Quand l’Etat exproprie même des morts
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Avec la multiplication des litiges fonciers, il y a lieu de s’interroger sur la manière de travailler des services domaniaux. Les procédures d’expropriation sont-elles correctement faites ? N’y a-t-il pas urgence de revoir la manière de réaliser les enquêtes de commodo et incommodo ? En tout cas, les dysfonctionnements se multiplient. Après Ndingler, Tobène, Dougar est dans tous ses états et jure de défendre ses terres par tous les moyens.
Et maintenant, on déclassifie des cimetières où sont enterrées des générations et des générations. Ce, après des écoles et le terrain de football de Dougar. Daouda Faye, coordonnateur du Cerad (Cadre d’échange, de réflexion et d’action pour le développement de Dougar), est dépité. ‘’Comment un Etat peut-il déclassifier et titrer des cimetières pour des logements ? C’est incroyable, mais c’est ce qu’ils ont fait. En sus des cimetières, ils ont aussi pris le terrain qui fait l’objet d’une délibération depuis 1998 ; les deux centres de formations que vous avez vus en venant ici… Sans compter les maisons et les champs des populations qui ont aussi des délibérations. Dans quel pays nous sommes ? Il y a forcément de gros bonnets derrière, mais qu’ils sachent que nous n’allons pas reculer’’, fulmine-t-il lors de la marche des populations, hier.
D’ores et déjà, la RTS (Radiodiffusion télévision sénégalaise) est citée au cœur d’une partie des terrains litigieux. A en croire Mme Diop Ndour, c’est elle qui est derrière le déploiement de militaires pour les besoins de la surveillance et du terrassement d’une partie du terrain litigieux. Pour justifier son propos, elle brandit un procès-verbal de constat établi par huissier de justice et qui fait état de la présence d’engins de terrassement et de militaires. Elle précise : ‘’Sur le titre 8457/R, je sais qu’il y a plusieurs promoteurs dont la RTS. C’est d’ailleurs ce dossier qui est le plus compliqué, parce que c’est eux qui ont demandé à l’Armée d’être là. Ce n’est pas la première fois. Ils se sont présentés ici à maintes reprises et ont été chassés par les populations. Par la suite, ils sont revenus avec la DESCOS, mais ça n’a pas marché. Cette fois, ils nous ont amenés des militaires’’.
Pour les besoins d’un projet de logements sociaux, l’Etat avait prévu de déclassifier et immatriculer à son nom une superficie de 80 hectares sur le domaine national. Jusque-là, il n’y avait aucun problème avec les populations, qui pensaient que leur village ne serait pas concerné. Pour la mise en œuvre de ce programme, il a été question, dans un premier temps, d’affecter au promoteur Peacock Investments une superficie de 30 hectares, sous le TF 5596, pour la réalisation de la cité des fonctionnaires. Pendant cette première phase, seuls quelques champs et espaces utilitaires étaient menacés ; pas d’habitations des villageois. Suite à une médiation, il a été prévu d’indemniser les impactés et de laisser le promoteur poursuivre ses travaux.
Malgré cette concession des populations, les victimes n’ont jamais été indemnisées. Alors que ce contentieux perdurait, la parcelle B du TF 5596 a été attribuée à la même entreprise, Peacock, dans le cadre toujours des 80 ha. ‘’Cela fait en tout 72 ha, dont une bonne partie appartient au village de Dougar. S’y ajoute les 86 hectares du TF 50-8457, dont une bonne partie fait également l’objet de vives controverses’’.
DAOUDA DIALLO, 57 ANS, VICTIME ‘’Un ami m’a prêté une chambre où je vis avec mes deux épouses et mes 8 enfants’’ Né en 1963, Daouda Diallo exploitait son champ depuis 1983. Avec sa grande famille, constituée de deux épouses et huit enfants, ils logeaient dans le même périmètre. Un beau jour, un promoteur privé est venu les expulser comme des malpropres. ‘’C’était l’année dernière. J’avais ma maison, ma boulangerie artisanale et mes bagages. Ils sont venus avec la Descos et m’ont sommé de quitter les lieux. Quand je venais ici, il n’y avait personne. Ils ont pris mes bagages et les ont emmenés jusqu’à la route de Mbour. J’ai passé là-bas toute la journée. Moi et ma famille. Comme je n’avais nulle part où aller, je suis retourné sur les lieux, même s’ils avaient déjà tout démoli’’. Le sieur Diallo ne savait plus où donner de la tête. Lui, ses épouses et ses enfants se retrouvaient ainsi dans la rue. Sans sous, sans travail, mais surtout sans toit. ‘’lls m’avaient donné 10.000 francs. J’exploitais ces terres depuis 1983. En 2000, j’ai eu une délibération. J’ai voulu régulariser, mais on m’a dit que c’est le domaine national. Il faut mettre en valeur et personne ne pourra les récupérer. Je pense que l’Etat doit protéger les plus pauvres. C’est une grande injustice. C’est inhumain. C’est comme enterrer une personne vivante’’. En fait, le vieux Diallo a été sauvé in extrémis. Désemparé, ne savant pas où aller avec ses deux femmes et sa progéniture, il recevra finalement un vieil ami qui lui offre toute son hospitalité. ‘’Il m’a dit : ‘Pa Diallo, viens chez moi à Yoff. Je vais mettre à ta disposition une chambre. Malheureusement, tous vos bagages ne pourront pas y être installés’. Pour moi, l’essentiel était surtout d’avoir un toit où passer la nuit à l’époque. C’est dans cette chambre que j’habitais avec mes 8 enfants et mes deux femmes. Par la suite, l’une est rentrée chez elle à Kaolack. Je reste avec l’autre et mes 8 enfants, de grands enfants dont l’un est à l’université’’. Malgré cette démolition, le terrain est resté inhabité. Ce n’est que dernièrement que Pa Diallo a été avisé que ses terres sont en train d’être clôturées. Comme toute réponse à ses interrogations, il a obtenu une convocation à la Gendarmerie. ‘’On m’avait dit que c’est un certain M. Thiam qui les (les ouvriers) a engagés. J’ai demandé le numéro de téléphone et je l’ai appelé pour demander des explications. Il a dit qu’il ne peut pas répondre. C’est plutôt nous qui devrons répondre à une plainte à la Gendarmerie. Ce n’est ni plus ni moins que la loi du plus fort. Mais Dieu est plus fort’’. |
Mor Amar