Publié le 20 Jan 2014 - 08:29
LETTRE OUVERTE À OUMAR NDAO

Mon très cher "Couze" !

 

Un Général, encore moins un Chef de corps, ne déserte pas, toi aussi ! Ils se doivent d'être debout en récurrence et de l'être quand, de surcroît, tout un peuple ou presque navigue entre mer agitée et à agitée et que trop de gestes et faits précaires, à foison, emplissent la Cité et qui vont des besoins animaux les plus élémentaires aux «nourritures terrestres» qui, au fond, sont les seules qui mériteraient d'être à satisfaire en priorité.

Parce qu'elles nous restituent à nous-mêmes, parce que ce sont elles qui nous distinguent des animaux et que ce sont elles qui, adéquatement prises en charge et tenues par les gens qui ont aptitude à les manager, seront locomotive(s) pour mener et faire réellement entrer le Sénégal et en émergence et en modernité positive. Oui, dans l'Histoire !

Mais l'heure ne se prête pas aux stériles contendances encore moins à disserter sur le sexe des anges ou le quotient d'intellectuel des médiocres et méprisables pâtres !

Oumar, l'instant est grave et de gravités plus que poignantes. Et je ne fais que transmettre les sentiments du monde fou présent à la levée ultime de ton corps et à la conduite de ton âme en sa perpétuelle et seule vraie demeure. Oumar, ta mort a tous les ingrédients d'une plaisanterie de trop mauvais goût.

Et tu le sais : on ne quitte pas comme ça, comme sur la pointe des pieds, un peuple qui tourne en rond et des actants qui, culturellement, se rongent, plus affreusement que jamais, et les hardes et les sangs. Tout y est tous les jours question et en question : le livre, la lecture et leurs promotions ; le cinéma et la musique ; le théâtre et la vie poignante des comédiens et autres membres de toutes les corporations, devrait-on dire.

Et puis, il est toujours plus que préoccupant, le défaut criard d'infrastructures et la Culture, elle-même, que d'aucuns ont fini par synthétiser en ces trois lettres (L.M.D.) que l'Université semblait détenir comme marque déposée, mais, hélas, ni contrôlée ni adéquatement protégée, au point de les voir respectivement signifiant la lutte, la musique et la danse. Et en ce qu'elles ont de dévalorisant et de plus que ridicule.

Mais passons, veux-tu, à de plus importantes réalités. Ce pourrait alors être autant de choses lues, vues et vécues ensemble, toi et moi, des deux dernières décennies du 20e siècle à cette «année terrible», mais pas si terrifiante que ça. A moins que... À moins que...

À moins qu'assurance, par symboles et signes, soit donnée qu'Allah s'est détourné et de nos urgences et du Sénégal ?... Ce serait encore une magnifique leçon d'optimisme et d'urbanité parée de la saveur de pédagogue par laquelle tu nous faisais gober toutes tes salades, tous tes «maye» et autres histoires - des plus concevables aux plus folles.

C'est qu'en sus d'une générosité intellectuelle sans fêlure, Allah t'avait doté du pouvoir, rare, de faire passer tes sensations et de susciter tellement d'adhésions autour d'elles. Je peux le dire comme on fait, non pas un vœu, mais un aveu de fierté sans mesure : «Couze», vois-tu, ta convivialité était irrésistible, contagieuse, mais vivifiante telle un baume au cœur des gens solitaires ou déconcertés.

Ton charisme, de trop loin, dépassait la «nature morte» et vaine des promesses et effets d'annonces grandioses de nos politiciens - professionnels. Il s'assemblait à l'état d'esprit des gens de bonne foi. Voilà tout. Et c'est ça, sûrement, la raison pour laquelle la morgue de l'hôpital Principal a refusé le monde fou venu témoigner affection et te suivre sur la dernière droite ligne que tu avais à accomplir, ici-bas.

Ce soir, tu montes au ciel, Oumar. Nous veillerons de nos tours de contrôle mentales ! À fin «que le grain ne meure» !... Nous serons autant de vigiles debout et en marche à dessein de voir et/ou de convertir tes rêves en destin.

De l'Université au plus insignifiant cercle d'acteurs (socio)culturels, c'est cette profession de foi qui prévaut. Il restera seulement qu'on en assure le suivi. Car, aimais-tu à dire et à itérer, le mal sénégalais c'est notre aptitude à soulever des montagnes, à bâtir des châteaux en Espagne, mais à ne pouvoir les préserver.

