Un silence coupable face aux accusations ?
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L'affaire Farba Ngom, loin d'être un cas isolé, met en lumière les profondes divisions et les silences assourdissants qui gangrènent l'Alliance pour la République (APR). De l'absence de soutien flagrante à un pilier du parti aux accusations de trahison, en passant par le mutisme des caciques face aux accusations visant Macky Sall, un constat s'impose : l'APR, autrefois symbole de puissance et d'unité, semble aujourd'hui au bord de l'implosion.
Depuis son arrestation et son placement sous mandat de dépôt, le jeudi 27 février 2025, Farba Ngom, maire d’Agnam et membre influent de l’Alliance pour la République (APR), se retrouve au cœur d’une tempête judiciaire. Poursuivi pour association de malfaiteurs, escroquerie sur les deniers publics et blanchiment de capitaux dans le cadre de l’affaire des transactions douteuses de 125 milliards de francs CFA révélée par la Centif, Farba Ngom fait face à une situation difficile.
Pourtant, malgré son statut de proche collaborateur de l’ancien président Macky Sall et son rôle central dans la deuxième alternance politique (2012-2024), le soutien de ses camarades de parti et de l’ex-Benno Bokk Yaakaar se fait cruellement attendre. Cette absence de réaction soulève des questions sur la cohésion interne de l’APR et sur la stratégie adoptée face à cette crise politico-judiciaire.
Farba Ngom, maire d’Agnam et député, a longtemps été considéré comme l’un des piliers de l’APR. Proche de Macky Sall, il a joué un rôle clé dans la mobilisation des soutiens politiques et financiers pour le parti, notamment dans la région de Matam. Son influence et son réseau lui ont valu le surnom de ‘’l’homme puissant d’Agnam’’.
Cependant, son arrestation et les accusations portées contre lui ont plongé ses partisans dans un silence troublant.
Une absence de réaction notable
Depuis son placement sous mandat de dépôt, l’absence de réaction des militants de l’APR et de l’ex-Benno Bokk Yaakaar est frappante. À part quelques manifestations sporadiques à Agnam et des rassemblements vite dispersés par les forces de l’ordre lors de sa dernière convocation, Farba Ngom ne bénéficie pas du soutien massif auquel on aurait pu s’attendre de la part de sa base politique.
La seule réaction notable est venue d’Aïssata Tall Sall, ancienne ministre et figure influente de l’APR, qui a organisé une conférence de presse pour exprimer son soutien à Farba Ngom. Cependant, cet événement est resté isolé et n’a pas suscité de mobilisation plus large au sein du parti.
Macky Sall, mentor et ancien président, est resté étrangement silencieux face aux accusations portées contre Farba Ngom. Cette discrétion peut s’expliquer par plusieurs raisons : le respect de l’enquête en cours, la volonté de ne pas s’attirer les foudres du régime actuel ou simplement une stratégie pour se distancer d’une affaire qui pourrait entacher son héritage politique.
Les autres figures de proue de l’APR, comme Abdoulaye Daouda Diallo, Sidiki Kaba, Seydou Guèye, Pape Maha Diouf ou la Cojer, sont restées muettes. Seuls quelques rares soutiens, comme Mansour Faye, maire de Saint-Louis, et des chroniqueurs ou journalistes comme Madiambal Diagne et Mamadou Ibra Kane ont exprimé leur soutien public à Farba Ngom.
Les accusations de Farba Ngom : trahison et abandon
Lors d’une conférence de presse très attendue, Farba Ngom a exprimé son mécontentement face à ceux qui, selon lui, ont bénéficié de ses largesses sous l’ère Macky Sall, mais qui, aujourd’hui, refusent de le soutenir dans ses moments difficiles. Visiblement affecté par ses déboires judiciaires, le député a accusé ses anciens camarades de vouloir l’abandonner au moment où il en a le plus besoin. ‘’Je vais les dénoncer un à un, deux à deux, trois à trois’’, a-t-il déclaré, laissant entendre qu’il n’hésitera pas à révéler les noms de ceux qui l’ont trahi.
Cette sortie, perçue comme une menace, a ajouté une dimension dramatique à l’affaire, suscitant des interrogations sur les tensions internes au sein de l’APR.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le manque de soutien des militants de l’APR à Farba Ngom : la gravité des accusations.
Les charges retenues contre Farba Ngom, notamment l’escroquerie sur les deniers publics et le blanchiment de capitaux, sont suffisamment graves pour dissuader ses partisans de le soutenir publiquement. Beaucoup craignent d’être associés à une affaire qui pourrait nuire à leur réputation.
Les divisions internes. L’APR, comme beaucoup de partis politiques, est traversé par des divisions internes. Certains membres pourraient voir dans les déboires de Farba Ngom une opportunité de renforcer leur propre position au sein du parti.
La peur des représailles. Dans un contexte politique tendu, certains militants pourraient craindre des représailles de la part du régime actuel, s’ils expriment leur soutien à Farba Ngom.
