L’éviction de Maurice Kamto, une opposition en miettes et la candidature de trop de Paul Biya

La scène politique camerounaise est en suspens. À moins de trois mois de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, un climat de tensions, de controverses et de frustrations généralisées s’est installé dans le pays. Au cœur de cette nouvelle tempête politique : l’élimination de Maurice Kamto, figure majeure de l’opposition camerounaise, une opposition divisée plus que jamais, et la candidature controversée de Paul Biya, 92 ans, pour un huitième mandat consécutif.
L’annonce de l’invalidation de la candidature de Maurice Kamto a retenti comme une onde de choc dans tout le Cameroun. En 2018, Kamto était arrivé en deuxième position derrière Paul Biya, dans un scrutin marqué par des accusations massives de fraude. Sa candidature pour 2025 semblait évidente. Pourtant, Elecam, l’organe chargé des élections, a rejeté sa candidature, invoquant un conflit d’investiture au sein du parti Manidem, que Kamto avait récemment rejoint, après l’interdiction faite à son propre parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), de présenter un candidat.
Kamto a été écarté au motif que deux candidats avaient déposé leur dossier au nom du Manidem : lui-même, désigné par la direction du parti, et un autre issu d’une branche dissidente. Une situation que le président du Manidem, Anicet Ekane, a dénoncée comme ‘’arbitraire et provocatrice’’. "Nous appelons tous les Camerounais au calme et à la retenue, car pour l'instant, il ne s'agit que d'un but hors-jeu. Ce tacle par-derrière doit être sanctionné par le Conseil constitutionnel".
Kamto n’a pas encore officiellement réagi à cette décision. Il dispose de deux jours pour contester l'exclusion devant les juridictions compétentes.
Une opposition émiettée et désarmée
La disqualification de Maurice Kamto a mis à nu les divisions profondes de l’opposition camerounaise. Au total, seuls 13 candidats ont été retenus sur les 83 candidatures déposées. Parmi les prétendants restants, on retrouve Joshua Osihdu SDF, Cabral Libii, Akere Muna et la maire de Foumban, Patricia Tomaino Ndam Njoya, seule femme en lice. Pourtant, aucun de ces candidats n’émerge clairement comme le leader naturel de l’opposition.
Les tentatives de lier les forces pour faire front commun contre le pouvoir en place se sont systématiquement heurtées à des querelles d’ego, des différends idéologiques ou encore des calendriers personnels inconciliables. Une dispersion stratégique qui risque de favoriser une nouvelle fois la machine électorale du RDPC, le parti au pouvoir.
La candidature de trop ? Paul Biya et le spectre d’un règne perpétuel
À 92 ans, Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a officialisé sa candidature pour un huitième mandat, dans une déclaration publiée à la mi-juillet sur X. L’annonce, qui ressemble mot pour mot à celle de 2018, se veut une réponse aux ‘’appels pressants’’ venus des ‘’dix régions du Cameroun et de la diaspora’’.
Loin de susciter l’enthousiasme, cette candidature est accueillie avec lassitude, ironie ou colère, y compris dans certains cercles proches du pouvoir. Paul Biya n’a plus l’allure du chef d’État actif : absent de la scène publique, il passe l’essentiel de son temps dans son village natal de Mvomeka’a ou en séjour privé à Genève. Son état de santé est régulièrement questionné, tout comme sa capacité à gouverner.
Fissures dans le camp présidentiel
La candidature du président sortant n’a pas fait l’unanimité, y compris au sein du RDPC. Elle a été annoncée sans consultation des instances dirigeantes du parti, un fait inédit qui a provoqué quelques remous internes. Léon Theiller Onana, conseiller municipal, a même engagé une action en justice pour contester la légalité de la désignation de Paul Biya et exiger la tenue d’un congrès extraordinaire du parti.
Dans le même temps, deux anciens ministres, Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari, se sont déclarés candidats, rompant avec leur long soutien au président sortant. Tous deux originaires du nord du pays, région clé électoralement, ils pourraient déstabiliser l’équilibre régional sur lequel repose une partie de l’hégémonie du pouvoir.
