmerie. Lors de son transfert à Bignona, “il aurait sauté hors du véhicule qui roulait en vitesse. Grièvement blessé, il succombera de sa blessure». Une telle version des faits est trop légère: N’a-t-il pas été purement et simplement assassiné pour ne pas impliquer d’autres personnalités de la hiérarchie du PDS ? Son corps a été inhumé dans l’anonymat en catimini dans son village natal.
Pourquoi un tel empressement? Sur ce dossier, le colonel Ndaw, d’une plume alerte, pose de pertinentes questions. Dans un autre mouvement de son ouvrage, il explique comment certains généraux s’enrichissent de manière éhontée. Avec force détails, il révèle une tentative de corruption dans un processus d’acquisition d’engins blindés avec le Libanosénégalais Saleh, propriétaire du parc d’attraction “Magic Land” dans le rôle principal. Et que dire des crocs-en-jambe, des fuites de responsabilités, des injustices et de l’impunité décrits par l’ancien barbouze, instructeur des écoles d’officiers et sous-officiers, juriste et chef de guerre, mais avant tout gendarme, son arme, sa fierté.
Qui est cet officier supérieur qui a franchi le Rubicon ? Certes, beaucoup de nos généraux et officiers supérieurs ont écrit. Mais ils restaient muets même s’ils ont presque tout dit de leur carrière. Le colonel Abdoul Aziz Ndaw, lui, pour la première fois, a révélé des vérités crues que l’on n’aurait jamais eu avoir à entendre, tant la gendarmerie est respectée au Sénégal. Mais que faire ? En posant cet acte-édition, le preux officier rend (encore) un inestimable service à son pays.
Les Sénégalais ont pris l’habitude d’intégrer les scandales les plus énormes dans le passif de leur vécu collectif et d’oublier très vite. Au lendemain du naufrage du “Joola” en septembre 2002 avec ses plus de 1800 morts, que n’a-t-on pas dit à propos de la discipline et du respect des règles de protection civile ? La crise économique et sociale à elle seule ne peut expliquer le fatalisme des Sénégalais face au non-Droit et leur abandon de toute résistance devant l’injustice. Les accusations portées par le Colonel Ndaw sont d’une extrême gravité. Il est d’une impérieuse nécessité que la justice se saisisse des scandales dénoncés dans les deux tomes de l’ouvrage. Il faut que justice se fasse !
PAR MAMOUDOU WANE & LAMINE SÈNE