Les réactions isolées : Mansour Faye et autres soutiens
Parmi les rares soutiens publics à Farba Ngom, Mansour Faye, maire de Saint-Louis et ancien ministre de l’Hydraulique, s’est distingué par une déclaration sur sa page Facebook. Il a critiqué le mandat de dépôt de Farba Ngom, qualifiant la situation de ‘’triste’’ et mettant en garde contre les dangers du ‘’courtage et de l’intermédiation’’ pour tous les Sénégalais. ‘’Son Altesse est heureuse : sa commande exécutée ! Farba va passer sa première nuit en prison, la menace de ‘Agnam’ est passée par là. Au juste, qu’est-ce que Farba a commis comme délit ? Tous ceux qui sont dans le courtage et dans l’intermédiation et, au-delà, les Sénégalais tout court, sont en danger. C’est triste !’’, a-t-il écrit.
D’autres figures, comme Moussa Bocar Thiam et quelques chroniqueurs ou journalistes, ont également exprimé leur soutien, mais ces réactions restent marginales et ne reflètent pas une mobilisation collective.
Le silence de l’APR sur les accusations contre Macky Sall et le rapport de la Cour des comptes
Le silence des membres de l’APR et de l’ex-BBY ne se fait pas ressentir seulement dans le cas de Farba. On peut le noter également face aux accusations portées contre l’ancien président Macky Sall et son entourage, notamment dans le cadre du rapport de la Cour des comptes.
Au moment où les allégations de mauvaise gestion des finances publiques et les accusations de ‘’chef de gang’’ formulées par le ministre Moustapha Ndiack Sarré font grand bruit, les réactions des anciens collaborateurs de Macky Sall et de ses partisans se font rares. Cette absence de soutien public soulève aussi des questions sur la cohésion interne de l’APR et sur la stratégie adoptée face à cette crise politico-judiciaire.
Il y a deux jours, Moustapha Ndiack Sarré a affirmé que Macky Sall, président de la République de 2012 à 2024, ‘’fera face à la justice’’ et pourrait être ‘’considéré comme le chef de gang qui a commis des actes criminels’’.
Ces propos, perçus comme une attaque directe contre l’ancien chef d’État, ont suscité des réactions contrastées dans l’opinion publique. Cependant, malgré la gravité des accusations, aucun soutien public massif n’a été observé en faveur de Macky Sall.
Dans une interview accordée à ‘’Jeune Afrique’’, Macky Sall a dénoncé ces accusations comme un ‘’procédé politique’’. Installé au Maroc, l’ancien président a affirmé ‘’n’avoir peur de rien, concernant d’éventuelles poursuites’’. Cependant, cette déclaration n’a pas suffi à mobiliser ses anciens collaborateurs ou ses partisans, qui sont restés étrangement silencieux.
Le rapport de la Cour des comptes : un silence embarrassant
Le rapport de la Cour des comptes, publié le 12 février, a mis en cause la gestion des finances publiques durant le second mandat de Macky Sall. Ce document, qui pointe des irrégularités et des incohérences dans la gestion des fonds publics, aurait dû susciter des réactions de la part d’anciens ministres des Finances, notamment Abdoulaye Daouda Diallo et Amadou Ba. Pourtant, ces derniers sont restés muets, laissant planer un silence embarrassant.
Abdoulaye Daouda Diallo et Amadou Ba, qui étaient aux commandes des finances publiques sous Macky Sall, ne se sont pas prononcés sur le rapport de la Cour des comptes. Leur silence est d’autant plus surprenant que ce rapport les concerne directement.
Pape Malick Ndour, ancien ministre de la Jeunesse et l’un des rares membres de l’opposition à défendre le bilan de Macky Sall, a critiqué le rapport de la Cour des comptes. Selon lui, les constatations de la cour ont été produites par les services du ministère des Finances de l’actuel régime et certains chiffres publiés ne sont pas conformes à ceux de l’ancien régime. ‘’Si la Cour des comptes y décèle des incohérences, il y a lieu de s’interroger sur la qualité du rapport du nouveau gouvernement’’, a-t-il déclaré.
Les réactions de l’opposition : Entre applaudissements et prudence
L’opposition, quant à elle, est restée divisée sur la question de Farba Ngom et du rapport de la Cour des comptes. Si certaines figures, comme Thierno Alassane Sall, ont applaudi les accusations et appelé à des sanctions sévères, d’autres sont restées plus prudentes, accusant les magistrats de la Cour des comptes d’être au service de l’actuel régime.
Thierno Alassane Sall a salué les conclusions du rapport de la Cour des comptes, affirmant que les responsables doivent être identifiés et sanctionnés. ‘’Si cette situation a pu durer, c’est parce que les règles de base des finances publiques ont été ignorées. Les responsabilités doivent être établies à tous les niveaux et les sanctions les plus sévères doivent être appliquées’’, a-t-il déclaré.
Par contre, le silence des membres de l’APR et de l’ex-BBY face aux accusations contre Macky Sall et le rapport de la Cour des comptes révèle les fractures internes au sein de ces formations politiques.
Dans ce théâtre d'ombres et de non-dits, une question brûle les lèvres : l'APR survivra-t-elle à cette tempête ou l'affaire Farba Ngom marquera-t-elle le début de son crépuscule ?
AMADOU CAMARA GUEYE