Publié le 22 Aug 2014 - 22:45
LIBRE PAROLE

Des pluies ou des urines ?

 

Les Espagnols ont mis le monde entier en garde cotre la naïveté et la crédulité lorsque leur proverbe a fait le tour de la planète, selon lequel : « Ils pissent sur nous et nous font croire que c’est de la pluie ». Le proverbe espagnol oppose évidemment les gouvernants aux gouvernés. Par ailleurs la prudence recommande que l’on se méfie des proverbes et des adages importés des cultures étrangères et de ne les évoquer qu’avec précaution à propos de nos propres situations existentielles.

Car, ils n’étaient conçus qu’à un temps lointain et sont nés du ventre des circonstances historiques et sociales différentes des nôtres. Les proverbes naissent d’expériences communes, mais limitées dans le temps et dans l’espace. Mais, en dépit de ces réserves, ce proverbe des espagnols découle d’une sagesse pratique qu’il faut embrasser les yeux fermés. Il faut y adhérer sans réserve ni hésitation.

En effet, à une date très récente, des prières ont été faites pour que le Ciel laisse tomber des pluies réelles. L’on se demande : pourquoi depuis lors il n’a pas plu, en tous cas pas suffisamment ? Peut-être c’est parce que les conditions dévotionnelles requises pour de semblables circonstances n’ont pas été réunies. Cependant, l’expérience est tentée ailleurs, sous d’autres cieux et le résultat était probant. Néanmoins, la spiritualité est un terrain glissant pour un profane. Il ne faut jamais s’y aventurer en avançant des hypothèses incertaines. Le monde spirituel est un monde à part, vaste et infini. Mais si l’on se réfère toujours au proverbe espagnol, prier pour qu’il pleuve ne veut pas dire qu’il pleut. Laissons donc de côté ce terrain délicat et engageons-nous dans le réel et l’historique finis. 

Confusion

Réellement ce n’est pas la naïveté, mais plutôt la démence qui est à la base de la confusion entre pluies réelles et urines réelles, entre les promesses et la tenue des promesses. Les paysans s’il est facile de les berner, les citadins que nous sommes devenus au fil des temps, nous tous, gouvernants et gouvernés, instruits que nous sommes tous, il est difficile de nous rouler dans la farine. En tout état de cause, insulter les paysans, c’est ipso facto nous insulter, car nous tous, sans exception, sommes d’origine paysanne. Les accents du langage citadin en sont la meilleure preuve.

D’ailleurs, l’accent des habitants des métropoles est très pittoresque, bien que parfois on tente de le dissimuler. Même les notables, pour emprunter ce vocable vieux et caduc, aiment afficher ostensiblement leur paysannerie. Nos gouvernants, eux également, aiment afficher leur rusticité, mais faites très attention dans ce cas précis, car leur but inavoué dans cette adoption sournoise de l’habit rustique, c’est d’hypnotiser leurs sujets, les endormir.

Embrigadement

L’astuce des gouvernants est d’embrigader une horde de griots et d’intellectuels pour défendre leur bilan jugé globalement « positif », bien qu’il s’agisse d’un bilan fictif. L’homme de l’action assujettit naturellement l’homme de la parole. Si le griotisme intellectuel est inefficace face à la persistance de l’exigence de bilan, positif ou négatif peu importe, d’autres éléments du dispositif « communicationnel » sont à la portée des mains : la mise en branle des muscles juvéniles. Les muscles eux aussi peuvent servir de moyens pour faire passer un message.

La satisfaction des besoins alimentaires et libidinaux des jeunes gens est, sans conteste, le moyen le plus efficace de leur embrigadement. Avec la force attractive, irrésistible, des aliments et de la libido, la majorité écrasante des êtres deviennent des moutons dociles de Panurge. Il faut faire accepter la positivité du bilan de l’action politique et sociale d’une manière ou d’une autre. « Le positivisme de la pratique négative » : voila l’idéal de l’action. L’usage des subterfuges et des faux-fuyants pour que les sujets simples d’esprits prennent les urines pour des pluies réelles relève d’une action politique et sociale grotesque.

Les intentions et les réalisations ne se confondent jamais. Le refus catégorique de cet état de fait mène le sujet de l’Histoire à tout entreprendre pour inoculer l’idée pernicieuse que le diagnostic du mal équivaut à son éradication et que l’identification des problèmes signifie leur solution définitive. La feuille de route, le plan d’action, la plate-forme, l’état des lieux et la ratification des conventions : voila des formules magiques qui cassent les oreilles des sujets, sans pour autant qu’aucun projet soit réalisé. Prendre un engagement verbal n’est que l’étape préliminaire insignifiante d’une action quelconque. Si le sujet historique n’en tient pas compte et continue de l’ignorer royalement, alors l’objet de l’Histoire aura toutes les prérogatives pour râler et hurler : « Ils pissent sur nous et nous font croire que c’est de la pluie ». 

Babacar Diop

 

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