Un Nouveau Monde
Le phénomène du ‘’Mbeuk-Mi’’, qualifié par les Européens d’immigration irrégulière, est devenu un problème central. Les statistiques que les autorités espagnoles ont révélées affirment que les iles Canaries ont accueilli près de ‘’32 000 candidats’’ au voyage en provenance du Sénégal, entre 2022 et la première partie de 2023.
En indexant le nombre de refoulés et de rapatriés, sans compter les disparus en mer, plus de 90 % de ces candidats à l’immigration ne sont pas revenus au bercail. Ceux-ci seraient, donc, restés en terre espagnole ou se seraient introduits à partir de l’Espagne dans d’autres pays européens.
Une première question pourrait être posée à ce stade. L’Espagne semble y trouver son compte avec l’arrivée dite massive de clandestins subsahariens, car à la différence de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie, le pays de Servantes est l’un des rares États européens où les autorités politiques n’érigent pas leur pays en forteresse pour se protéger d’une supposée invasion. À coup sûr, l’Espagne et son économie à travers son agriculture, son industrie et les petits métiers du quotidien tirent un grand profit avec cet apport de main-d’œuvre de jeunes adultes en pleine force de l’âge.
Et là où les autres pays européens se réfugient derrière leur petit doigt pour ne pas reconnaître cette réalité, qui fait bel et bien leur affaire, les Espagnols, sans pour autant être moins racistes et nationalistes que leurs voisins, ne cèdent pas comme le fait l’extrême droite en France, en Italie et en Allemagne à la xénophobie électoraliste en indexant les candidats à l’immigration comme des boucs émissaires de tous leurs maux.
Cela me paraît, donc, illusoire de penser que la résolution du problème de l’immigration qui fait fuir notre jeunesse vers les pays industrialisés n’a sa solution que sous nos cieux. L’exode de jeunes Africains est dû en grande partie à la faillite de nos politiques publiques dans la prise en charge de l’éducation, de la formation et du développement, mais c’est en grande partie, aussi, parce que les pays européens ont besoin de main-d’œuvre à moindre coût et doivent faire face au vieillissement de leur population qui exige de plus en plus d’emplois de proximité avec des auxiliaires de vie, des aidants et autres pour seconder leur population du troisième âge.
Tout comme il faut relever un autre fait notable, car autant que les jeunes Subsahariens qui se ruent à la recherche d’un horizon meilleur vers l’Europe du Sud, les jeunes Espagnols, Portugais et Italiens vont aussi en grand nombre à l’assaut des pays du Vieux Continent plus industrialisés que leur pays à la quête de perspectives meilleures. Ainsi, que ce soit au Luxembourg, aux Pays-Bas ou dans les pays scandinaves, les communautés portugaise, espagnole ou italienne y sont aussi importantes que les subsahariens et les Arabes.
Voilà pourquoi les candidats à l’immigration en provenance du Sud viennent combler le gap de la main-d’œuvre des pays européens du sud comme l’Espagne, l’Italie et le Portugal partis chercher bonne fortune vers d’autres horizons européens du Nord meilleurs que chez eux.
La résolution de ce problème mérite, donc, que les dirigeants africains interpellent leurs homologues européens sur leur responsabilité dans cette question. Le ‘’Mbeuk-Mi’’ est un fléau pour certains Africains, mais une panacée pour les économies et les sociétés des pays de l’Union européenne.
Macron et les présidents francophones
L’armée malienne, les Fama, vient de réussir un fait d’armes notable avec la reprise de Kidal des mains des rebelles touaregs et des djihadistes affiliés à Al Quaida et à Daesh. Les autorités militaires de Bamako peuvent bomber leur torse face aux autorités françaises qui, depuis la fin de leur coopération militaire avec le Mali et l’expulsion des forces françaises de leur pays, n’ont jamais manqué d’occasion pour leur porter un coup fatal. Le pouvoir militaire de Bamako vient de mettre encore à nu les insuffisances, les incohérences de l’État français qui n’a pas compris que l’ère coloniale avait pris fin depuis plus d’un demi-siècle.
L’idéologie qui a toujours consisté à faire croire aux ex-colonies françaises ou anglaises qu’elles doivent toujours s’abriter sous la tutelle ou le parrainage de l’ex-puissance coloniale est une forfaiture qu’une nouvelle élite africaine totalement décomplexée a jetée aux orties. La reprise de Kidal par les Fama, après l’échec de la tentative de débarquement des forces de la CEDEAO à Niamey orchestrée est plus qu’un camouflet pour le président français.
Les temps ont changé, mais le président Emmanuel Macron ne semble pas avoir pris la mesure des choses, car jusqu’à présent, il pense que la France a encore une hégémonie sur les ex-pays francophones et peut y exercer une suprématie en y décidant de l’Alpha et de l’Oméga. Le peu de dirigeants francophones lui accordant encore l’oreille a intérêt à prendre conscience qu’une époque est bel et bien révolue. Celle où les anciens pays colonisateurs dictaient la marche à suivre dans les ex-territoires de leur empire qui faisaient d’eux des puissances planétaires.
La France a cessé d’être une grande puissance depuis les années 1980. Elle est devenue une puissance moyenne entre les années 1990 et le début du XXIe siècle. Elle est, aujourd’hui, un pays industrialisé qui s’accroche à l’Union européenne et derrière la locomotive allemande pour espérer ne pas sortir du Top 20 des pays industrialisés.
C’est le pays de Marianne qui a besoin des pays africains pour espérer conserver sa place, alors que des pays comme l’Inde, la Corée, le Brésil, l’Indonésie ou la Turquie le bousculent sérieusement. Sans les ressources minières, agricoles et les concessions dont bénéficient les firmes françaises dans son ex-pré carré colonial, la France, qui a un endettement de plus de 120 % de son PIB et un déficit de ses comptes publics, serait classée pays sous-développé depuis belle lurette.
Perdre l’uranium du Niger après l’or du Mali, se faire bousculer par des entreprises chinoises, turques ou russes sur les marchés où elle avait la mainmise presque totale est le meilleur révélateur de la puissance perdue et que le président Macron n’arrive pas encore à bien saisir.
La grande réussite des putschistes de Bamako et de Niamey, en passant par Ouaga, réside dans le fait qu’il revient à la France de Marianne et de De Gaulle de se réajuster. En acceptant que l’ère nouvelle soit celle d’une nouvelle définition de ses relations avec les pays africains indépendants.
Abdoulaye Bamba DIALLO