Une campagne pilotée en coulisses par Ferdinand Ngoh Ngoh
Alors que Paul Biya se fait discret, c’est Ferdinand Ngoh Ngoh, le puissant secrétaire général de la présidence, qui mène les opérations. Selon ‘’Jeune Afrique’’, il aurait pris la tête d’un comité stratégique informel chargé d’orchestrer la campagne et de mobiliser les ressources du RDPC. L’omniprésence de Ngoh Ngoh laisse entrevoir une transition tacite du pouvoir, même si celle-ci reste non officielle et non assumée.
Un système autoritaire à bout de souffle, mais toujours résilient
Malgré les signes de fatigue institutionnels, le système Biya demeure redoutablement efficace pour neutraliser l’opposition, coopter les élites locales et maintenir une stabilité relative. Le pouvoir fonctionne toujours sur un modèle de redistribution clientéliste, qui assure la loyauté des administrations, de l’armée et de certains groupes communautaires.
‘’Ce système fonctionne par redistribution du gâteau national en termes de postes’’, analyse Roger Nicolas Oyono Mengue, chercheur au Lam. ‘’Cela crée un consensus. Certes, le petit peuple souffre, mais il peut aussi bénéficier de certains systèmes de rente’’.
Cette résilience autoritaire repose aussi sur une stratégie de peur contrôlée, où les contestations sont jugulées, les médias muselés et les opposants souvent emprisonnés ou interdits de parole publique.
Une colère sociale en ébullition
En parallèle, la situation socioéconomique du Cameroun continue de se détériorer. En 2024, l’inflation a atteint 5 %, rongeant le pouvoir d’achat d’une population où 40 % vivent sous le seuil de pauvreté. Le chômage des jeunes atteint des sommets et l’accès aux services de base — eau, santé, éducation — reste profondément inégal.
Malgré une croissance du PIB de 3,5 % en 2024, tirée par les exportations de cacao, de coton et de pétrole, les fruits de cette croissance ne profitent qu’à une infime élite politico-économique.
Sur les réseaux sociaux, la colère gronde. Des vidéos de quartiers sans électricité ni eau potable, des témoignages de jeunes diplômés au chômage et des dénonciations de corruption d’élus alimentent une contestation diffuse, mais croissante. Le risque d’explosion sociale existe, même si l’opposition est trop divisée pour canaliser cette exaspération vers une véritable alternative politique.
Le grand perdant de ce système figé reste la jeunesse camerounaise. Écartée des prises de décision, souvent désillusionnée par une opposition inefficace et un pouvoir verrouillé, elle est tentée soit par l’exil, soit par le retrait total de la sphère politique.
Pourtant, c’est dans cette génération que réside l’espoir d’un renouveau démocratique, si tant est qu’une offre politique crédible puisse émerger.
Un scrutin sans suspense, mais aux conséquences incertaines
L’élection du 12 octobre 2025 semble, à ce stade, écrite d’avance. Le président sortant a tous les leviers en main pour s’imposer une nouvelle fois : machine électorale bien huilée, opposition fragmentée, contrôle des institutions, maîtrise de l’agenda politique et répression ciblée.
Mais à quel prix ? L’exclusion de Maurice Kamto pourrait devenir un élément catalyseur d’une fronde démocratique, en particulier si les institutions de recours comme le Conseil constitutionnel s’alignent sans nuance sur la décision d’Elecam.
Dans un pays au potentiel immense, doté de vastes ressources, mais prisonnier de structures de pouvoir archaïques, l’élection présidentielle de 2025 pourrait être la répétition de trop.
Paul Biya, figure usée d’un pouvoir personnifié, veut continuer à incarner la nation. Mais à 92 ans, la légitimité ne peut plus se décréter, elle se mérite.
L’éviction de Maurice Kamto, la multiplication des candidatures sans cohérence stratégique et la nouvelle aventure présidentielle de Paul Biya illustrent l’impasse démocratique dans laquelle se trouve le Cameroun. Ce cycle de confiscation du pouvoir se perpétue à coups de procédures douteuses, de calculs tactiques et d’un statu quo érigé en dogme.
Alors que le monde évolue, que la jeunesse réclame un avenir, que les inégalités se creusent, le Cameroun semble figé dans un temps politique immobile, gouverné depuis un palais silencieux, par un homme qui refuse de lâcher les rênes et un système qui tient plus de la gestion patrimoniale que de la gouvernance moderne.
Le 12 octobre prochain, le pays votera. Mais votera-t-il vraiment pour son avenir ?
Amadou Camara Gueye