Nous veillerons donc sur tous les acquis tout autant sur toutes les initiatives, aussi bien privées qu'institutionnelles, qui te tenaient à cœur dans la République et dans la Nation. T’en fais pas, Oumar !... Le Tandem Paris-Dakar te survivra et en mieux ! Dakar comme lieu essentiel de mise en représentation de nos arts et lettres sera conforté !

Il en sera de même du Fespenc et d'autant de manif' d'envergure. Ton patron, Khalifa Ababacar Sall, appréciera s'il ne l'a déjà fait. Par romantisme ou pour des raisons qui tiendraient du symbole à la plausibilité de tes conseils. Oui, pour éterniser ta collaboration, pourquoi lésiner sur les moyens et voir les choses au rabais ?

Pape (Boubacar) Diop pense déjà à donner ton nom à la Bibliothèque du complexe pour lequel ton expertise était bien présente. Pour toi, je dévirtualiserai le mag' «de critique littéraire sans complaisance» qui manque au «pays de Senghor». De façon sommaire, j’en ai parlé avec des intellectuels et lettrés de nos relations.

En fait, «Couze», la question me taraude de savoir combien de temps et d'espaces devront être créés pour honorer ta mémoire. Vingt-quatre occasions, au moins, comme pour marquer les années de notre effectif cousinage et qui surpassait de fort loin celui de plaisanterie, hein ?

Sous peu de jours, je me plierai au plaisant devoir d'échanger avec les uns et avec les autres sur la question. Ensuite, nous procéderons aux choses essentielles qui verront la Culture et l'Éducation recouvrer leurs syllabes d'accueil et toutes leurs lettres de noblesse.

Ce qui est bien du domaine des possibles si et seulement si l'Autorité en fait une sur-priorité et abjure tout choix de compétences lié à l'impératif d'appartenance au parti. «La Patrie avant le Parti», clame-t-on toujours, même si «la Culture avant tout» demeurait ton viatique. Parce que, arguais-tu, le problème du Sénégal c'est une question de valeurs à recouvrer avant d'être de denrées alimentaires à rendre accessibles ou encore de voie(s) de développement à engager.

Et t'avais raison, Oumar ! Qu'est-ce et quel avenir au développement quand l'incivisme et la corruption sont, tacitement, comme institués en sports nationaux de haut niveau ? Qu’est-ce et quel avenir au développement quand la continuité de l'Etat n'est en fait que théorisée, la «rupture» qu’un contenant presque sans contenu et la République non pas véritablement de citoyens, mais de partisans, de mange-mil et de rusés compagnons de campagnes électorales ?

Au fond, «Couze», aujourd’hui que tu as rejoint les Sages et autres Sains Esprits pour l'éternité en résidence sur le plus grand-bras de mer du Paradis, il nous incombe de poursuivre le chemin. Et nous irons jusqu'au bout ! Trop de gestes et faits sont en instance et/ou en immanence, qui sont autant de rendez-vous d'avec nous-mêmes et d'avec «les autres».

«Les autres», ce sont des milliers de nos semblables qui dans dix mois convergeront sur Dakar à fins «d'illustrer et de défendre» la francophonie des politiciens. On ne dit plus la Françafrique, vois-tu. Et puis, cette grand-messe ne nous a jamais concernés, toi et moi : nous ne faisons pas genre à y être et certainement pas aux loges premières, hein ? Et tant mieux, n’est-ce pas ?

D’autant que nous n'avons que trop de centres d'intérêts plus valorisants que tous les strip-teases d'intellectuels assermentés ou notre seule présence en des lambris même dorés ! Mais enfin... Oumar, accepte que je suspende tout dire pour me recueillir sur l'image ultime que tu nous as laissée, à Iba Gaye Massar, à Pape Ndao et à moi...

C'est ton visage si serein, si candide et si frais, de mortel rappelé en élu pour, éternellement, parader dans tous les jardins et sur toutes les scènes de l'Eden. Dors en paix, mon très cher «Couze» ! Et du sommeil des porteurs et propagateurs de justes causes !... Nous veillerons naturellement sur la veuve et sur les orphelins !

J'en fais serment, Oumar, en cela pareil à des milliers et milliers de nos compatriotes qui avaient haute estime de ta personne ou t’ont, depuis longtemps et de manière altière et irrémissible, intégré en leurs familles de cœur et d'esprit. Dors en paix, mon très cher «Couze» !... Et t'atteignent les grâces d'Allah !

Elie-Charles Moreau Écrivain/Éditeur

Membre du Groupe des 45

 

Section: